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» Je me charge de la faire parvenir. Quand elle l’aura reçue, elle partira sans désemparer.

– Quant au fait divers ?...

– Il relatera l’assassinat du juif et l’imputera naturellement à l’aventurier français.

– Mais, nul ne le croira.

– Comme il sera publié le lendemain du départ de la jeune femme, ce départ précipité ressemblant à une fuite inspirera des soupçons à l’autorité.

– Mais, vous allez nous attirer ici toute une horde de policiers.

– La belle affaire !... Vous les connaissez aussi bien que moi, et vous savez combien ils sont inoffensifs.

– Quel est donc votre intention ?

– De fermer à Villeroge, au moins pendant un temps, le territoire de la colonie. Sa femme étant en notre pouvoir, il n’aura pas le loisir de rester au Cap pour se disculper. Il mettra tout en œuvre pour la délivrer, mais, réduit à ses propres forces, il ne pourra demander assistance ni aux Anglais, ni aux Boërs d’Orange, sous peine d’être arrêté et de perdre un temps précieux.

– Il n’y a rien à ajouter à ce que vous venez de dire, ami Klaas. Voici vos deux documents. Le fait divers est plié en long, et la lettre en carré. N’allez pas vous tromper, au moins.

– Soyez tranquille.

» Maintenant, reposons-nous. Dans quelques moments on va découvrir le cadavre du juif et son dray mis au pillage. Je vais me mêler aux groupes et tâcher de lancer les officiers de police sur une fausse piste.

– Défiez-vous de master Will...

» À propos, avez-vous au moins opéré une capture sérieuse dans le chariot du mécréant ?

– Peu de chose, mais qu’importe. J’avais surtout besoin d’un cadavre, je l’ai pris où je l’ai trouvé...

VII

Réflexions d’un policeman présomptueux, mais irrésolu. – Un homme qui croit aux pressentiments. – Concert de fauves. – Rugissements de lion ou d’autruche. – Le chacal chasse pour le lion. – Nouvel exploit d’un habile chasseur. – Au secours !... – Dans la gueule du lion. – Il était temps. – Délire. – Appareil à fracture. – Rôti de pieds d’éléphants. – Aux gourmets civilisés. – Opinion du docteur Livingstone sur le lion de l’Afrique Australe. – Arrivée du Révérend qui reconnaît dans le blessé master Will, lui-même.

Bien que master Will, le policeman du kopje de Nelson’s Fountain, se regardât comme le plus habile détective du Royaume-Uni, il n’en fut pas moins forcé de s’avouer que l’entreprise dont il venait d’assumer, peut-être inconsidérément, la responsabilité, était hérissée de difficultés. Si l’opinion particulièrement avantageuse qu’il professait pour ses propres mérites l’avait poussé dans cette aventure au moins scabreuse, si, qu’on nous pardonne l’expression, il s’était emballé d’une façon insolite pour un tempérament Anglo-Saxon, la froide réalité produisit sur son enthousiasme l’effet d’une douche glacée.

L’émotion causée par l’assassinat du mercanti s’était, en quelques moments, calmée comme par enchantement. Le Champ de Diamants avait repris sa physionomie affairée ; les coups de pic résonnaient dans les claims, les seaux de cuir évoluaient en grinçant sur les fils de fer, et les diggers, un moment distraits par le sanglant épisode de la nuit, se livraient à leurs travaux avec la même âpreté. Ces fiévreux avaient, pardieu ! bien autre chose à faire que de s’occuper plus longtemps de ce lugubre incident. Ah ! si les coupables avaient été pris sur le fait et lynchés séance tenante, peut-être eût-on consenti à donner quelques instants à la contemplation d’une bonne pendaison. Les distractions sont rares, au diggin. Mais, qu’importaient aux mineurs les larmes d’une orpheline pleurant son unique soutien, qu’importaient aussi les réflexions plus ou moins désagréables d’un policier occupé à débrouiller les fils emmêlés comme à plaisir de ce drame mystérieux.

Les heures s’écoulaient, et master Will ne pouvait se résoudre à prendre une détermination. Aussi, les quolibets lancés par ses collègues, tombaient-ils drus comme grêle sur le présomptueux détective. Leurs lourdes plaisanteries eurent au moins cet avantage de l’arracher, en apparence du moins, à ses préoccupations, et de lui faire montrer une assurance qu’il était loin de posséder.

