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Peu importent aux travailleurs les maux de gorge ou les ophtalmies, les ulcères malins ou les abcès froids, nul n’a souci de son corps ! Tel qui possède une fortune enfouie dans le sol de sa baraque de toile, marche pieds nus, couvert de loques, et vit de biscuit trempé dans du Cape brandy (eau-de-vie du Cap). La vie pour tous ces enragés se résume dans un seul mot, dont les lettres flamboyantes les éblouissent jusqu’à l’hypnotisme : Diamant...

Aussi n’est-il pas étonnant que l’arrivée de quatre personnages, d’aspect assez inusité pourtant, n’ait excité sur le kopje qu’une attention distraite. Ces nouveaux venus, deux Européens et deux noirs, semblent, les premiers surtout, absolument étrangers au personnel des mines. Celui qui paraît être le chef, est un homme d’une trentaine d’années, de moyenne taille, maigre, basané, aux cheveux courts, frisés, à la barbe d’un noir bleu, aux yeux de feu. Ses traits réguliers, d’une excessive mobilité, attestent une origine méridionale. La distinction du visage, ainsi que la finesse des extrémités, indiquent un homme de race. Son armement et son équipement montrent en outre qu’il est excessivement soucieux de ce confort que dédaignent les mineurs. Un casque insolaire, en moelle d’aloès, recouvert d’une coiffe en flanelle blanche, protège sa tête contre les ardeurs du soleil. Son habillement se compose d’une blouse de drap molletonné, à ceinture, et pourvue d’une infinité de poches. C’est un vêtement incomparable dont l’agencement révèle une expérience approfondie des expéditions lointaines. Ses culottes de velours olive, larges et plissées au genou, disparaissent dans une vaste paire de bottes en cuir fauve. Un large coutelas, pouvant servir de sabre d’abatis ou de couteau de chasse, est accroché à un ceinturon de cuir jaune ; il porte en outre une énorme cartouchière passée en bandoulière et un fusil à deux coups, de gros calibre. Enfin, deux chaînettes supportant, l’une une montre, l’autre une boussole en nickel, sortent de deux poches spéciales, placées à portée de la main.

Le costume et l’équipement de son compagnon, sont l’exacte répétition du sien. Mais là s’arrête la ressemblance entre les deux hommes, bien que ce dernier paraisse avoir le même âge, qu’il appartienne aussi à la race du Midi, et que ses traits indiquent la même nationalité. Le premier, porte avec une suprême distinction l’élégant débraillé de l’explorateur, le second a une apparence plus vulgaire, qu’un observateur superficiel reconnaîtrait même à première vue. On devine en un mot, sans qu’il soit besoin de plus longues explications, que l’un est le maître, l’autre le serviteur.

Les noirs, deux fantaisistes, sont absolument épiques. Leur vêtement, rudimentaire au possible, mérite une courte description. C’est le comble du baroque. L’un a un pantalon, l’autre une chemise. On peut deviner dans quel état l’usure et la malpropreté ont réduit ces deux haillons. Le costume de l’homme à la chemise se complète d’un chapeau de feutre dont le fond absent laisse passer les mèches hirsutes d’une tignasse laineuse, d’un couteau pendu au milieu des reins comme une clé de chambellan, et de boucles d’oreilles en laiton, au bout desquelles se balancent deux morceaux d’obsidienne de la grosseur d’un abricot. L’heureux possesseur du pantalon, est coiffé d’un fond de corbeille qu’il a orné d’une petite boîte cylindrique ayant contenu des anchois et attaché en guise de pompon avec une ficelle. Sa pipe est passée dans le lobe inférieur de l’oreille droite, et le lobe gauche est distendu par l’étui en carton vert d’une cartouche vide, à la base de laquelle scintille le culot de cuivre.

Ainsi costumés, ces deux personnages paraissent ravis, et laissent tomber des regards empreints d’une hautaine commisération sur les travailleurs noirs, auxquels la destinée a refusé un pareil luxe.

