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Master Will, en dépit de sa faiblesse, ne perdait pas la tête. Reconnu par son interlocuteur dont il avait à plusieurs reprises contemplé, sur le kopje, l’osseuse et antipathique personne, il ne pouvait songer à dissimuler son identité. Restait à expliquer sa présence sur les confins du désert de Kalahari au moment où les Français le tirèrent avec tant d’à propos de la gueule du lion. Master Will n’était pas embarrassé pour si peu. Il se donna pour un matelot américain ayant abandonné son navire à Durban. La misère l’avait contraint d’accepter les fonctions d’agent de la police coloniale, puis, désespéré de végéter ainsi dans un poste subalterne, il avait déserté de nouveau au moment où son chef l’envoyait à la poursuite des assassins du mercanti de Nelson’s Fountain. Cette mission, disait-il, ne pouvait lui procurer le moindre avantage, car, en cas de réussite, l’honneur et le profit eussent été pour son chef, tandis que lui, master Will, n’eût reçu qu’un blâme sévère en récompense de ses fatigues, au cas fort probable où il eût échoué. De là sa fuite précipitée.

Il tenta de gagner les colonies hollandaises, s’égara en cherchant un gué pour traverser une rivière, tourna sur lui-même, ne put s’orienter au milieu de la forêt, et s’en vint, finalement, après avoir perdu son cheval, tomber de fatigue et de besoin près de l’éléphant éventré par le rhinocéros. Éveillé par le coup de carabine d’Alexandre, il essayait de se diriger vers le point d’où était partie la détonation, quand il se sentit saisi comme par une tenaille de fer, et emporté à travers bois. Il s’évanouit sous cette formidable pression, et ne reprit ses sens qu’en se trouvant au milieu du campement.

Le Révérend, tout en paraissant croire, comme article de foi, cette fable grossière, se demandait intérieurement si le détective ne connaissait pas ses accointances avec les assassins du drayman. Si le chef de la police s’était par hasard avisé de faire suivre par d’habiles limiers la piste des trois Boërs... Si d’autre part master Will avait été mis aussi à ses trousses. Cette hypothèse qui n’avait rien de déraisonnable, ne causait pourtant nulle inquiétude au Révérend. Il ne courait aucun danger immédiat, en somme, puisqu’il n’était pas sur la terre anglaise, et il valait bien mieux avoir près de lui le policeman dont il saurait bien se débarrasser plus tard.

Il s’aperçut bientôt qu’il faisait trop d’honneur à l’ingéniosité de ce prétentieux personnage, en remarquant la persistance avec laquelle il cherchait un moyen pratique de rester en compagnie des trois Français, sans pour cela leur inspirer de défiance.

– Ah ! pardieu, se dit-il en comprimant une irrésistible envie de rire, l’imbécile eût été acheté par mes compères Klaas, Cornélis et Pieter, qu’il n’eût pu mieux faire.

» Le diable m’emporte, il réalise absolument la première partie de notre programme, et croit de bonne foi que les Français ont assassiné le juif !...

» La police est décidément une merveilleuse institution. Le drôle sera capable d’empoigner ses bienfaiteurs quand il en trouvera l’occasion. Ce n’est certes pas moi qui m’en plaindrai.

» Dans tous les cas, il se gardera bien de leur parler de l’assassinat. De ce côté, sécurité complète.

» Écoutez-moi, master Saunders, dit-il au blessé, votre situation me touche profondément. Je conçois très bien que dans l’état déplorable où vous vous trouvez, il vous soit impossible de vous réfugier chez les Boërs. Je ne suis qu’un pauvre missionnaire sans autre ressource que mon bon cœur et mon grand désir de porter les lumières de la foi chez les malheureux sauvages.

» Mon intention est de pousser jusqu’au Zambèze. C’est je crois la destination de nos voyageurs. Restez avec moi. Je vous attache, si vous le voulez bien, à ma personne. Nous ferons route avec eux, et au retour, l’œuvre des missions qui, vous le savez, est fort riche, saura récompenser votre dévouement.

Master Will accepta avec transport cet arrangement concordant si bien avec ses projets. Albert et Alexandre qui s’étaient de prime abord attachés à lui en raison du service éminent qu’ils lui avaient rendu, donnèrent bientôt leur approbation au plan du Révérend dont ils étaient loin, on le devine, de soupçonner l’infamie.

