Cela devait être, et cela se fit, sans phrases, avec la simplicité recueillie qui convenait au deuil récent dont la jeune fille venait d’être frappé.
On arrivait à Nelson’s Fountain. Alexandre, pâle et tremblant malgré sa vaillance ; demanda à Esther si elle voulait l’agréer pour époux.
La jeune fille, toute rougissante, laissa tomber sa main dans la sienne, et murmura bien bas ce seul mot :
– Oui.
Il fut convenu séance tenante que le mariage serait accompli dans le plus bref délai, et conformément à la loi anglaise, sauf à lui donner plus tard la consécration de la loi française, devant le représentant officiel du pays.
La cérémonie eut lieu devant une foule sympathique composée de mineurs qui, connaissant les aventures des nouveaux époux, témoignèrent par des hourras enthousiastes, la joie que leur causait ce dénouement aussi heureux qu’imprévu.
Un incident étrange et pénible tout à la fois, faillit pourtant troubler cette fête qui révolutionnait littéralement le kopje. Au moment où le cortège quittait l’habitation du délégué de l’autorité britannique, un homme couvert de haillons sordides, la barbe inculte, la face contractée, les yeux égarés, s’élança vers Alexandre et tenta de le saisir au collet, en hurlant d’une voix rauque :
– Au nom de la loi, je vous arrête !....
C’était Master Will !
Master Will qui, échappé par miracle aux crocs mortels du pickakolou, avait été frappé de démence, tant fut vive sa terreur en sentant le contact du hideux reptile.
Le malheureux, après avoir erré à travers le désert, avait été rencontré par une horde de noirs errants. Ceux-ci, pour lesquels la folie est chose sacrée, reconnaissant d’ailleurs dans l’aliéné un Européen, l’avaient rapatrié.
– Té ! s’écria Joseph, le policeman.
» Oh ! le pauvre !...
» Il me fait de la peine, quoiqu’il ait agi à notre égard comme un chenapan.
» Monsieur Albert, sans vous commander, si nous le faisions conduire à Cape-Town...
» On pourrait s’arranger de façon à payer sa pension dans une maison de santé.
– Entendu, mon bon Joseph. Je m’associe de grand cœur à ta « vengeance ».
– Merci ! le courrier arrive demain, nous l’emballerons dans sa voiture.
Ce courrier se présenta à l’heure indiquée, avec cette régularité chronométrique dont les Anglais possèdent l’heureux privilège. Il apportait à Albert une lettre volumineuse dont la suscription, d’une écriture inconnue, était rédigée avec un luxe de détails qui le fit sourire.
– Ma parole ! on dirait une lettre de notaire, murmura le jeune homme.
» M’annoncerait-elle un héritage ?
Il ne croyait pas si bien dire. Un parent, à un degré infinitésimal et qu’il connaissait à peine de nom, s’était tout doucement laissé mourir en lui léguant sa fortune. Une fortune monstre dont le chiffre atteignait une quantité respectable de millions, disait la missive émanant effectivement d’un notaire.
Le parent était presque centenaire ; Albert, en fouillant les souvenirs déjà lointains de son enfance, ne pouvait se rappeler de l’avoir entrevu ; toutes conditions suffisantes pour atténuer ses regrets et lui permettre de se réjouir décemment de cette aubaine inespérée.
– Eh bien ! dit-il à Alexandre, part à deux. Je ferai rebâtir Villeroge et tu viendras t’y installer avec ta compagne.
Alexandre allait opposer à cette offre fraternelle un refus affectueux, mais formel, quand l’Ingénieur qui, depuis la veille, parcourait le kopje à la recherche d’une concession, entra dans la case en manifestant les signes de la plus vive émotion.
Il avait entendu les dernières paroles d’Albert.
– Cher monsieur, dit-il à Alexandre, pardonnez-moi d’entrer ainsi comme un ouragan, sans vous avoir même fait prévenir.
» Ma grande affection pour vous est ma seule excuse ; et je suis si heureux d’arriver porteur d’une nouvelle qui va vous remplir de joie !
– Vous savez bien, mon cher bienfaiteur, que vous n’êtes jamais indiscret avec nous.
» Nous ne faisons qu’une seule famille, et vous en êtes.
» Parlez.
– Cherchant hier un claim à ma convenance, je parcourais en tout sens le kopje, regardant de préférence les concessions abandonnées.
» L’aspect de l’une d’elles me frappa singulièrement, et je reconnus au premier coup d’œil, à des signes indéniables pour un vieux routier comme moi, qu’elle devait être colossalement riche.
» J’y fis pratiquer aussitôt des fouilles. Les résultats furent éblouissants.
» Je me rendis sans désemparer au bureau du cadastre pour savoir si ce claim était définitivement abandonné, et me l’approprier le cas échéant.
» Le directeur me répondit que le claim, vendu jadis au sieur Samuel Bernheim par un Français, M. Alexandre Chauny...
– Ma concession !... s’écria Alexandre.
– ... Appartenait, par droit d’héritage et en toute propriété à mademoiselle Esther Bernheim, aujourd’hui madame Chauny.
» Recevez, cher monsieur, les sincères félicitations de celui qui a eu le bonheur de reconnaître l’opulence prodigieuse de ce claim. Vous êtes dorénavant riche comme feu Crésus, et vous pourrez le vendre ce que vous voudrez.
– Je préfère, répondit en souriant le jeune homme, en continuer l’exploitation, avec un directeur intelligent et honnête. Je lui donnerai cinquante pour cent dans les bénéfices, quelle que soit leur importance...
» Il pourra tailler, rogner, agir à sa fantaisie, et je ne serai pas un associé gênant, car mon intention formelle est de retourner en France.
» Il va sans dire que vous acceptez ces fonctions de directeur.
– Moi !... Mais, c’est une fortune énorme...
– Eh bien ! tant mieux. Vous êtes homme à en faire bon usage. La situation prépondérante que vous aurez bientôt acquise vous permettra, en outre, de continuer l’œuvre de pacification et de progrès commencée par les vaillants explorateurs vos compatriotes.
» Vous connaissez les indigènes. Ils nous aiment. Vous pourrez, je l’espère, arracher ceux de la région au hideux servage des Boërs et leur restituer enfin leur part d’indépendance et de liberté.