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– Puissamment raisonné et... calculé. Mais, au risque d’enduire de fiel les bords de la coupe où tu puises tes illusions, permets-moi de te faire une observation.

– Dis.

– Tu oublies les moyens de transport.

– J’allais y arriver.

» La mâchoire du second éléphant si proprement décousu par le rhinocéros, représente sensiblement la même quantité de matière première et conséquemment d’argent monnayé.

» Quant à celui que Joseph a éclopé, et que nous retrouverons peut-être, nous en parlerons le cas échéant.

» Il n’en est pas moins vrai que notre matinée peut se chiffrer par un bénéfice net de trois mille francs.

– Mais, encore une fois, le transport de cette denrée encombrante...

– C’est l’affaire de nos chevaux. Nous arrimerons proprement les quatre défenses sur leurs dos, nous les confierons en dépôt au chef de la station la plus proche, et nous les reprendrons au retour.

» Alors, de deux choses l’une : ou nous aurons trouvé le trésor du descendant des chefs cafres, et nous ferons cadeau de l’ivoire au dépositaire, ou nous reviendrons les mains vides. Dans ce dernier cas, nous achèterons dans le voisinage un chariot avec la quantité de bœufs nécessaires, nous reprendrons notre marchandise, sans préjudice de celle que nous récolterons pendant notre expédition.

– Pas mal. Mais l’approvisionnement pour le retour.

– Nos braves noirs nous montrent la manière de l’obtenir. Leur sieste finie, vois donc avec quel empressement ils découpent en tranches fort minces ce qui reste de ta victime. Ce qu’ils vont en faire, tu le devines. Ils vont accrocher tout cela aux arbres, en plein soleil, jusqu’à complète dessiccation. C’est ce qu’on appelle ici le « beultong » et le « tasajo » au Mexique.

» Ils traiteront le second animal par le même procédé, et auront là de quoi parer pour longtemps aux éventualités de la misère.

» Et maintenant, si tu m’en crois, nous allons nous installer pour bivaquer le plus commodément possible. Voici la nuit, nous sommes harassés. Nos hommes vont allumer des feux pour chasser les bêtes que ne manquera pas d’attirer cet abattoir. Nous allons nous installer près de la fosse où mijotent à l’étouffée, pour notre déjeuner, les pieds que l’on pourrait appeler piédestaux. Puisse un sommeil bienfaisant réparer les fatigues de la journée !

Ce désir si naturel ne fut pas exaucé. Le camp était plongé depuis trois heures à peine dans un profond silence qu’un bruit terrible retentit sous bois à quelques pas des dormeurs. Européens et indigènes se lèvent tumultueusement, saisissent leurs armes et se mettent sur la défensive. Les chevaux attachés au centre de la clairière, renâclent en proie à l’épouvante et tentent de rompre leurs entraves.

Le tumulte est à son comble et les trois amis essaient en vain de mettre un peu d’ordre dans ce pêle-mêle de bêtes et de gens affolés.

VI

Quatuor de brigands. – Les exploits d’Albert de Villeroge écrits en caractères indélébiles sur la face des Voleurs de Diamants. – Dans la cabane solitaire. – Moitié hippopotames et moitié bisons. – Le Révérend. – Une industrie dans le marasme. – L’amour et la haine d’un bandit africain. – Voleurs, ivrognes, joueurs et cupides. – Encore le trésor des rois Cafres. – Le plan de Klaas. – Une lettre et un fait divers. – Inextricable réseau d’intrigues. – Un homme qui a besoin d’un cadavre !...

– Que le diable m’emporte et vous torde le cou à tous trois, si je ne vais pas être, pour cette fois, débarrassé de ce Français maudit !

– Klaas, mon frère, je crois que vous vous bercez encore d’une illusion.

– La peste vous étouffe, Cornélis, avec votre perpétuelle manie de me contredire en tout et pour tout.

