Выбрать главу

– Oui. Je me souviens de tes paroles.

– Prends ce couteau et cette branche verte. Voici en outre de la poudre et du plomb enveloppés dans une feuille. Porte tout cela en évidence.

« Quant à toi, Albert, et vous Joseph, vous vous tiendrez chacun d’un côté de Horse. Je vous précéderai avec Gun.

» Maintenant que le cérémonial est réglé, en avant.

La petite troupe remonta sans hésiter le cours du Zambèze et après une marche qui dura une heure à peine, rencontra quelques coureurs Makololos que le chef, en stratégiste consciencieux, avait chargés d’éclairer les abords de son campement.

Alexandre se fit reconnaître, annonça l’arrivée des deux blancs d’Europe, et enjoignit aux noirs d’avertir leur maître qu’il allait recevoir un héraut de cour envoyé par les Batokas.

Les éclaireurs saluèrent gravement et répondirent que c’était bien. Puis, ils ajoutèrent :

– Que le messager des Batokas soit le bienvenu. Que les Blancs soient reçus comme les fils de Daoud. Que leur chef, ami des noirs, attende notre retour avant de conduire au Kotla le fils de Magopo.

» Les femmes vont apporter les paniers de « boyaloa » (bière indigène) pendant que les guerriers se rassembleront.

Peu de temps après ces préliminaires encourageants, une troupe nombreuse s’avança lentement en poussant des cris discordants, qui rassurèrent complètement Gun et Horse, bien qu’une oreille européenne n’eût pu distinguer s’ils présageaient une bienvenue ou renfermaient une menace.

Arrivés à cent pas à peine du petit groupe, les guerriers s’arrêtèrent, piquèrent en terre les pointes de leurs sagaies, pendant qu’un vieillard de haute taille, vêtu d’un karosse en plumes d’autruches se détachait et faisait signe à quatre femmes d’apporter des rafraîchissements.

Ce vieillard était le héraut de cour du chef des Makololos Séshéké, le fils de Sébitouané qui avaient été l’un et l’autre amis du docteur Livingstone. Il remplissait ses fonctions depuis des temps immémoriaux, et ne se sentait pas d’aise quand l’occasion se présentait de les exercer.

Mais il était intraitable sur le chapitre de l’étiquette et ne voulait, à aucun prix, permettre le moindre croc-en-jambe au cérémonial habituel.

Aussi du plus loin qu’il put se faire entendre, se mit-il à déclamer pompeusement et d’une voix stentoréenne les formules en usage.

– Seigneur ! Ne voyez-vous pas les hommes blancs, camarades de Séshéké ! Ne voyez-vous pas les frères des Makololos !

» Seigneur ! Les Makololos sont de puissants guerriers, ils tendent la main aux fils des Batokas leurs vaillants ennemis !

» Seigneur ! Seigneur ! Nous voulons la paix ! Donnez la paix à vos enfants.

– Excellent début, murmura Albert à Alexandre qui lui traduisait tant bien que mal ces compliments de bienvenue.

– Sans doute. Pourvu qu’il ne survienne pas quelque incident inattendu pour faire échouer au dernier moment cette délicate négociation.

XI

Cérémonial d’une entrevue. – Joueurs de fifres et de marimba. – Les étonnements de Joseph. – Le roi des Makololos s’approprie le « God save the Queen ». – Embonpoint des femmes Makololos. – Parures gênantes. – De la bière où il y a plus à manger qu’à boire. – Le Poulouma ou grand fétiche de Séshéké. – Singulière destinée d’une houppelande de cocher de fiacre. – Sur le Kotla. – Le grand costume d’apparat d’un monarque africain. – Divertissements. – Seshéké danse le cotillon. – Du vin de Champagne !... – Touchante allégorie accompagnant le traité de paix. – Nouvelles appréhensions.

