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Il serait impossible de décrire les transports du misérable en apercevant un coin de ciel bleu au-dessus de sa tête, à travers l’ouverture pratiquée par la mine. Il bondit comme poussé par un ressort, émergea du réduit au fond duquel ruisselaient des milliers de gemmes fabuleuses et se trouva en présence des Boërs se cachant pour éviter le retour offensif des Batokos.

Les pourparlers ne purent être bien longs, car les trois gredins, bientôt en proie à une folle épouvante, sentirent aussi la terre trembler, puis osciller violemment.

Ils voulurent s’élancer, échapper à ce sol mouvant, soustrait tout à coup à son immobilité séculaire.

Vains efforts ! Incapables de reprendre leur équilibre, terrassés par un force mystérieuse, ils s’accrochèrent inconsciemment aux pointes de roc, avec l’énergie désespérée de naufragés étreignant les épaves d’un navire en perdition.

Muets, crispés, haletants, n’ayant bientôt plus conscience d’eux-mêmes, effarés au point de ne pouvoir même pas proférer une plainte ou un appel, ils se sentaient rouler dans l’abîme béant qui les sollicitait.

En effet, toute l’énorme portion de terrain circonscrite par la chaux venait d’être entièrement détachée de la terre ferme. La masse glissa lentement d’abord avec un sourd grondement. Il y eut ensuite un temps d’arrêt pendant lequel la matière parut se tasser, puis le mouvement s’accéléra, avec un indescriptible fracas d’avalanche.

Enfin, le bloc entier s’abîma dans le gouffre sans fond où rugissait le Zambèze, emprisonné dans la coupure basaltique. Roches, arbrisseaux, trésor, momies, tout disparut en un clin d’œil, avec les misérables annihilés par l’approche de la mort, comme les condamnés que les aides du bourreau transportent inertes sous le couperet fatal.

Une voix amie vint arracher les Européens à la stupeur où les avait plongés ce spectacle terrifiant.

Magopo apparaissait radieux, transfiguré, entre Gun et Horse. Montrant du doigt la plaie béante au flanc de la montagne, et les eaux du fleuve devenues tout à coup laiteuses au contact de la chaux, le noir s’écria de son accent guttural :

« – Ici reposaient en paix avec leurs trésors les anciens rois cafres.

» Les blancs impies ont violé leur sépulture et voulu ravir le trésor.

» Les Barimos ont empêché le sacrilège.

» Les Barimos sont terribles.

» Que la dépouille de nos pères repose à jamais sous les eaux du fleuve qui est le bon génie de ma race ! Que les pierres de feu qui ont excité tant de convoitises, restent toujours enfouies au fond du gouffre !

» Les eaux de Mosi oa Tounya sont des gardiennes incorruptibles. Nul ne pourra jamais, à moins de les tarir, commettre un nouveau sacrilège et appeler sur mon peuple la colère des Barimos.

» Les Batokas vivront. »

Épilogue

Un hasard providentiel avait empêché les Européens de rouler dans l’abîme avec ceux qui, pendant si longtemps, les avaient poursuivis de leur haine aveugle.

La veine de calcaire s’arrêtait à cinq ou six pas à peine du point où ils se trouvaient, et d’où ils avaient assisté avec l’émotion que l’on peut concevoir à l’épilogue du drame auquel ils avaient été si souvent mêlés.

La déchirure circonscrivit le rocher sur lequel ils s’étaient abrités pendant l’orage et s’étendit en biais jusqu’à la faille, transformant la plate-forme basaltique en un promontoire aigu au bas duquel rugissait le torrent furieux.

Soustraits enfin à ce cauchemar poignant qui avait failli devenir une terrible réalité, heureux de se sentir débarrassés de la menace permanente personnifiée par les Boërs, le Révérend et le Bushranger, ils se mirent en devoir de regagner le kopje Victoria où ils espéraient retrouver les moyens de rentrer en pays civilisé.