C’est ainsi que la petite troupe, augmentée de deux recrues, s’avança dans le désert de Kalahari. Les noirs approvisionnés pour longtemps – le troisième éléphant avait été retrouvé mort à dix kilomètres environ – les avaient quittés en les comblant de bénédictions. Quant à leurs serviteurs indigènes, appréhendant les fatigues et les dangers ultérieurs, ils avaient jugé à propos de disparaître.

Seul, le guide auquel la fréquentation de l’illustre Livingstone avait inspiré une vive sympathie pour les blancs, avait consenti à les accompagner. Bien qu’il ne possédassent aucun de ces objets de pacotille si chers à tous les hommes primitifs, le brave garçon, confiant dans la promesse d’une indemnité après le voyage, avait quitté les siens pour les conduire à travers la vaste solitude qui s’étend en 29° et 20° de latitude Sud.

C’est un Betchuana pur sang qui se nomme Zouga. Sa parfaite connaissance de la région rend sa présence très précieuse, indispensable même, aux membres de la petite expédition qui se sont lancés, un peu à la légère, dans une aventure bien périlleuse.

En effet, quoique le désert de Kalahari soit couvert d’herbes abondantes, qu’il produise une grande variété de plantes, que l’on y rencontre de vastes fourrés composés non seulement d’arbustes et de broussailles, mais encore de grands arbres, il n’en est pas moins aussi desséché, peut-être davantage que l’immense plaine saharienne. Ce nom de désert lui a d’ailleurs été donné, parce que l’on n’y trouve pas d’eau courante, et que les sources y sont très rares.

C’est une vaste étendue de terrains parfaitement unis, coupés en différents endroits par le lit desséché d’anciennes rivières, et parcourus en tous sens par différentes espèces d’animaux, entre autres, certaines variétés d’antilopes dont l’organisme exige peu au point d’eau. Le sol se compose d’un sable doux, légèrement coloré, c’est-à-dire de silice presque pure. Ces lits des anciennes rivières sont bordés d’alluvions durcies par le soleil, et possédant la solidité et l’imperméabilité de la roche. Pendant la saison humide ces terrains forment des réservoirs qui conservent un certain temps les eaux tombées du ciel.

Les herbes, très abondantes, croissent en touffes vigoureuses, séparées çà et là par des espaces où le sol se montre complètement nu, ou couvert de plantes à tiges rampantes. Ces plantes profondément enracinées, ressentent les effets de la chaleur qui est excessive, et présentent quelques particularités singulières. Ainsi, la plupart possèdent des racines tuberculeuses, et sont conformées de façon à fournir à la fois un aliment et un liquide pendant la période de sécheresse, époque où l’on chercherait vainement de quoi étancher la soif ou apaiser la faim. Enfin, en raison d’une curieuse propriété d’adaptation, une de ces plantes qui, dans son état normal, porte des racines fibreuses, acquiert des tubercules quand la présence d’un réservoir devient indispensable à sa végétation. C’est une cucurbitacée qui se modifie selon la nature du terrain où elle croit et qui porte un petit concombre écarlate pouvant servir d’aliment. Une autre plante, appelée Mokomi par les indigènes, est herbacée et rampante. Elle produit comme un chapelet de tubercules sphériques de la grosseur de la tête et qui se trouvent rangés circulairement sous terre. Les indigènes se servent pour les découvrir d’un procédé ingénieux, mais qui nécessite une oreille particulièrement impressionnable. Ils prennent une pierre, frappent le sol de coups secs, et découvrent par la différence du son le point où sont enfouies les précieuses racines. Leur incroyable habileté ferait l’admiration de nos médecins qui savent reconnaître à la percussion, les altérations subies par les viscères d’un organisme humain. On y trouve encore le magnifique et délicieux melon d’eau (Cucumis cafler), qui s’appelle kêmê dans ce pays. C’est un manger exquis, tonique et rafraîchissant tout à la fois, qui est un véritable bienfait pour l’homme, et dont les animaux se régalent à l’occasion. Non seulement les herbivores, comme l’éléphant et le rhinocéros, mais encore les carnassiers comme les lions, les hyènes, les chacals, les rongeurs même, apprécient à l’occasion la saveur de cette manne qui satisfait aux appétits les plus divers.