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VIII

Klaas le Boër qui est un habile homme, voit ses affaires prospérer. – Seules dans le désert. – Klaas modifie l’exécution de son plan, sans renoncer pour cela à ses projets. – Terribles conséquences d’un incident futile. – Pourquoi sifflait le serpent Pickakolou. – Le messager des Boërs. – Caïman, le mangeur d’hommes. – Crâne-Fendu et Bison-Borgne. – Mensonges ! – Caïman, riche de promesses, retourne aux cataractes. – Résultats de l’entrevue du sauvage blanc avec le sauvage noir.

On se rappelle la comédie infâme jouée jadis par Klaas, à la suite du conciliabule tenu avec ses deux frères et le Révérend, dans la case située près du kopje de Nelson’s Fountain. Les misérables, connaissant l’existence du Trésor des rois Cafres, avaient résolu de s’en emparer coûte que coûte, mais, comme ils en ignoraient l’emplacement, ils avaient élaboré le plan diabolique dont l’exécution partiellement réalisée déjà, devait, pensaient-ils, le leur livrer sans coup férir.

Bien que très compliqué en apparence, ce projet audacieux était fort simple en réalité, étant données surtout l’adresse et l’énergie de ce redoutable quatuor de bandits. Il avait fallu, tout d’abord, profiter du court passage d’Albert de Villeroge au Champ de Diamants pour le signaler comme suspect au personnel des mines et rendre son retour impossible, non seulement sur le diggin, mais encore sur le sol de la colonie tout entière. L’assassinat du mercanti, accompli quelques heures avant le brusque départ du jeune homme en compagnie d’Alexandre, la vente de son claim faite à ce moment par ce dernier à la victime et les propos habilement semés par les émissaires des quatre complices, avaient assuré déjà le succès de cette première tentative. Non seulement master Will, le policier présomptueux, était persuadé de la culpabilité des trois français, mais aussi la plupart des mineurs.

Il était en outre urgent, pour les Boërs et leur digne acolyte, de dépêcher aux trois amis un émissaire adroit qui les suivrait comme leur ombre jusqu’au point mystérieux indiqué sur le plan du Cafre Lackmi et où devait se trouver la merveilleuse collection de gemmes, objet d’aussi ardentes convoitises. On a vu avec quelle habileté le Révérend s’était acquitté de cette tâche délicate, puisqu’il avait réussi à se concilier les bonnes grâces des intrépides aventuriers et à se faire admettre dans leur compagnie sinon à pénétrer dans leur intimité.

Enfin, à cette cupidité excitée chez ces quatre misérables pour le trésor, s’ajoutait, chez Klaas, une passion furieuse pour madame de Villeroge, dont il avait sollicité la main alors que son père évangélisait les Cafres du Transwaal. Si le trésor des anciens monarques africains exerçait sur le bandit une fascination irrésistible, le souvenir de la jeune Anglaise avait laissé en lui une trace à ce point ineffaçable, qu’elle était devenue, avec son ambition, l’unique pensée de sa vie.

Il voulait à tout prix la revoir, l’arracher à son mari, faire disparaître celui-ci et emmener, après fortune faite, la jeune femme dans son kraal. Comme il ne doutait de rien, Klaas espérait bien arriver à consoler celle qu’il se complaisait à regarder déjà comme une veuve et à prendre tôt ou tard la place de l’époux défunt.

Mais madame de Villeroge se trouvait au Cap avec son père, pendant qu’Albert s’en allait à la conquête des pierres précieuses enfouies sur les bords du Zambèze. Il était difficile de la faire sortir de cette retraite pour l’amener en plein pays sauvage où elle serait exposée à un coup de mains hardiment exécuté.

Là encore, l’astucieuse audace du gredin le servit à souhait. Klaas, chez qui l’amour et la cupidité avaient développé un sens diplomatique semblant de prime abord incompatible avec son enveloppe grossière, trouva, sans coup férir, le procédé qui devait arracher Anna de son asile.

