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Les Coudous, les Élans au poitrail tombant, les Tsessébés arrivent bientôt, précédant la troupe farouche des Buffles au pelage ardoisé, aux cornes menaçantes, aux yeux injectés.

Les Antilopes sont de beaucoup les plus nombreuses. Les espèces les plus variées, aux pelages les plus divers, aux formes les plus inattendues, apparaissent aux yeux ravis des Européens qui oublient un moment qu’ils sont chasseurs, pour admirer cette étrange exhibition.

Ce défilé n’a, jusqu’à présent, rien de tumultueux. Les animaux manifestent seulement de l’inquiétude en se voyant réunis en nombre aussi considérable et confondus en un pêle-mêle inusité. Pendant ce temps, le demi-cercle formé par les traqueurs se resserre lentement, mais avec une implacable rectitude. Les cris se font entendre de plus en plus distincts et l’inquiétude de toutes ces bêtes inoffensives, sauf le buffle, devient de l’angoisse. Les premières aperçoivent les haies, dont la ligne rigide coupe l’horizon. Elles font un brusque crochet, traversent avec la vitesse des météores le terrain plat compris entre les deux palissades, viennent buter de l’une à l’autre et s’enfoncent de plus en plus, poussées par le flot sans cesse renaissant de nouveaux arrivants.

Il y a là une collection d’Antilopes susceptible de faire pâmer d’aise le naturaliste le moins impressionnable. C’est comme une marée montante de croupes arrondies, au poil luisant ; de cols élégamment cambrés, surmontés de têtes gracieuses, aux yeux effarés. Grisboocks, au pelage rouge de feu égalant à peine la taille d’une chèvre ; Algazelles blanches nuancées de fauve ; Coudous énormes, rayés de zébrures verticales et irrégulières, aux cornes quadrangulaires, formant deux tours de spire ; Ritsbocks, laineux comme des moutons ; Gemsbocks aux cornes effilés, tordues, presque parallèles et longues de quatre-vingts centimètres ; Kaamas à la tête busquée comme celle du cheval ; Gnous trapus comme le bœuf, à col monstrueux, dont le garrot ramassé en bosse rappelle celui du lion ; Bubales, ou petite vache de Barbarie, bien qu’ils n’aient rien de la vache ; Boshbocks ou boucs des bois ; Guibs zébrés comme le Coudou, mais largement plaqués de blanc ; Antilopes chevalines, dont la taille atteint celle du cheval ; Harrisbocks ou aigocères noirs, dont les cornes longues d’un mètre, sont gracieusement recourbées en cimeterres, et qui avec leur pelage d’un noir de jais, leur crinière flottante, sont des bêtes splendides ; Oryx curieusement tachetés de noir qui résistent au lion lui-même avec leurs longues cornes effilées comme des javelots. Que sais-je encore, Ibex, Inyalas, Springbocks, Léchés, Pallahs, Steinbocks, Duikers ou Reebocks, finissent par se presser, se heurter, bondir effarés sur les croupes les uns des autres, retomber pour repartir avec une morne épouvante.

Mais les buffles ainsi que les zèbres et les couaggas, de tempérament moins pacifiques, prétendent ne pas suivre cette troupe affolée, et refusent absolument de s’engager entre les palissades qui se resserrent parallèlement. Ils opèrent un brusque mouvement de conversion, font tête en queue et veulent remonter vers les traqueurs. Le groupe des chasseurs, dissimulés avec les Européens derrière des branches feuillues plantées en terre, se lève tumultueusement. Les noirs brandissent leurs piques, et présentent brusquement aux fuyards leurs longs boucliers bizarrement enluminés de couleurs éclatantes. Les blancs apprêtent leurs armes. Le carnage va commencer. Cette apparition de l’homme porte à son comble l’effroi et la colère des fauves. Les buffles mugissent et se ruent sur les Bushmen qui se dérobent avec une agilité digne des toreros espagnols. Les zèbres poussent leur broiement sonore et lancent des ruades furieuses. Les sagaies volent bientôt dans l’air et viennent se planter dans les flancs tendus par la course. Les couaggas essayent de briser avec leurs dents la hampe dont la pointe déchire leurs chairs. Quelques coups de carabine retentissent, une girafe, deux buffles et un zèbre, mortellement frappés, roulent sur le sol.