Ils rencontrèrent l’Ingénieur qui, désespéré de n’avoir vu personne au rendez-vous, accourait à tout hasard vers la faille, attiré par le fracas assourdissant que produisit le cataclysme final.

Enfin réunis, ils ne pensèrent plus qu’à fuir ce lieu désolé, pour se rapprocher au plus vite des endroits civilisés.

Tous envisageaient d’ailleurs avec la plus complète indifférence, la perte du Trésor des Rois Cafres.

Albert, tout entier au bonheur d’avoir retrouvé sa compagne, eût été parfaitement heureux, en dépit de la ruine de ses espérances, sans la douleur causée par la mort de son beau-père.

Joseph, sobre comme un véritable Catalan, ignorant les besoins matériels, se trouvait bien partout où il était près de son frère de lait. Que lui importaient tous les diamants du monde, pourvu qu’il eût toujours un coin de cœur pour réchauffer son affection.

Quant à Alexandre, son incomparable philosophie lui faisait envisager les hauts et les bas de l’existence avec une sérénité antique.

– Me voici Gros-Jean comme devant, répétait-il de sa voix tranquille. Je n’ai plus qu’à reprendre le pic du mineur.

» Je trouverai un autre claim, et je viendrai m’installer près de vous, aux Pyrénées, après fortune faite.

» L’essentiel, pour l’instant, est de rallier le kopje Nelson’s Fountain, et nous n’y sommes pas encore.

– J’espère bien, repartit Albert, que nous y arriverons sans encombre.

» Notre bon ami Magopo nous fera volontiers la conduite avec une solide escorte dont la présence éloignera les irréguliers dont pullule ce lieu maudit.

Tout en devisant de la sorte, ils arrivèrent au kopje Victoria qui offrait le spectacle le plus lamentable. L’Ingénieur les mit au courant des derniers événements qui avaient désolé ce lieu où ils avaient eux-mêmes failli terminer si tragiquement leurs aventures.

Ils résolurent de donner la sépulture à toutes ces victimes de la férocité des Boërs, et d’empêcher au moins que leurs dépouilles ne devinssent la proie des animaux sauvages.

Les Batokos offrirent généreusement leur concours, et bientôt les cadavres des malheureux mineurs, décemment ensevelis dans des fragments de la tente, reposèrent pour l’éternité au fond d’un claim diamantifère.

Puis, Européens et Indigènes se mirent sans désemparer en route pour la région du Sud, Magopo dont la complaisance était inépuisable, avait donné à chacun un superbe bœuf de selle, pourvu d’un harnais commode, sinon élégant, et grâce auquel les étapes devaient être parcourues sans trop de fatigues.

La troupe cheminait gaiement, et c’était plaisir de voir Esther et madame de Villeroge, assises sur la robuste échine de leur pacifique monture, s’avancer, escortées, la première d’Alexandre, la seconde de son mari, qui, munis chacun d’un parasol en feuilles de latania, défendaient les gracieuses amazones contre les ardeurs du soleil.

L’Ingénieur, seul survivant du massacre, n’avait pas voulu quitter ses nouveaux amis. Il ralliait également Nelson’s Fountain et faisait volontiers sa compagnie de Joseph, laissant discrètement les deux couples au bonheur d’un adorable tête-à-tête.

Zouga et le Bushman venait à la suite, et précédaient un groupe de guerriers formait l’arrière-garde.

Alexandre s’était institué le cavalier servant d’Esther et chacun, à commencer par la jeune fille, trouvait cela parfaitement naturel.

Pourquoi pas ! jeunes tous deux ; également beaux, honnêtes et bons, susceptibles aussi d’une entière abnégation, qu’y avait-il d’étonnant à ce que leurs cœurs allassent au-devant l’un de l’autre, et s’unissent dans une mutuelle sympathie.

– Nous les marierons bientôt, disait à voix basse madame de Villeroge à son mari qui souriait malignement en regardant à la dérobée ce couple superbe.