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– Alors, j’en suis ! interrompit brusquement Alexandre. Ah ! parbleu, du moment où il y aura bataille, que mon meilleur, mon seul ami, est menacé d’un péril mortel, ce serait lâcheté de rester ici comme un sanglier dans sa bauge.

– À la bonne heure ! je retrouve mon vieux Gaulois. Ne crois pas, d’ailleurs, que je veuille te garder longtemps. Il suffit de trois mois pour terminer notre expédition et de deux choses l’une : ou nous aurons fortune faite, ou tout sera à recommencer. Ce seront donc tout simplement trois mois de perdus, avec nos illusions. Comme cette dernière denrée n’a pas une grande valeur sur les diggins, nous inscrirons quatre-vingt-dix jours aux profits et pertes, et nous nous associerons pour exploiter un nouveau claim.

– C’est entendu. Je vends dès demain ma concession, mes outils, mes effets de campement, mes diamants, et nous partons.

– Pourquoi ne liquiderais-tu pas immédiatement.

– Il faudrait trouver acquéreur.

– J’ai ton affaire. Je viens, en passant, d’apercevoir le profil de bélier d’un mercanti, qui vendait du Cape brandy et des conserves à des mineurs. Partout où il y a un de ces hommes, on trouve une transaction à faire. On est volé, cela va sans dire, mais on se débarrasse.

– C’est sans doute le propriétaire de cet énorme wagon qui est arrivé hier, attelé d’une vingtaine de bœufs. Ce sera une sangsue collée aux flancs du digging ; avant un an, tous les claims lui appartiendront.

– Peu nous importe. Réalise au plus vite.

Le vieux mercanti aussitôt prévenu, arriva en nasillant, l’œil émerillonné en homme qui flaire une bonne affaire. Le stock de diamants fut minutieusement pesé, tâté, inventorié, et finalement acheté un peu au-dessous de sa valeur. Les pierres ayant une valeur absolue, un cours comme les métaux, le marchand dut modérer ses prétentions. Quant aux effets de campement, aux outils, au matériel d’exploitation et à la concession, le misérable rapace en offrit généreusement le tiers. Il procurait en outre à Alexandre un cheval assez robuste, encore jeune, mais horriblement vicieux. Peu importait au Français qui comptait bien, en cavalier consommé, refréner les écarts à venir de sa monture.

Notre homme versa vingt mille francs en or et se retira en jurant par le Dieu d’Abraham qu’il venait de conclure une affaire déplorable, qu’il marchait à une ruine certaine, mais qu’il s’était montré aussi prodigue uniquement pour obliger ses excellents seigneurs.

La nuit vint bientôt, et les trois Européens, accompagnés des deux indigènes, tous cinq à cheval, quittèrent sans bruit le diggin en remontant vers le Nord, c’est-à-dire vers le pays des Betchuanas de l’Ouest, de la frontière duquel Nelson’s Fountain est séparé seulement de quelques kilomètres.

Le soleil du matin projetait à peine ses lueurs sur les terrains diamantifères qu’une singulière nouvelle circula tout à coup sur le kopje. Une émotion à laquelle était étrangère l’exploitation des « pebbles » agitait tous les travailleurs. On parlait d’un assassinat commis pendant la nuit et chacun, abandonnant son claim, se précipitait vers les tentes. Un rassemblement tumultueux se tenait autour de l’énorme dray occupé par le mercanti, et les mineurs de toutes couleurs poussaient des cris assourdissants. Deux policemen percèrent la muraille humaine et pénétrèrent dans le wagon. Le cadavre du vieillard nageant dans une mare de sang barrait la porte entrouverte. Sa tête aux yeux grands ouverts, à la bouche tordue par un rictus d’agonie, pendait au-dessus du sol. Un long couteau restait planté jusqu’au manche dans sa poitrine osseuse. Une longue traînée de sang ruisselait goutte à goutte sur le gravier, se mêlant à celui du chien de garde, un molosse énorme aux trois quarts décapité. Le chariot offrait le spectacle d’un désordre inouï. Tout avait été fouillé à la hâte et des empreintes de mains sanglantes se retrouvaient partout. Le coffre-fort enfoncé était renversé sur le plancher et des diamants, échappés à la convoitise des assassins, scintillaient entre les planches.

