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C’était Gun, Horse et Magopo.

Il n’est pas besoin de pousser plus avant la reconnaissance que devaient opérer les Batokas, puisque le motif qui en nécessitait l’exécution a cessé d’exister.

Les braves noirs, définitivement rassurés, rompent aussitôt leur ligne de bataille, se pressent, s’embrassent, exécutent même quelques cabrioles, et s’apprêtent à redescendre pour aller en grande pompe à la rencontre du chef et des deux jeunes gens.

Les Européens, trempés jusqu’aux os, mais réconfortés par les rayons bienfaisants du soleil, s’apprêtent à se joindre à eux, et vont quitter sans regret ces lieux qui eussent pu leur être si funestes.

Seul, Joseph semble vivement préoccupé.

– Eh ! caraï !... monsieur Albert, je veux bien m’en aller, mais je voudrais auparavant, savoir deux choses.

– Dis-nous cela, Joseph.

– D’abord, où peut bien être passé le pauvre nègre que j’ai vu tomber frappé d’un coup de feu.

– D’un coup de feu !... Tu as rêvé.

– Non pas, vivadioux ! J’ai parfaitement entendu et vu.

» J’étais dehors, moi, pendant que vous vous trouviez blottis sous la roche.

– Allons, je ne veux pas te démentir. Il y a eu un coup de feu tiré et un homme blessé.

– Eh ! bien, voilà, je voudrais savoir où est cet homme, dont ses compatriotes paraissent se soucier autant que de l’Exposition universelle, et connaître l’individu qui a tiré sur lui.

– Tiens !... c’est une idée, cela. D’autant plus que, au cas où tu ne te serais pas trompé, ce personnage énigmatique dont nous n’apercevons pas trace, ne saurait être bien loin.

– Je vais, en conséquence, puisque vous m’y autorisez, escalader la plate-forme sous laquelle vous vous êtes abrités, et jeter un coup d’œil sur les environs.

– Surtout, prends garde !

» S’il t’arrivait malheur, je ne m’en consolerais jamais.

– Va bien. Je vais me « défiler » par principes, me glisser à quatre pattes, m’affaler gentiment sur la roche, puis, ouvrir l’œil, et « la bonne ».

Le Catalan opéra sa manœuvre avec autant de promptitude que d’agilité. Ascension, examen des lieux, descente, furent l’affaire de quelques minutes à peine, et Joseph apparut aux yeux de ses amis en se grattant furieusement l’occiput, ce qui, chez lui, était l’indice d’une violente préoccupation.

– Qu’avez-vous vu ? demanda Alexandre.

– C’est drôle tout de même, allez !

– Quoi ?

– Tenez, je vais vous expliquer ça.

» Où plutôt, non, je ne vais rien vous expliquer du tout, car je n’y comprends goutte.

» Je vais vous dire seulement ce que j’ai vu.

– Voyons, finiras-tu, sempiternel bavard, s’écria Albert.

– Laisse-le au moins commencer, observa fort judicieusement Alexandre.

– Voici donc la chose, reprit Joseph.

» Figurez-vous que de gauche à droite, en partant de la faille, c’est-à-dire en suivant le courant, la roche noire qui forme le sol, se trouve coupée par une longue ligne d’une substance blanche dont il m’est impossible de connaître la nature.

» Cette substance a tout au plus quatre mètres de large, et s’étend à trois ou quatre cents mètres en longueur sur notre droite.

– Très bien. Jusqu’à présent, rien de plus clair. C’est probablement une veine de calcaire incrustée dans le basalte.

» Cela n’a rien d’étonnant.

– Bon. Je vous crois sur parole, car vous savez tout, et bien autre chose encore, continua Joseph, en attribuant à son ami l’étonnante formule de Pic de la Mirandole.

» Mais où vous allez trouver comme moi la chose pour le moins bizarre, c’est quand je vais vous avoir décrit l’aspect de cette ligne blanche.

» Comme elle est placée au milieu d’un petit ravin à peine sensible, toutes les eaux, tombées sur la colline pendant l’orage, se sont réunies dans cette dépression et l’ont recouverte.

» Enfin, voilà où cela devient extraordinaire ; c’est que ces eaux, devenues tout à coup complètement blanches à son contact, bouillonnent de tous côtés, en émettant de légères valeurs.

» On dirait un ruisseau dans lequel bouillotte une énorme soupe au lait, sans que l’on puisse savoir où est placé le fourneau qui chauffe cette marmite dont le fond se trouve être la surface de la terre.

» Voilà ce que j’ai vu. Si vous avez l’intention de vous en rendre compte par vous-même, montez là-haut. La vue n’en coûte rien.

– Ma foi, s’écria Alexandre, que cette description probablement fidèle d’un nouveau et non moins incompréhensible phénomène intriguait vivement, j’en aurai le cœur net.

Il allait à son tour escalader le raidillon conduisant à la plate-forme, quand une sourde détonation éclata à l’extrême rebord de la muraille noire formant la rive droite du Zambèze. Un épais flocon de fumée blanche sortit d’une fissure qui déchira soudain la roche, et une pluie de débris s’abattit de tous côtés, dans un périmètre de quinze à vingt pas.

Il y eut un instant de surprise chez les spectateurs de ce fait singulier, bien que l’éloignement relatif du point où se produisit l’explosion en rendît les effets inoffensifs.

– Ça, c’est un fourneau de mine, où je ne m’y connais pas, fit Joseph, qui rompit le premier le silence.

– Pas possible ! s’écria Albert.

La fumée se dissipa aussitôt.

– Et voici les mineurs ! reprit Joseph, à l’aspect d’un homme vêtu d’habits en lambeaux et qui, souillé d’une boue noire, émergeait de l’ouverture pratiquée par la mine, pendant que deux autres individus, sortant on ne sait d’où, couraient éperdus, comme pris de vertige.

Deux cris échappèrent simultanément à Albert et à Alexandre en reconnaissant ces hommes apparaissant si étrangement à moins de cinquante métros.

– Sam Smith !...

– Les Boërs !...

Les Batokas accouraient en même temps au bruit de l’explosion, prêts à secourir les Européens et à les arracher à tout prix à un nouveau péril.

Déjà, leur ligne hérissée de sagaies apparaissait sombre et menaçante et s’arrêtait devant le calcaire blanc qui, suivant la pittoresque expression de Joseph, bouillottait comme une immense soupe au lait.

Le bushranger promena de tous côtés un regard circulaire, reconnut les Boërs et les interpella rudement.

Ceux-ci s’arrêtèrent aussitôt, et parurent entamer avec lui un rapide conciliabule.

Pendant ce temps, Alexandre faisait signe au lieutenant des Magopo qui s’approchait vivement pour se concerter avec lui, relativement aux moyens à employer pour opérer la capture des trois vauriens.

Tout à coup, ces groupes divers demeurèrent immobiles, et chacun se tut comme frappé de stupeur.

Un craquement sonore se fit entendre et domina pour un moment le ronflement de la cataracte.

Une secousse violente, comparable à la trépidation que fait éprouver au sol un tremblement de terre fit osciller la colline tout entière.

Français et Batokas titubèrent un moment et durent s’accroupir pour ne pas être renversés.

Puis, une série ininterrompue de craquements retentit pendant quelques secondes, alternant avec des secousses de plus en plus intenses.

Il leur sembla que la terre se dérobait sous leurs pieds et qu’ils allaient être précipités dans l’abîme.

Ce n’était que trop vrai.

Toute cette portion de la colline, enserrant le fleuve du côté droit, glissait lentement, et perdait peu à peu ses adhérences avec la terre ferme.