– Bon, vous me souhaitiez tout à l’heure les griffes de Belzébuth en guise de cravate, et maintenant, vous m’envoyez la peste !

» Klaas, mon frère, vous déraisonnez.

– Notre cher frère Klaas voit rouge.

– Vous voulez dire, Pieter, qu’il a vu rouge, tout à l’heure.

– La paix, Cornélis !... La paix, Pieter !... Je ne suis pas une femmelette. Que j’aie ou n’aie pas vu rouge, peu importe.

» Vous savez bien que je me soucie autant de couper le cou à un homme que de saigner un poulet.

– À un Cafre ou à un Hottentot, je ne dis pas, mais à un homme de votre couleur !...

– Peuh ! C’était un juif. Je n’ai pas plus hésité à lui planter mon couteau dans la gorge, qu’à poignarder son chien de garde.

» Au contraire. Le chien avait des crocs et pouvait se défendre. Tandis que le juif n’a pas plus résisté qu’un mouton.

– Alors, je ne comprends plus votre émotion. Cette espèce d’état nerveux dans lequel je ne vous ai jamais vu, qu’une seule fois, m’étonne et m’inquiète.

– C’est que la rencontre du Français, que l’enfer confonde, m’a complètement bouleversé.

– Il fallait le traiter comme vous avez traité le mécréant.

– Vous savez bien que c’est un véritable démon. Qu’il est aussi fort, mais plus adroit et plus agile qu’aucun de nous.

– Ah ! non, par exemple. Parlez pour vous.

» Comment, sous prétexte que cette espèce d’écervelé vous a appelé en duel, que vous avez été assez stupide pour accepter de vous battre avec lui au pistolet et assez maladroit pour le manquer, qu’enfin vous faillîtes tuer raide le père de celle dont vous sollicitiez la main, vous allez tresser à cet aventurier des couronnes de myrte et de laurier, et lui reconnaître sur des vaillants comme nous une supériorité que je conteste.

» Klaas, mon frère, je disais tout à l’heure que vous voyiez rouge. Je suis à présent d’avis que vous ne voyez plus du tout.

– C’est bon !... Vous braillez comme des corneilles, maintenant qu’il n’est plus là. Il nous a pourtant affrontés tous trois et vous en portez encore les marques. Vous, Cornélis, le fanfaron, si la balle de son revolver au lieu de vous arracher un œil avec la moitié de l’orbite, vous était arrivée au beau milieu de la face.

– ...Un joli coup ; je n’en disconviens pas. Eh bien ! après. Je lui revaudrai cela à la première occasion.

– Et vous, Pieter, que n’allez-vous le prier bien gentiment de vous ébrécher de nouveau son sabre sur le crâne.

– Eh ! butor, c’est justement pour cela que je vous en veux de ne pas lui avoir fait payer notre dette commune, puisque vous en aviez la faculté.

– Avez-vous oublié, continua le personnage répondant au nom de Klaas, sans paraître remarquer l’interruption, cette magnifique retraite qu’il opéra sous le canon de nos carabines !

» Pendant trois semaines, il a éventé nos ruses, déjoué nos embûches, et évité notre rencontre. Le terrain lui semblait plus familier qu’à nous, et pour une fois qu’il s’est laissé rejoindre, deux d’entre nous sont restés sur le champ de bataille.

» Et pourtant, il avait une femme à protéger !...

» Je vous le dis, cet homme est un démon.

– Pourrait-on connaître le procédé grâce auquel vous vous êtes débarrassé de lui ?

– Sans doute. Car je vous ai donné rendez-vous dans ce chenil pour vous expliquer ce que j’ai fait, et vous confier mes projets.

– Parlez, nous écoutons.

– Dites donc, Révérend, vous qui possédez l’œil d’un chat-tigre, et l’ouïe d’un springbok, allez donc faire une ronde, pendant que je vais m’humecter le gosier, et rassembler mes idées.