Il s’agissait tout simplement de faire croire à la jeune femme que son mari, grièvement blessé, implorait son assistance. Cette fable devait obtenir d’autant plus de créance, qu’Albert, avec son tempérament aventureux, se trouvait exposé à chaque instant aux multiples éventualités de la vie sauvage. Le Révérend, le seul lettré de l’association, se chargea, séance tenante, de la rédaction d’une lettre que Klaas porta, sans s’arrêter un moment, jusqu’à Cape-Town, après une course enragée qui dura neuf jours pleins.

Madame de Villeroge, atterrée à la réception de ce sinistre message, partit sans désemparer, en compagnie de son père, pour le Champ de Diamants. La capture de ces deux êtres inoffensifs, incapables de se défendre, devenait dès lors un jeu pour le Boër qui suivait à la piste leur voiture, en attendant le moment favorable. On se rappelle comment s’accomplit ce drame lugubre, dont le récit termine la première partie de cet ouvrage.

Klaas qui aimait la mise en scène, soudoya une troupe de ces rôdeurs qui, en Afrique australe comme en Californie ou en Australie, prélèvent sur le travail des mineurs la part du lion, et mettent en coupe réglée les exploitations d’or ou de diamants. Il leur enjoignit d’attaquer le véhicule portant le missionnaire et sa fille, de faire grand bruit, de massacrer les chevaux, au besoin de tuer le cocher et le postillon s’ils tentaient la moindre résistance. Le Boër, pendant ce temps, arriverait comme un Dieu sauveur, mettrait en fuite la horde de bandits et délivrerait la belle éplorée, ni plus ni moins qu’un simple héros de roman.

Les misérables, que ce coup de main simulé comme une scène de théâtre, amusait prodigieusement, accomplirent leur besogne avec une brutalité inouïe. La comédie se termina par un mélodrame, et le sang de trois cadavres rougit les bords de Brak-River. Anna se trouvait seule à la merci de son ravisseur.

Par un hasard prodigieux, le lourdaud qui s’épuisait à prodiguer à la malheureuse jeune femme ses consolations de rustre, fit la rencontre, à Pampin-Kraal, d’Esther, la fille du mercanti qu’il avait assassiné pour faire endosser à Albert et à Alexandre, la responsabilité du crime. La cruelle similitude de leurs destinées réunis les deux infortunées. Esther s’en allant au Cap dans le wagon qui, avec son approvisionnement, constituait désormais tout son avoir, offrit à Anna l’hospitalité d’une sœur, lui proposa de retourner sur ses pas et de l’accompagner jusqu’au diggin.

Inutile de dire que Klaas, enfin au comble de ses vœux, n’eut garde de se rendre à Nelson’s Fountain. Trop rusé cependant pour laisser même entrevoir ses projets ultérieurs, il sut demeurer dans son rôle de bienfaiteur et limiter son intervention à des prévenances parfois indiscrètes ou maladroites, mais dont sa brusquerie habituelle et son manque d’éducation première faisaient aisément pardonner la gaucherie et l’inopportunité.

Madame de Villeroge, en proie à une mortelle angoisse, trouvait aux heures une incommensurable longueur. L’attelage de bœufs n’avançait qu’avec une lenteur désespérante, quelque diligence que fît le Boër pour presser son allure. La jeune femme, rassurée par son attitude pleine de réserve, croyait de bonne foi qu’il avait oublié sa déconvenue passée, et ne voyait en lui qu’un compagnon obligeant qui ne marchandait ni son temps ni sa peine. Klaas avait eu d’abord l’intention de conduire ses captives sur les terres immenses dont il était concessionnaire avec ses frères. Il allait laisser Nelson’s Fountain sur la gauche et obliquer franchement vers l’Est, quand un messager, envoyé par Cornélis, vint lui enjoindre, de la part du Révérend, de se rendre, coûte que coûte et sans plus tarder, aux cataractes Victoria. Le Révérend avait conservé des intelligences avec eux, et les informait assez souvent de sa position, grâce à la troupe de nomades qui suivait pas à pas les Européens. Klaas, comprenant que l’instant décisif approchait, modifia son itinéraire en maugréant et se hâta d’apporter à ses complices l’appoint de sa personne.