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Il répéta comme tout à l’heure les diggers : « Will, For ever !... »

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Il fut tout d’abord impossible à Albert de Villeroge et à Alexandre Chauny de reconnaître la cause du tumulte qui s’éleva soudain au bord de la rivière où avait eu lieu le massacre d’éléphants et la monumentale curée qui suivit. Les chevaux, après s’être cabrés violemment et avoir tenté des efforts désespérés pour rompre leurs attaches, restaient immobiles plantés sur leurs quatre pieds. Un tremblement convulsif les agitait, et des renâclements saccadés sortaient de leurs naseaux tendus vers la clairière. Les indigènes, surpris dans leur premier sommeil, mais alourdis par l’énorme quantité de viande qu’ils avaient absorbée, pouvaient à peine se mouvoir. Le plus grand nombre restèrent allongés sur les herbes comme des boas repus.

Seul, parmi eux, le guide conservait son sang-froid. Pendant que les trois Européens s’armaient avec ce calme qui est l’apanage de la véritable bravoure, il cherchait à percer de son œil d’enfant de la nature, les sombres masses de broussailles que la lune, voilée par des nuages blancs, éclairait insuffisamment. Il y eut quelques secondes d’accalmie, puis une note vibrante, que l’on eût dite lancée par un larynx de métal, éclata dans le silence de la nuit. C’était comme l’interrogation pleine de menace et de colère d’un fauve troublé dans la solitude où il régnait en souverain maître. Puis ce bruyant éclat de voix se fondit progressivement dans un grondement sourd, rauque, saccadé qui fit frissonner les feuilles, et assourdit les Européens plus intrigués qu’inquiets.

– Est-ce le lion ?... est-ce l’autruche ? patoisa le noir dans son mauvais anglais.

– Comment ! l’autruche, demanda Alexandre, est-ce que ?...

Un vacarme assourdissant lui coupa la parole. Comme si le cri poussé tout d’abord par le mystérieux virtuose eût été un signal, une formidable symphonie s’éleva soudain au milieu de l’énorme futaie africaine, roula sous les arceaux de verdure, et se répercuta sur les eaux de la rivière en un tonnerre lointain. Telle était l’intensité de cette musique endiablée, que les trois amis éprouvaient dans la poitrine ces trépidations produites par le passage d’une voiture pesamment chargée, ou la course d’un train de chemin de fer lancé à toute vitesse.

Ces voix terribles partaient de droite, de gauche et du centre, preuve que les nocturnes musiciens se tenaient en ligne devant le campement. Le volume de cette rafale de rugissements prouvait que les exécutants étaient nombreux, que l’orchestre, en un mot, était au grand complet.

Enfin, quelques cris aigus, semblables aux notes aigres d’un fifre, piquées au milieu d’un tutti de cuivres, se firent entendre distinctement.

– Ce n’est pas l’autruche, cria le guide aux oreilles d’Alexandre. C’est bien le lion.

– Pourquoi ?

– J’entends le chacal qui chasse pour lui.

– Il n’est pas possible qu’un seul lion produise un pareil tintamarre. Il doit y en avoir une demi-douzaine au moins.

– Tu as raison. Mais ceux-là sont attirés par le « beultong » qui sèche aux branches et aussi par l’odeur du pied d’éléphant qui cuit dans le trou.

– Tandis que celui dont tu parles...

– C’est le chef, le grand lion qui ne mange que des proies vivantes. Il poursuit en ce moment une gazelle ou un buffle. Le chacal le guide comme un chien.

– Mais, nous, qu’allons-nous faire ?

– Rien. Il n’y a aucun danger. Les lions ne nous attaqueront pas. Ils ont bien trop peur de l’homme, surtout du blanc.

– Tu m’étonnes. N’importe. Il n’en est pas moins désagréable d’être ainsi interrompu dans son sommeil.

» Si seulement j’apercevais dans l’ombre les yeux d’un de ces braillards, je serais heureux de lui envoyer une balle de huit à la livre, ne fût-ce que pour le faire taire un moment.

– Tiens... vois !...

Le rideau de brumes flottant devant la lune venait de se déchirer, et l’astre des nuits, qui possède dans ces solitudes un incomparable éclat, illumina la clairière comme en plein jour. Le jeune homme vit distinctement, à trente pas environ, une forme noire hardiment découpée, immobile comme un tronc d’arbre au milieu des herbes courtes et d’une nuance plus claire. Il reconnut, sans erreur possible, à ses contours particuliers, la silhouette d’un grand lion gravement accroupi sur son train de derrière.

Quelque peu impressionnable qu’il fût, Alexandre eut comme un éblouissement. Eh ! quoi, cette proie facile qui s’offrait ainsi bénévolement à ses coups était ce splendide monarque africain, la terreur de la plaine et des grands bois ! Il allait, lui, le modeste Nemrod beauceron, jeté par les hasards de la vie, dans cet immense désert de Kalahari, pouvoir réaliser les prouesses de ces chasseurs enthousiastes dont les exploits appartiennent à la légende. Après avoir mis à mort douze heures auparavant l’éléphant, ce colosse que sa vigueur et sa ruse rendent presque inabordable, il compléterait sa série par le meurtre d’un lion !

Ces réflexions, longues à écrire, traversèrent sa pensée comme un éclair, au moment où il relevait lentement le canon de sa carabine, en prenant sa ligne de tir de bas en haut. Il chercha son guidon, le vit scintiller et se découper en un point lumineux sur la tête du fauve. Son arme resta deux secondes immobile, puis une lueur rapide surgit du canon. Avant que le tireur, empêché par l’épais nuage de poudre, eût pu juger de son coup, le lion, frappé par l’énorme projectile de soixante-cinq grammes, faisait en avant un bond de dix mètres, puis, roulait sur le sol, en poussant d’horribles rugissements de colère et de douleur.

– Bien touché, Alexandre, cria la voix joyeuse d’Albert. Sais-tu que tu n’y vas pas de main morte !

» Sacrebleu, le beau coup ! Je gage que ta balle a frappé ce grand matou rageur au beau milieu du mufle.

» Mais, vois donc quelle série de cabrioles... Et cette manière de comprimer son museau entre ses deux pattes, comme s’il voulait en arracher ton morceau de plomb !

» Peine perdue, mon camarade. C’est chevillé dans ta face par quinze grammes de poudre superfine...

La détonation de la carabine avait momentanément imposé silence aux fauves dont quelques-uns avaient dû être précédemment édifiés sur les effets de ce tonnerre. Seul, le blessé, frappé mortellement sans doute, gémissait plaintivement, mais avec une intensité allant toujours en diminuant.

Alexandre venait de remplacer sa cartouche vide et cherchait, l’ambitieux, à faire coup double, quand un frémissement de branches, bientôt suivi d’un cri d’angoisse et de terreur se fit entendre à quelques pas.

C’était un appel désespéré poussé par une voix humaine, et tel était l’accent de cette plainte déchirante, que les trois blancs se sentirent frémir.