– C’est bon... c’est bon... répondit-il d’un ton bourru. Rira bien qui rira le dernier. Mêlez-vous de vos affaires. Les miennes ne vous regardent pas. Je ne vous demande ni aide ni conseil.

» Il me faut un congé. Je me l’accorderai si on me le refuse. Quant au reste, je saurai m’en arranger.

Là-dessus, master Will, prenant un parti héroïque, bourra son havresac d’objets indispensables, apprêta ses armes, sella son cheval, et se mit en route en conduisant sa monture par la bride. Il battit en tous sens le champ de Diamants, inspecta les claims, interrogea les mineurs, s’enquit minutieusement des départs ou des arrivées, et s’assura que sauf les Boërs et les Français, nul individu étranger au personnel du kopje n’avait paru sur le diggin.

Bien qu’il y eût là un millier de travailleurs, parmi lesquels bon nombre de gens sans aveu, pouvant être regardés comme susceptibles de commettre un attentat analogue à celui dont le Juif avait été victime, la pensée du détective revenait sans cesse à ces six hommes d’aspects si différents. C’était une sorte d’obsession inconsciente à laquelle il ne pouvait se soustraire, et qui le hantait comme un invincible pressentiment.

– Après tout, se dit-il, pourquoi pas ? Ces Français n’ont fait que paraître et disparaître. Celui qui travaillait ici, a eu affaire dans la soirée avec le mercanti. Leur fuite nocturne pourrait être au moins compromettante.

» D’autre part, ces lourdauds de Boërs me font l’effet d’un joli trio de sacripants. Quel pouvait bien être le motif de leur court séjour sur le kopje ? L’un d’eux, en m’apportant cette gaine de couteau, a-t-il eu l’intention de me donner un indice relatif à l’assassin, ou de me lancer sur une fausse voie ?

» Je ne puis pourtant pas me multiplier et suivre toutes ces pistes. Les Boërs sont partis de deux côtés. L’un se dirige vers le Sud, les autres vers l’Est. Les Français remontent vers le Nord. Que diable vont-ils chercher de ce côté ?

» Voyons, je dois m’arrêter à un plan quelconque. Il m’est impossible, sous peine d’être à jamais la risée de chacun, de m’éterniser ici. Il faut suivre les uns ou les autres. Pile ou face, Boërs ou Français. J’opinerais presque pour ces derniers. Car, en somme, cet objet que j’ai trouvé dans le wagon du Juif ne peut appartenir qu’à l’assassin, et mes boors (rustres) ne me paraissent guère susceptibles de posséder un pareil bijou.

» Bah ! allons au Nord. C’est là que je dois trouver la vérité.

Dès qu’il eut surmonté ses hésitations, master Will s’acharna dans cette idée dont la première conception avait été si laborieuse. Préférant une erreur à l’irrésolution, il se mit en route, sans plus de souci de sa position qu’il sacrifiait de gaieté de cœur, dans le cas fort probable où sa tentative aboutirait à un complet insuccès.

Puis, explique qui pourra cette contradiction, le détective, bien qu’il fût un homme absolument positif, croyait aveuglément à ses pressentiments. On peut voir qu’ils ne le trompaient qu’à moitié. Il est vrai que, en revanche, ils allaient probablement lui faire commettre une colossale bévue.

Retrouver la trace des trois Européens, dans ce pays habité par des noirs et des colons, était chose d’autant plus facile, qu’ils ne cherchaient aucunement à dissimuler leur passage. Le policeman vit dans ce laisser-aller une preuve d’endurcissement et aussi un indice de sécurité absolue. Les possessions anglaises finissant à deux journées à peine de marche de Nelson’s Fountain, master Will ne pouvait procéder à leur arrestation sur ce territoire appartenant à des chefs fort jaloux de leurs prérogatives. Mais les criminels – le détective eût affirmé sur sa vie leur culpabilité, – ne perdraient rien pour attendre. Il se faisait fort, lui, William Saunders, de rester collé à leur piste comme un incomparable limier, de les accompagner en quelque endroit qu’ils voulussent s’enfuir, et enfin de les livrer à la vindicte des magistrats, dès qu’ils auraient commis l’imprudence de mettre le pied sur la terre anglaise. Qu’importaient le temps, la distance, les privations, les maladies, à un homme trempé comme master Will.