J’oubliais de mentionner qu’ils portent sur l’épaule chacun une énorme carabine à deux coups, à canons courts, réservée, selon toute probabilité, à la chasse des grands fauves du Continent africain.

Les deux blancs s’avancent lentement et regardent de tous côtés, comme s’ils étaient à la recherche de quelqu’un ou de quelque chose. Ils finissent par s’adresser à un policeman qui, après avoir respectueusement répondu à leur salut, les prie de le suivre, et les conduit à un claim au fond duquel s’agitent une demi-douzaine de diggers.

– C’est ici, messieurs, dit en s’inclinant l’homme de police.

Le jeune homme cherchant à percer d’un rapide regard le nuage de poussière qui s’élève du puits, s’avance jusqu’à l’extrême rebord. Quelques graviers se détachent et avertissent de sa présence les terrassiers, tout entiers à leur travail. L’un d’eux lève la tête, pousse un cri étranglé par la joie et l’émotion. Il s’accroche à l’échelle de perroquet construite à l’aide de chevilles enfoncées dans la paroi, émerge du trou, et peu soucieux de la vase épaisse qui recouvre ses haillons, sa face et ses mains, se jette dans les bras de l’élégant gentleman.

– Albert !... Albert de Villeroge... mon ami...

– Alexandre !... mon cher Alexandre, s’écrie d’une voix émue le voyageur, je te retrouve enfin.

– Toi ici... dans cet enfer... près de moi ! Quel hasard miraculeux t’amène ?...

– Il n’y a ni hasard ni miracle. Je te répondrai avec la précision de feu César revenant de battre le fils de Mithridate : Je suis venu, j’ai cherché, j’ai trouvé...

– Mon brave Albert !... Toujours gai !...

– Et pourquoi pas.

– Tu m’as cherché, dis-tu ?

– Avec acharnement.

– Dans quel but ?

– Pour te voir, naturellement, puis, pour faire ta fortune, ou plutôt la nôtre.

– La nôtre ?... Serais-tu comme moi ?...

– Ruiné à plat, mon bon.

– Mais, comment ?...

– Eh ! parbleu, le krach qui t’a enlevé ton dernier sou, m’a également nettoyé à fond.

– Pauvre ami !...

– Merci, tu es bien bon.

» Mais, notre entretien commence à exciter l’attention de tous ces gentlemen occupés comme toi à la recherche du diamant.

» Je n’aime pas beaucoup à me donner en spectacle. Si tu m’en crois, nous allons nous éloigner un peu. Tu as bien un chez toi, n’est-ce pas ? Une niche, un perchoir, que sais-je, moi.

– Tu l’as dit, niche et perchoir, tout à la fois. Un vrai taudis. Viens.

– Ah ! un mot encore. Que je te présente mon compagnon. Tu le connais d’ailleurs de nom et de réputation. C’est Joseph, mon frère de lait. Le fils de mon vieux métayer de Villeroge.

– Poupon, alors ?

– Parfaitement, Poupon veut dire Joseph en catalan.

» Et maintenant, Andiamo !

Le mineur qui répond au nom d’Alexandre, prend la tête de la file, évolue au milieu des sentiers pratiqués entre les claims et se dirige vers les tentes situées à un demi-kilomètre du diggin.

Alexandre Chauny est un homme de trente-deux ans environ, qui offre avec le nouveau venu un contraste frappant. Avec ses grands yeux bleus, ses cheveux blonds, ses longues moustaches fauves, sa haute stature, ses bras d’athlète et sa vaste poitrine, il rappelle ce type presque disparu des premiers habitants de l’ancienne Gaule. Cette ressemblance s’accentue encore au moral, car il possède aussi avec la verve légendaire de nos ancêtres, cette loyauté et cette bravoure devenues proverbiales.

– Voici la niche, dit-il, en écartant le pan mobile d’une tente-abri et voici le perchoir, termina-t-il en indiquant deux peaux de bœuf tendues sur des cadres montés sur quatre pieds.

– Installation simple, mais peu coûteuse, reprit gaiement Albert.