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– Master Will ! Le Révérend !

– Nous-mêmes, messieurs, et tout à la joie de vous revoir.

» Attirés par votre coup de feu, nous avons assisté, avec l’inquiétude que vous pouvez croire, à votre lutte contre ce monstre qui vient de rouler dans la faille.

Quelles actions de grâces ne devons-nous pas à la Providence, qui vous a tirés sains et saufs d’un semblable péril !

– Merci. Vous êtes bien bons, répondit Alexandre d’un air moitié figue et moitié raisin.

» À propos, reprit-il sans préambule, et mon Sosie ?

– Un gredin, monsieur, un infâme gredin, dit master Will d’un ton lugubre.

– La paix, mon frère, interrompit en nasillant horriblement le Révérend. C’est une brebis égarée. Il nous a d’ailleurs rendu service.

– Cafard, dit en aparté Joseph.

– Singulière brebis et joli service, riposta aigrement master Will. Il a commencé par nous demander la bourse ou la vie.

– Comme à des mineurs qui viennent de trouver le panier d’oranges.

– Yes.

– Comme vous n’étiez pas mineurs et que vous n’aviez pas un shelling en poche, il vous a fait l’aumône ?

– Non. Il nous a obligés en nature en nous amenant ici dans une barque volée je ne sais où.

– Pourquoi sur cet îlot plutôt que partout ailleurs ?

– Une idée du Révérend qui, après lui avoir administré un sermon sur le respect de la propriété, l’a décidé à nous servir de batelier.

– Master Will s’émancipe, glissa à voix basse Albert à l’oreille d’Alexandre.

– Mais, mon frère, reprit le Révérend en nasillant de plus belle, rien ne vous empêche de partir et d’aller au diggin utiliser votre vigueur et votre activité.

– Bien touché ! dit Alexandre à la cantonade.

– Quant à moi, je tenais à m’établir ici pour plusieurs motifs. Cet îlot, vous le savez sans doute, messieurs, a été consacré par la présence de l’illustre Livingstone, le vénérable fondateur des missions anglaises en Afrique australe. N’était-il pas naturel que je fisse un pèlerinage à ce lieu visité par notre immortel compatriote, qu’il a ensemencé de ses mains, et auquel il a donné le nom d’île du Jardin ?

– Parfaitement naturel, Révérend.

– Je suis, en outre, après de cruelles vicissitudes, parvenu au terme de mon voyage. Je veux évangéliser les riverains des chutes Victoria, faire cesser les luttes fratricides qui désolent cette opulente région, instruire les noirs, leur enseigner notre sainte doctrine, parachever, en un mot, avec mes faibles moyens, l’œuvre commencée par David Livingstone.

» Ce lieu qui, par son imposante majesté et sa suprême grandeur, a, de tout temps, vivement frappé l’esprit des naturels, ne vous semble-t-il pas merveilleusement approprié à l’idée que j’ai eue d’en faire en quelque sorte mon quartier général ?

– C’est vrai, dirent simultanément Albert et Alexandre, prenant au sérieux les infâmes momeries du gredin.

– Mais, la joie que me cause votre retour, sur lequel je n’osais plus compter, m’a tout d’abord empêché de vous demander de vos nouvelles. Veuillez agréer mes excuses et tenir compte du saisissement que m’a fait éprouver votre arrivée.

» Par quelle étrange série d’événements avez-vous donc passé ?

Albert allait prendre la parole et répondre par quelques mots de remerciement, quand des cris terribles retentirent à la pointe de l’île, derrière l’épais rideau d’arbres enchevêtrés de lianes. Les cinq hommes s’élancèrent à travers bois et arrivèrent au bord de la berge après quelques minutes d’une course désordonnée.

Cramponnés à des troncs formant un radeau que le courant disjoignait à chaque instant, deux noirs éperdus appelaient au secours. La situation de ces malheureux devenait à chaque instant plus périlleuse. Elle allait bientôt être désespérée, car ils n’avaient plus d’autre alternative que d’être broyés sur les rocs ou précipités dans la faille.

Alexandre envisagea froidement la position et s’écria, d’une voix qui dominait le fracas de la cataracte :

– Il faut les sauver !

X

Inconséquences entre les paroles et les actes du Révérend. – Préparatifs de sauvetage. – Joseph à la recherche d’une amarre. – Assaut de générosité. – Joseph fait crédit d’une bonne action à Alexandre. – Celui-ci retrouve d’anciennes connaissances. – Gun et Horse. – Stupeur des deux noirs à son aspect. – Alexandre apprend avec étonnement qu’il possède le don d’ubiquité. – Combat entre une troupe de blancs et la tribu des Batokas. – Les trois amis se séparent enfin du Révérend et de Master Will. – Gun ambasseur près des Makololos. – Un héraut de cour. – Étiquette africaine.

Au moment où Alexandre voyant les deux noirs près d’être saisis par le tourbillon et roulés dans l’abîme s’écria : « Il faut les sauver », un singulier courant d’opinion se manifesta soudain parmi les cinq hommes.

Albert et Joseph, cœurs d’or, natures intrépides autant que généreuses, mirent d’un seul mouvement habit bas et se préparèrent à s’élancer, sans calculer le péril, sans même paraître en avoir conscience.

Le Révérend, en dépit des philanthropiques tirades débitées tout à l’heure, recula prudemment en se calfeutrant hermétiquement dans sa lévite. Quant à master Will, il haussa imperceptiblement les épaules et murmura entre ses dents :

– Il faut être Français, pour risquer ainsi follement sa peau pour des nègres.

Joseph entendit l’ignoble réflexion du policier et pâlit d’indignation. Mais, le temps pressait. Il ne jugea pas à propos d’honorer le drôle d’une réponse et se contenta d’incruster ses paroles dans un coin de son implacable mémoire.

– Amis, disait en même temps Alexandre, pas de précipitation. Vous iriez à une mort aussi certaine qu’inutile.

» Avant d’avoir fait dix brasses, vous seriez drossés par le courant, et précipités dans l’abîme.

– Mais, que faire ? s’écria d’une voix anxieuse Albert de Villeroge. Nous ne pouvons pas assister à cette horrible agonie.

– M’écouter. Pas de paroles oiseuses. Albert, cours à la pirogue et vois si elle est en état.

» Vous, Joseph, vous sentez-vous de force à escalader en deux temps cet arbre d’où pendent ces lianes ?

– Oui. Puis, que faut-il faire ?

– Voici mon couteau. Passez-le à votre ceinture. Bien. Montez ; arrivé la haut, coupez deux ou trois lianes. Puis descendez rapidement.

– Caraï ! Je grimpe... Vous allez voir... Comme un homme des bois.

Il disparut en quelques secondes au milieu des feuilles trempées par les poussières aqueuses que projetait la cataracte.

– Courage, enfants, cria en anglais Alexandre aux noirs, courage ! On vient à votre secours.

Trois lianes minces et solides comme des grelins tombaient à ce moment sur le sol, tranchées par Joseph, et se tordaient comme des serpents.

Albert revenait en courant. Il semblait désespéré.

– La pirogue est hors de service, s’écria-t-il du plus loin qu’il put. Le bordage a été éclaté par les dents de l’hippopotame. Elle a coulé par deux brasses.

– Je m’en doutais, répondit froidement Alexandre. C’est pour cela que je viens d’envoyer à tout hasard Joseph à la recherche d’une amarre.

» Eh ! Joseph, descendez, mon ami.

– Voilà, monsieur Alexandre, répondit le Catalan se laissant glisser entre deux lianes, et en imitant cette manœuvre familière aux gabiers qui évoluent le long des galhaubans d’un navire.