Soit qu’il fût fatigué de la guerre avec les Batokas, soit qu’il voulût faire honneur aux blancs en recevant dignement le héraut de cour improvisé par Alexandre, Séshéké mit, comme on dit vulgairement, les petits plats dans les grands et fit à ses hôtes une réception princière. Une nouvelle troupe, composée de ses guerriers d’élite, en grande tenue, comme pour une revue d’apparat, s’avança au-devant des nouveaux arrivants. Les fers des sagaies, frottés à tour de bras avec le sable rouge de la plaine, scintillaient comme les baïonnettes de soldats européens, et les hampes, lustrées à l’aide de fragments de quartz, offraient le poli de l’ébène. Les larges ceintures en coton de Manchester, uniformément enroulées autour des reins et des cuisses des noirs guerriers, – et auxquelles nos troupiers eussent donné le nom de pantalons numéro un – avaient été exhibés pour la circonstance ; les anneaux de laiton encerclant les bras et les jarrets luisaient comme de l’or ; les chevelures enduites de gomme d’acacia mélangée de glaise rouge, s’étageaient comme les bonnets à poils de nos anciens grognards, il n’est pas enfin jusqu’aux barbes de porc-épic, passées transversalement dans la cloison médiane de tous les nez, qui n’affectassent les pointes de moustaches cirées et cosmétiquées à outrance.

La fanfare, précédant cette compagnie de la garde royale, se composait seulement de quatre exécutants, mais, quels virtuoses ! Ce qui frappa tout d’abord Joseph qui ne put s’empêcher d’en faire la remarque à Alexandre, fut la superbe couleur rouge des cheveux de ces musiciens.

– Té !... voyez donc... Ils ont, comme les dragons et les cuirassiers de France, une crinière rouge.

– Cela vous prouve, mon cher Joseph, qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

– Sauf votre respect, monsieur Alexandre, il y a d’abord les deux tambours.

– Je vous accorde volontiers les tambours en peau de couagga sur lesquels ils cognent avec une seule baguette. Il est vrai qu’ils réduiraient bien vite au silence le plus intrépide joueur de grosse caisse.

– Et leurs fifres !... Oh !... carrraï !... Ils se les fourrent dans le nez.

» Vous n’avez jamais vu jouer du fifre de cette façon-là, n’est-il pas vrai

– La méthode est, en effet, nouvelle et originale.

– Mais, ils doivent saigner du nez comme si leur tête « il » était une peau de vouc pleine de rancio.

– C’est leur affaire. Mais, voyez donc le chef de fanfare qui s’escrime sur cette espèce de piano-portatif...

» J’avais tort, en vous disant qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Voici un instrument de musique complétant singulièrement la collection des jnoums-jnouns, gourras, rabouquins et romelpots entendus précédemment.

Si en effet les tambours sont étranges, avec les figures grossières sculptées sur le tronc creux qui en forme la caisse, si les deux peaux de couagga tendues à éclater après avoir été exposées au feu, produisent un charivari infernal, si enfin le fragment de toile d’araignée étalé sur une petite ouverture latérale sert à donner des notes fêlées de l’effet le plus discordant, l’outil musical dénommé piano-portatif par Alexandre, est plus extraordinaire encore, comme son et comme aspect.

Les indigènes de cette partie de l’Afrique Australe lui donnent le nom de Marimba et ils ne s’en servent que dans les occasions exceptionnelles. Il consiste en deux traverses parallèles et recourbées en demi-cercle, de façon a représenter la partie extérieure de la bande d’une roue de voiture. En travers de ces deux demi-cercles, distants l’un de l’autre d’environ vingt centimètres, sont placées quinze touches de bois très mince ayant chacune six à huit centimètres de large et quarante de long. Leur épaisseur est calculée d’après la gravité de la note que l’on veut obtenir. Sous chacune de ces touches est adaptée une calebasse vide dont la partie supérieure a été entaillée de manière à recevoir, comme dans une mortaise les deux barres transversales. Enfin, chacune de ces calebasses, ayant une grandeur équivalente à la tonalité de la note que doit produire la touche correspondante, forme un résonateur analogue, toutes proportions gardées, à la cavité d’un instrument à corde.