Pendant ce temps, Zouga et le Bushman, l’œil collé à des fissures produites par les alternatives de soleil et de pluie dans le panneau de l’avant, examinaient attentivement la rive opposée, et indiquaient la voie à suivre aux rameurs forcés d’évoluer en quelque sorte en aveugles.
Une pareille constance fut enfin récompensée. Le dray pénétra bientôt dans la zone des eaux mortes. À cent mètres à peine s’élevait un inextricable fouillis de végétaux offrant les plus admirables spécimens de la flore tropicale. Les deux noires vigies n’ayant rien signalé de suspect, on avança encore, puis on stoppa à vingt mètres du rivage.
Zouga quitta son poste, échangea quelques paroles avec Alexandre, gagna l’ouverture de l’arrière, plongea doucement et disparut. Son absence dura près d’une heure. Les trois Français sentant toute l’importance de cette reconnaissance que le Cafre était, entre tous, plus apte à opérer, avaient conservé pendant ce temps une immobilité et un silence absolus. Albert qui n’avait pas quitté sa place, vit tout à coup les eaux bouillonner et la tête crépue du noir émerger brusquement. Zouga paraissait radieux et son sourire des bons jours dilatait sa large bouche d’une oreille à l’autre.
– Venez, dit-il sans laisser au jeune homme impatient le temps de l’interroger.
– Qu’y a-t-il ?... Qu’as-tu vu ?
– Venez... tous, reprit l’Africain de sa voix gutturale.
Donner quelques vigoureux coups de rame, approcher le wagon de la rive, l’amarrer aux lianes pendant à profusion, fut l’affaire d’un moment. En dépit de la sueur qui ruisselait encore sur leurs membres, Albert, Alexandre et Joseph s’élancèrent au milieu des herbes bordant la berge, sans même paraître se douter des dangers pouvant résulter de cette brusque immersion. Le Bushman les suivit.
Ils prirent pied presque aussitôt et s’avancèrent en file indienne, précédés par Zouga qui se glissa à travers un épais entrelacement de graminées géantes, succédant bientôt aux plantes aquatiques. Les tiges, froissées ou brisées d’une certaine façon attestaient le passage récent d’un être humain. La petite troupe marcha de la sorte pendant près d’une demi-heure et parcourut à peine un kilomètre, non pas tant à cause des difficultés présentées par le terrain, que des précautions recommandées sans cesse par le guide. Elle déboucha enfin dans une petite clairière au milieu de laquelle apparaissaient les restes d’un foyer éteint, quelques tisons noircis, des cendres et les débris d’un repas, ainsi que deux bottes d’herbes légèrement aplaties et serrées avec un brin de roseau ayant sans doute servi de siège à ceux qui avaient fait une halte en ce lieu.
Albert examina attentivement les cendres et, incapable de prononcer une parole, montra du doigt à son ami quelques traces parfaitement distinctes. À côté d’une empreinte qui eût couvert celle d’un éléphant, on voyait la marque d’un petit pied finement cambré, au talon légèrement évidé, qui ne pouvait appartenir qu’à une femme élégamment chaussée.
De l’autre côté du foyer, et dans une direction à peu près parallèle à celle du fleuve, on pouvait apercevoir la continuation du sentier suivi par les voyageurs pour arriver en ce lieu.
– C’est là ?... demanda au guide Albert d’une voix brisée par l’émotion.
– Oui, répondit le noir.
– Eh bien, en avant ! s’écria le jeune homme qui sembla soudain récupérer toute son énergie.
Puis, sans s’occuper si ses amis le suivaient, sans même paraître se douter qu’il était sans armes, il bondit à travers bois. Ceux-ci, un moment interdits, s’élancèrent à sa suite, en proie à une mortelle angoisse et appréhendant une catastrophe.
Cette course échevelée dura longtemps, sans que les noirs et les deux Européens, en dépit de leur prodigieuse agilité, eussent réussi à rejoindre leur compagnon. Celui-ci maintenait toujours son avance et trouait, dans ses élans furieux, l’épais hallier dans lequel serpentait l’imperceptible trace.
Ce bruit cessa enfin, et les quatre hommes, saisis d’une émotion poignante entendirent à quelques pas un cri éclatant dont il était impossible de deviner la signification.
XII
Dans l’oubliette. – Plan d’évasion. – Un mineur improvisé. – Conséquence de l’absorption d’une soupe à l’alcool. – Comment les Boërs fabriquent la chandelle. – Explosion terrible. – Incendie. – « Au secours !... » – Sam Smith se plaint des détériorations de son immeuble. – En présence d’un dégagement de grisou. – Comment les mineurs constatent la présence de ce gaz. – Les pénitents et les firemen. – Nouvelle explosion. – Séquestrés !...
Le Révérend, enfermé dans la sombre caverne perdue en quelque sorte au milieu du gisement de houille, commença bientôt à être en proie à une vive inquiétude. Les heures s’écoulaient, sans qu’aucun de ces incidents, parfois invraisemblables, en l’arrivée desquels espèrent les reclus, fût venu modifier sa situation.
Un hasard prodigieux avait sauvegardé son existence, et un autre hasard, non moins extraordinaire, l’avait mis en présence d’une jolie fortune. Ayant trouvé à point nommé un asile des plus sûrs et un confort dont le plus ambitieux n’eût osé concevoir la possession, surtout en pareil lieu, le misérable paya un large tribut à la joie du premier moment et savoura avec exubérance le bonheur de se sentir vivre.
Puis, analysant froidement la position, il se prit à en envisager non seulement les inconvénients présents, mais encore les dangers futurs. Reconnaissant tout d’abord qu’il lui était absolument impossible de sortir de l’obscur réduit en suivant la voie habituellement pratiquée par le mystérieux possesseur de toutes ces richesses, il pensa bien à attendre la venue de cet inconnu ; il le laisserait descendre au fond de l’oubliette, se dissimulerait dans un coin, lui casserait la tête d’un coup de carabine, et profiterait, pour s’évader, de l’engin utilisé par sa victime. Mais, s’il tardait à visiter sa cachette s’il était blessé ou prisonnier des noirs ! s’il était mort !
À cette pensée, cet homme à peine échappé à une catastrophe terrible, qui rêvait déjà d’assurer par un nouveau crime son existence de réprouvé, se sentit frémir. Il songea que, sa détention se prolongeant, les provisions finiraient par s’épuiser. Aux angoisses poignantes de la claustration viendraient se joindre les tortures de la faim, et l’agonie des faméliques, la plus atroce de toutes. Il lui faudrait périr misérablement au milieu de ces trésors avec la possession desquels il n’était pas encore familiarisé.
– Non ! non ! murmura-t-il d’une voix sourde, il faut sortir d’ici, à tout prix ; le plus tôt sera le meilleur.
Il essuya son front sur lequel la pensée de cette terrible éventualité avait produit une rapide poussée de sueur. Puis, il s’assit sur un bloc de charbon et se prit à méditer laborieusement.
– Je ne vois, reprit-il, qu’un seul projet de praticable. C’est d’ouvrir une galerie de mine.
» Voyons, il est facile de m’orienter. Je tourne en ce moment le dos à la cataracte. Le Zambèze est donc sur ma gauche. Les terres comprises entre la caverne et le lit du fleuve qu’elles encaissent de ce côté, ne possèdent qu’une minime épaisseur.