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Le misérable, se sentant ainsi deviné, fut pris d’un épouvantable accès de colère. Son sang-froid d’emprunt tomba tout à coup devant cette perspicacité goguenarde, et ce refus péremptoire de céder à ses exigences. Il darda sur le captif un regard féroce où se lisaient la cupidité déçue, la rage inassouvie, et un brutal appétit de vengeance à satisfaire.

– Blanc ! Fils de blanc ! Étranger maudit ! hurla-t-il d’une voix que la colère étranglait, tu m’as deviné. Oui, c’est vrai. Je voulais te faire signer une reconnaissance. Puis, te tuer... comme un chien... après avoir fait voler sous mon fouet les lambeaux de ta peau blanche...

» Ah ! Je n’aurai pas ton argent... Eh bien ! soit... Mais je serai vengé. C’est déjà quelque chose.

Alexandre conservait toujours son inaltérable sérénité. Un témoin de cette scène affreuse n’eût jamais cru voir en lui l’acteur principal du lugubre drame qui se préparait. N’eussent été les liens qui garrottaient étroitement ses bras et ses jambes, on l’eût pris pour un curieux s’amusant des convulsions épileptiformes d’un grand singe anthropomorphe.

– Lâche ! reprit-il de sa voix calme. Ignoble mulâtre... fils d’esclave... maquignon de chair humaine, essaie donc de toucher un cheveu de ma tête, et tu verras si ceux qui sont en ce moment à ma recherche, me laisseront sans vengeance... Tu verras, si ceux dont le bras a brisé les entraves des malheureux captifs, ne sauront pas faire périr sous le bâton les drôles qui oseront s’attaquer à moi.

» Tiens ! tu trembles, coquin... Va, mets à exécution ton joli projet. Ah ! pardieu ! tu feras bien de te dépêcher, car ta peau et celle de tes dignes associés n’est guère en sûreté, et je n’en donnerais pas un reis.[22]

Le mulâtre poussa un cri de fureur et s’élança sur Alexandre. Celui-ci crut sa dernière heure venue, et, par une insolente bravade, lui cracha en pleine figure. Mais l’autre, insensible à l’affront, fit signe à ses complices qui, réunissant leurs efforts, saisirent leur prisonnier et l’emportèrent à travers bois avec une rapidité vertigineuse. Ils arrivèrent à une clairière où s’ébrouaient une demi-douzaine d’admirables chevaux du Cap, tout sellés et tout bridés. Alexandre fut hissé sur le garrot de l’un d’eux, son ennemi sauta en selle derrière lui, donna quelques ordres brefs et rapides, assigna un rendez-vous en un lieu connu de chacun, puis tous s’éparpillèrent à fond de train à travers bois.

Cette course enragée dura près de trois heures. Puis, sans transition aucune, le cheval déboucha sur un large terrain découvert, au milieu duquel s’élevait une vaste palissade circulaire. Les cinq autres chevaux, moins pesamment chargés, étaient déjà débridés et dessellés et broutaient quelques herbes rares, éparses au milieu de débris charbonnés. Alexandre, les membres raidis, le corps broyé par la position intolérable qu’il avait gardée pendant ce temps, fut descendu et rudement jeté sur le sol.

Il reconnut un kraal depuis longtemps abandonné. Les cases avaient été incendiées, l’enceinte seule subsistait en parfait état de conservation. Des débris de toute sorte attestaient le passage récent d’une troupe nombreuse. Peut-être les Bushmen qu’il avait délivrés, avaient-ils été parqués en cet endroit.

Le Français, exposé en plein soleil sur la terre brûlante, en proie aux tortures de la soif, n’eut pas le loisir de goûter un moment de répit. Son hideux bourreau, l’œil injecté, la bouche frangée d’écume, s’avança en hurlant vers lui.

– Eh bien, blanc maudit, es-tu réellement au pouvoir du mulâtre, maintenant ? Il ne tient qu’à lui de te rendre coup pour coup... avec les intérêts... Tes amis sont loin et ma peau est encore sur mon corps.

» Je t’ai parlé d’un procédé infaillible pour te faire parler quand tu t’obstinais à te taire. Je vais l’employer pour te faire signer la reconnaissance de ta dette.

