Il déroula ensuite une longue et fine ceinture entourant ses reins, l’assujettit au milieu du bâton transversal, au moyen d’un de ces nœuds dans la confection desquels il était passé maître, et la laissa pendre dans le vide.
Enfin, pour plus de précautions, il creusa, à l’aide de son couteau, dans le prolongement du diamètre formé par le bâton, deux rigoles, dans lesquelles les deux bouts vinrent s’encastrer solidement, de façon à éviter tout déplacement latéral.
– Ouf ! c’est fini. Je n’ai jamais fait autant de manières pour accomplir ma descente.
» Il est vrai que jadis j’avais moins à risquer qu’aujourd’hui.
» By God ! Un homme qui est capable, d’ici quelques jours, peut-être quelques heures, de valoir je ne sais combien de millions, a bien le droit de prendre soin de son corps.
» Master Smith ! For ever !
Il dit, empoigna d’une main le tissu flottant dans le couloir vertical, se cramponna de l’autre au morceau de bois, puis, se laissa glisser posément jusqu’au fond du repaire qu’il appelait plaisamment sa maison de campagne.
On sait le reste. Sa stupeur à la vue du Révérend qu’il croyait disséqué par les fourmis, sa colère en contemplant le désordre résultant de la première explosion, son désespoir en s’apercevant que la flamme produite par le second coup de grisou lui enlevait, en brûlant sa ceinture, tout moyen de communication avec le dehors.
Master Smith était bel et bien prisonnier dans l’oubliette en compagnie de James Willis.
Après quelques instants d’un effarement légitime, le bushranger, en homme qui a éprouvé toutes les vicissitudes imaginables, et que l’espérance n’abandonne jamais, se rasséréna peu à peu.
– Eh bien ! après ?... dit-il au Révérend qui riait toujours sataniquement. Nous sommes pris. Ce n’est pas la première fois, n’est-ce pas ?
» Tu as beau grimacer ton plus mauvais rire, et te dire que je partagerai ton sort.
» Erreur ! mon bonhomme. C’est une nouvelle évasion à tenter. J’en ai réussi bien d’autres ; et je n’avais pas les moyens dont je dispose en ce moment.
Puis, il ajouta en aparté :
– Une seule chose m’ennuie. C’est cet incendie qui, au lieu de s’éteindre, comme je l’espérais, se propage aux couches supérieures de la rotonde.
» Il n’y a pas grand danger pour moi, mais il est désagréable de travailler avec un feu de forge au-dessus de la tête. J’ai en outre ici une notable provision de poudre qu’il est urgent de mettre en lieu sûr.
» Commençons par inventorier cette galerie d’où est sorti ce malencontreux coup de grisou.
Smith prit une autre chandelle, l’alluma et pénétra dans le boyau duquel James Willis avait été si rudement projeté par l’explosion.
Après une absence qui dura cinq minutes à peine, il reparut en donnant les signes d’une indescriptible émotion. Pâle comme un cadavre, les yeux hors de la tête, la bouche agitée de contractions spasmodiques, les bras secoués de tremblements nerveux, il pouvait à peine s’avancer, car ses jambes lui refusaient le service.
Il eut le temps de ficher sa lumière dans une fissure, puis il prit sa tête à deux mains, s’arracha les cheveux, se mit à rire, à hurler, à chanter, à sangloter comme s’il eût été en proie à un accès de démence.
La parole lui revint enfin, et il vociféra des lambeaux de phrases dont l’incohérence était incompréhensible pour le Révérend.
– C’était vrai !... j’avais raison !... Eux aussi. Et toi !... Qu’es-tu venu faire ici, coquin ? Je te couperai en morceaux. Tu es la cause de tout... de mon ivresse... de mon désespoir !... Tiens ! il faut que je te tue !
» Te tuer !... non c’est trop peu. Je veux te dépecer tout vif, faire cuire des lambeaux de ta chair et les manger devant toi !