Les traqueurs arrivent alors à fond de train. Les farouches clameurs redoublent, et les animaux en proie à une panique effroyable, se ruent enfin vers la fosse. Girafes, buffles, autruches, antilopes se pressent, se heurtent, s’écrasent. C’est une forêt de cornes droites, pointues, grêles, massives, longues, recourbées, en spirale, qui s’agitent, craquent, s’enchevêtrent. Puis, un immense cri de douleur !

Le plancher mobile recouvrant la fosse vient de céder, et l’excavation se remplit en un clin d’œil. Rien ne peut plus arrêter cette course désordonnée. Les derniers poussent ceux qui sont devant eux, les culbutes se succèdent, ce n’est plus qu’un fouillis de membres fracassés, de têtes broyées, de flancs éventrés par les cornes dressés comme des chevaux de frise. C’est un spectacle effroyable ! Celles parmi ces pauvres bêtes qui n’ont pas été tuées du coup, se débattent au fond de l’abîme et soulèvent dans un dernier spasme d’agonie cette masse de cadavres sous laquelle elles étouffent.

Les noirs, animés par leur longue course, enivrés de sang, frappent au passage les fuyards qui s’évadent en passant sur les corps qui comblent l’excavation. C’est une joie, une folie, un délire.

Les Européens eux-mêmes, enfiévrés aussi à la vue de ce carnage, ne ménagent pas leurs coups.

Alexandre venait de blesser grièvement un couagga avec la panse duquel il voulait confectionner une outre pour remplacer celle qu’il avait précédemment perdue. L’animal s’était dérobé par une brèche ouverte sous l’irrésistible poussée d’un buffle. Le jeune homme franchit à son tour la brèche et se mit à la poursuite de son gibier qui gagna la forêt. Alexandre le voyant broncher à chaque pas, espéra le gagner de vitesse. Il s’enfonça peu à peu dans le bois, et arriva près d’une rivière vaseuse au milieu de laquelle l’animal s’accroupit un moment pour se rafraîchir. Le chasseur allait l’ajuster et le foudroyer d’une balle. Il mit pied sur un tronc d’arbre abattu afin d’appuyer son coude sur son genou et assurer son coup, car sa main tremblait après une course aussi précipitée.

Le tronc remua brusquement, et Alexandre perdant brusquement l’équilibre, s’enfonça jusqu’à mi-jambe dans la vase molle. Ce qu’il avait pris pour un arbre était un crocodile monstrueux. Le terrible saurien furieux d’être ainsi arraché aux douceurs de la sieste, ouvrit des mâchoires énormes et s’apprêta à happer d’un seul coup l’imprudent chasseur. Mais celui-ci, sans s’émouvoir à la vue de cette gueule effroyable, hérissée de dents énormes et d’où s’exhalait une écœurante odeur de musc, épaula vivement sa carabine et fit feu au beau milieu de la gorge. Telle est la vitalité du saurien, qu’en dépit de cette terrible blessure, il s’avança jusqu’à toucher le malheureux jeune homme immobilisé dans la vase. Un second coup de feu retentit. La balle, la poudre, la bourre pénétrèrent jusque dans les flancs du monstre qui referma brusquement la gueule et sembla mort sur le coup. Alexandre se croyant enfin délivré, allait tenter de s’arracher de ces terres mouvantes où il enfonçait lentement, quand pour la troisième fois, le crocodile entrouvrit la gueule dans un dernier spasme d’agonie. Le chasseur, désarmé, saisit sa carabine par le canon et asséna un solide coup de crosse sur le museau de son ennemi. Le bois glissa et pénétra entre les mâchoires qui se refermèrent avec un bruit sec. Alexandre tira de toutes ses forces, mais inutilement. Quand le crocodile a ainsi saisi quelque chose, être animé ou non, il le tient bien. Il faut le désarticuler morceau par morceau, à coups de hache pour le lui faire abandonner.

Le jeune homme employa vainement toute sa vigueur, contracta jusqu’à la courbature sa puissante musculature, rien n’y fit. Il allait, de guerre lasse, appeler ses amis à l’aide, mais son cri s’arrêta soudain dans sa gorge. Il se sentit pris par une corde qui l’étranglait. Il porta la main à son cou pour se dégager. Il n’en eut pas le temps. Sa tête ramenée en arrière par une force irrésistible toucha le sol. L’asphyxie commençait. Il perdit connaissance.