» Tu vas voir.

Un de ses compagnons, édifié sans doute sur les intentions du bandit, apporta une botte de ces énormes épines dont nous avons parlé précédemment et qui sont appelées « Attends-un-peu ». Il les attacha à la queue d’un des chevaux, et maintint, par les naseaux, l’animal frémissant de douleur sous la morsure des terribles pointes.

– Là... continua le mulâtre, hissez-moi le seigneur blanc sur les reins de la bête. Attachez-le solidement. Bien. Montez sur vos chevaux. Prenez vos chamboks. Puis, lâchez tout et frappez à tour de bras sur l’homme et l’animal.

» Blanc, tu vas courir ainsi pendant une heure, sous le fouet de mes hommes. Puis, nous recommencerons, jusqu’à ce que tu signes.

» Allez !

Le cheval se sentant libre, fit une pointe effrayante, se dressa sur les pieds de derrière, poussa un hennissement furieux, fit quelques pas complètement debout, prêt à se renverser, puis retomba sur ses pieds de devant. Il lança une double ruade, tourna, se cabra, fit des voltes vertigineuses, se déroba, puis, s’élança devant lui avec la rapidité d’une flèche. Il atteignit bientôt la palissade, trop élevée pour qu’il pût la franchir et se mit à la longer au petit galop. Il rencontra bientôt un des mulâtres qui le sangla jusqu’au sang d’un coup de chambock. La surprise et la douleur lui firent faire un énorme saut de côté. Le brusque mouvement déplaça latéralement le faisceau d’épines qui fouettèrent sa peau et pénétrèrent dans sa chair comme autant de flèches barbelées. Il traversa de nouveau et à fond de train l’espace découvert, rencontra un deuxième cavalier, reçut un nouveau coup de lanière, et se prit à courir affolé, sans but, essayant de mordre l’homme qui pendait comme un fardeau inerte sur sa robuste échine.

C’est en vain qu’à trois ou quatre reprises il renouvela cette tentative. Les bourreaux se rapprochaient d’un bond, frappaient à tort comme à travers sa croupe ou son cou et lui faisaient opérer les soubresauts les plus fantastiques.

Enfin, blanc d’écume, le flanc haletant, les naseaux béants, l’œil égaré, il revint au milieu de la clairière, gratta la terre de ses sabots, tourna sur lui-même comme pris de vertige, puis, complètement affolé, pointa droit devant lui sans s’occuper de la palissade. Chacun de ses bonds centuplait la souffrance d’Alexandre, dont les membres tordus, gonflés par les liens, craquaient prêts à se rompre. Un brouillard sanglant s’étendait devant les yeux du malheureux jeune homme. Un sinistre bourdonnement emplissait ses oreilles, sa gorge desséchée ne pouvait plus émettre aucun son, l’air manquait à ses poumons, il allait défaillir.

Il lui sembla tout à coup entendre un craquement sonore. Il crut tous ses membres broyés. Des éclats de bois le froissèrent violemment, puis la course reprit plus furibonde que jamais.

Le cheval s’était rué la tête en avant sur l’enceinte du kraal. La palissade, plus faible peut-être en cet endroit, avait cédé, sous l’effort de l’animal qui l’avait trouée avec l’irrésistible force d’un projectile. Il galopait maintenant éperdu, au hasard, droit devant lui, lardé à chaque bond par les épines dont il ne pouvait se débarrasser.

Alexandre comprit qu’il ne s’arrêterait qu’à bout d’haleine, et qu’il tomberait alors pour ne plus se relever.

XIII

Lugubre retour. – Cruelle attente. – Fête nocturne. – Le kraal en liesse. – Les flèches et le poison des Bushmen. – Le N’goua est mortel. – Musique indigène. – Gourras, joums-joums, rabouquins et romelpots. – Danses bizarres. – Un homme qui danse si bien, doit se battre encore mieux. – Les guerriers sur la piste. – Terribles représailles. – Six têtes humaines dans un filet. – « Mais où est le chef blanc ? » – Cavalerie de remonte. – « Qui m’aime me suive ! »

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22

Monnaie portugaise valant six dixièmes de centime.