Des gémissements étouffés, partis d’un compartiment situé au fond du dray et séparé par une lourde tenture, appelèrent l’attention des officiers de police. Ils pénétrèrent dans ce recoin et trouvèrent étroitement bâillonnés, presque asphyxiées, deux femmes, une blanche et une vieille négresse.

La première, une jeune fille admirablement belle, offrait tous les signes particuliers à la race israélite. Ses yeux dilatés par l’épouvante tombèrent sur le corps que l’on n’avait pas encore relevé.

– Mon père !... s’écria-t-elle d’un accent déchirant.

Puis elle se leva en trébuchant, fit quelques pas, battit l’air de ses deux bras crispés, et roula lourdement jusque sur le cadavre.

II

Un peuple « heureux en affaires ». – Terres aurifères et champs de diamants. – Histoire de la colonie anglaise du Cap. – Lutte entre les Boërs et les Anglais. – L’État libre d’Orange et la République du Transwaal. – Les premiers diamants. – Usage auquel les Cafres affectaient jadis le diamant. – L’« Étoile de l’Afrique du Sud ». – Mines sèches et mines de rivières. –Politique d’annexion. – Tribulations de M. du Toit. – Un policeman artiste. – Master Will. – Le rêve d’un homme de police. – Le couteau et sa gaine. – Une piste.

Dans un ouvrage publié récemment et dont l’action se déroule en Australie,[1] l’auteur, constatant l’incomparable prospérité des colonies anglaises, faisait la réflexion suivante : « Il en est, de la fortune des États comme de celle des individus. Il ne suffira pas qu’une entreprise industrielle soit conçue et conduite avec habileté pour donner les résultats les plus satisfaisants. Un concours de circonstances purement fortuites produira souvent une prospérité que n’auront amenée ni les combinaisons les mieux établies, ni même le travail le mieux entendu. C’est ce hasard qui constitue le « bonheur en affaires ». Indépendamment de leur génie colonisateur qui les pousse à étendre leur domaine colonial et à improviser de toutes pièces des États merveilleusement organisés, les Anglais sont « un peuple heureux en affaires » ; car il semble que partout où le citoyen du Royaume-Uni plante l’Union-Jack, ce hasard s’empresse comme à souhait de le combler de toutes ses faveurs. Il n’a pas suffi que le climat et les productions de l’Australie, en se prêtant admirablement à l’élevage du bétail, aient déjà créé une source de richesses pour les heureux colons d’Outre-Manche, il a encore fallu que la découverte des champs d’or portât à son comble cette opulence sans précédents. Le même bonheur s’est pour ainsi dire acharné après eux au Cap de Bonne-Espérance. Au moment où la grande colonie de l’Afrique Australe allait, grâce au percement du canal de Suez, voir son étoile pâlir, un hasard prodigieux a redonné à cet astre un éclat inattendu en le constellant d’un incomparable semis de diamants.

Après les placers aurifères d’Australie, les diggins diamantifères du Cap.

Comme les nécessités de notre drame nous entraîneront bientôt à travers des pays qui, bien que depuis longtemps déjà revendiqués par la civilisation, sont encore imparfaitement connus, le lecteur voudra bien admettre la nécessité d’un rapide précis historique et géographique absolument indispensable à la suite de notre récit.

Entrevu, d’après Hérodote, en 610 avant J.-C. par des navigateurs phéniciens, et en 1291 de notre ère par les frères Génois Vivaldi, le Cap de Bonne-Espérance fut découvert en 1486 par Barthélemy Diaz. Vasco de Gama le doubla le 20 novembre 1497. Des essais de colonisation furent vainement tentés de 1497 à 1648 par les Portugais et les Hollandais. Ce n’est qu’en 1652 que Jean-Antoine Van Risbeck, chirurgien de la flotte néerlandaise, fonda un établissement, construisit une citadelle, et fortifia l’embryon de ville qui s’appelait le Cap. La colonie acquit jusqu’au moment de la guerre de l’Indépendance Américaine, une prospérité sans pareille, en dépit des incessantes hostilités des naturels. Enlevée après une lutte acharnée par l’amiral Elphinstone, et le général Clarke, au moment où l’Amérique. conquérait son autonomie, rendue aux Pays-Bas en 1803, elle resta définitivement anglaise en 1814.

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Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie. Librairie illustrée, 7, rue du Croissant, Paris.