» Mais non ! Tu es mon vieux compagnon... Toi !... James Willis !... mon complice !... Je t’aime comme un frère. Je veux t’embrasser !... te guérir... Oublions tout... oui tout... je te pardonne.
» Heep !... heep !... heep !... Hourra !...
» God save the Queen !...
» Chantons !... mais chante donc aussi...
» Rule Britannia !...
» Chante une chanson de bagne. Dis une prière !... Profère des blasphèmes. Mais dis quelque chose... parle !... Que j’entende une voix humaine... une autre voix que la mienne... Elle me fait mal.
» Viens !... Mais viens donc... Là... au fond du boyau de mine.
» Tu ne peux plus marcher... je te porterai... n’aie donc pas peur !
» Il faut que tu voies... James...
Et saisissant le blessé d’une seule main, il l’enleva comme un enfant, l’assit sur son avant-bras, prit la lumière de l’autre main, pénétra dans la galerie, la suivit en courant, et s’arrêta brusquement au bout d’une quinzaine de mètres.
– Mais regarde donc, et dis-moi, si devant un pareille spectacle toutes les rancunes ne doivent pas s’apaiser, les colères se calmer, les haines s’éteindre.
– Que vois-tu donc ? Qu’y a-t-il ? demande James Willis d’une voix étouffée.
– Notre fortune... Une fortune inouïe... immense jusqu’à l’absurdité.
– Hein !
– Nous sommes en présence du trésor des Rois Cafres !...
» Voilà pourquoi j’ai tout à l’heure perdu la tête, au point de te pardonner toutes les turpitudes passées...
» Oh ! sois tranquille. Je n’ai qu’une parole et ne songe nullement à me dédire.
» Vienne le moment où nous quitterons cette caverne, et ce moment ne saurait être éloigné, tu participeras à mon opulence.
» Car, en somme, si tu es la cause indirecte et involontaire de la découverte, cette découverte n’en est pas moins opérée.
– Mais, je n’aperçois rien, reprit le Révérend subitement rasséréné par les paroles amies accompagnant cet étrange revirement.
» Je ne vois que des squelettes, quelques momies plus ou moins desséchées, des armes indigènes.
– Et ces poteries grossières, symétriquement rangées devant ces débris humains, que crois-tu donc qu’elles renferment ?
Une brusque évolution du bushranger arracha un cri de douleur à James Willis dont les deux jambes pendaient mutilées. Sam déposa le blessé sur le sol, éleva sa lumière au-dessus de sa tête et reprit :
– Tout cela est plein de diamants, mon camarade. Tu entends, n’est-ce pas, de diamants, en présence desquels ceux qui étaient enfouis dans le sol de mon magasin, et que tu m’as empruntés avant mon arrivée, feraient piètre figure.
» Tiens, regarde plutôt !
Le bandit à ces mots cambra en arrière sa haute taille, et lança à toute volée un formidable coup de pied à travers une potiche ventrue placée entre les jambes croisées d’un squelette accroupi sur le sol.
Le vase, fracassé par la dure semelle de la botte, vola en éclats, pendant que le squelette, désagrégé par le même choc, s’éparpillait au milieu d’une véritable grêle de diamants de toutes grosseurs.
On devine sans peine ce qui avait amené cette singulière découverte, et la part que le hasard y avait prise.
James Willis, creusant la galerie latérale devant le conduire au bord du fleuve, rencontra une cavité close renfermant une quantité considérable de grisou. Son coup de pic eut le même résultat que s’il eût été porté dans la paroi d’un réservoir à gaz. Ayant commis l’imprudence d’approcher une lumière, il produisit l’explosion qui, en le mutilant, effondra une partie de la muraille formant la cavité.
Survint alors Sam Smith, au moment où une nouvelle et plus considérable quantité de grisou, mise en liberté par la désagrégation de la muraille, s’échappait de tous côtés avec des sifflements caractéristiques. Son instinct d’ancien mineur lui révéla aussitôt les périls de la situation et lui suggéra l’unique moyen d’y remédier sans plus tarder.