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– Klaas, mon frère, répond d’un ton sarcastique Pieter le balafré, vous n’êtes guère aimable.

– Et vous avez la mémoire courte, réplique à son tour Cornélis le borgne.

– Que le diable m’emporte et vous torde le cou, je n’ai guère le temps d’être aimable, surtout avec vous !...

– Sans doute. Vous gardez pour vos deux tourterelles tous les trésors de votre...

– Silence, païen... au fait.

– C’est tout simple. Vous êtes l’auteur d’un plan très habile, que vous nous communiquâtes, s’il m’en souvient bien, dans la case du Révérend, près du kopje de Nelson’s Fountain.

– Après ?...

– Vous nous avez mis l’eau à la bouche en nous offrant la facile conquête d’un trésor qui nous eût rendu aussi riches que Sa Majesté la Reine. Nous avons cru en vous et nous n’avons marchandé ni notre temps ni notre peine.

» Et maintenant, que nous touchons au but, vous êtes pris de scrupules qui ressemblent à de la trahison.

– Après ?... interrogea une seconde fois le Boër dont les joues s’empourprèrent sous la poussée d’un flot de sang.

Pieter prit à son tour la parole :

– Vous vouliez tout à la fois, vous enrichir avec nous et posséder la femme de notre ennemi.

» Nous trouvions doublement notre compte à la réussite de ce plan, qui nous accordait et la fortune et la vengeance.

» La vengeance est une bonne chose, j’en conviens. Mais la possession du Trésor de rois Cafres !... fit le bandit avec un indescriptible accent de convoitise.

– Mais, reprit Cornélis, ne trouvez-vous pas, Klaas, que vous ne nous faites guère honneur, en nous laissant ainsi parlementer au dehors.

» Voyons, que diable, mon frère, nous ne sommes pas des ennemis... jusqu’à présent, du moins.

– Restez où vous êtes, reprit Klaas de sa voix dure. Je ne puis plus me fier à personne. À vous moins qu’à tout autre.

Cornélis et Pieter eurent un rire brutal, plein de sarcasme et de menace. Le premier riposta en goguenardant :

– C’est bien, Klaas, nous savons ce qui nous reste à faire. Vous voulez la femme et le trésor, c’est trop, mon garçon. Vous vous repentirez de votre avidité.

» Quoi qu’il en soit, nous venons avec des paroles de paix, et il vous sera loisible de les méditer jusqu’à demain.

» Quand le soleil sera au tiers de sa course, il ne sera plus temps.

– Mais que voulez-vous donc enfin ? s’écria Klaas que cette vague menace dans la bouche des deux sacripants commençait à émouvoir,

– Voici. Nous n’ignorons pas que nous sommes dans le voisinage du lieu où se trouve le trésor, mais nous ne sommes pas seuls à le savoir. Le motif de notre expédition a été sans doute bien mal gardé, puisque la plupart des diggers du kopje Victoria le connaissent. Ils ont déserté leurs claims, nous ont mis, bon gré, mal gré, à leur tête, et ils veulent chercher avec nous le trésor et le partager.

» Ces braves gens sont fort pressés, et dame ! la cupidité, vous le savez aussi, est mauvaise conseillère. Si vous restez ainsi claquemuré dans votre forteresse, il y a gros à parier que vous serez attaqué, et que les deux tourterelles passeront de la cage où vous les retenez, aux mains de nos auxiliaires... forcés.

– Le premier qui touchera un seul de leurs cheveux est un homme mort.

– D’accord. Le premier, le second, le dixième si vous voulez. Mais vous n’espérez pas, quelle que soit votre vaillance, tenir en échec une pareille troupe de gens ne craignant ni Dieu ni Diable, et dont l’avidité est encore excitée par l’appât d’un pareil trésor.

– Le trésor, soit. Mais pourquoi les femmes ?

– Klaas, mon frère, vous avez l’entendement singulièrement obtus. Je vous avais jusqu’à présent regardé comme la forte tête de la famille, je vois avec peine qu’il me faut en rabattre.

» Comment, est-ce que la femme de ce Villeroge maudit ne connaît pas l’emplacement exact du lieu où se trouve la « cache » des Diamants ?

– Si !... mais elle ne parlera jamais !

– Vous n’êtes guère persuasif et vous me donnez une piètre idée de votre façon d’agir envers les femmes.

» Ah ! çà, ne seriez-vous donc pas le maître absolu ici... Le maître devant lequel tout tremble, et auquel chacun obéit !

– Que vous importe ?

– Il m’importe si bien que si vous ne connaissez pas ces procédés je vais vous les indiquer. Il y a la privation absolue d’aliments et de boissons, puis, l’insomnie prolongée, puis, une bonne mèche soufrée entre les pouces. Vous n’avez que l’embarras du choix.

– Non ! riposta Klaas d’une voix énergique.

– À votre aise ; je vois bien qu’elle vous a ensorcelé. Peu nous importe ! Il me reste à vous déclarer que, avant deux jours, et quoi que vous fassiez, la belle sera entre nos mains, et qu’elle parlera.

» Sur ce, adieu, ou plutôt au revoir.

Klaas, haussa les épaules, tourna le dos sans répondre un mot et alla s’accroupir comme un dogue, sous le dray, en tourmentant la batterie de son roër.

Les bandits se retirèrent et s’en allèrent rendre compte de leur échec aux mineurs arrêtés sous les arbres. D’horribles imprécations accueillirent leur arrivée, et il fallut toute l’autorité des deux Boërs pour empêcher l’attaque immédiate du wagon.

– C’est bon, grommela Klaas, hurlez à votre aise. J’ai encore une nuit de répit ; en douze heures, l’obscurité aidant, un homme de ma trempe peut accomplir bien des choses.

» Tiens, continua-t-il, en voyant un groupe d’énergumènes s’avancer les armes à la main en vociférant, est-ce que ceux-là auraient la prétention de rompre la trêve accordée par Cornélis et Pieter ?

» Cela m’étonnerait ; mes frères sont d’affreux coquins, mais ils sont hommes de parole.

» Halte là ! mes gaillards, ou je fais feu.

Les diggers continuant d’avancer, Klaas déchargea son arme. Un homme tomba. Cette chute eut pour effet immédiat d’arrêter ce faux semblant d’attaque, sinon d’empêcher les cris.

– Le Trésor !... Le Trésor des rois Cafres !... Nous voulons le trésor, hurlaient-ils furieux.

– Le trésor !... c’est cela. Attendez à demain. Je vous en procurerai un sur lequel vous ne comptez guère.

Pendant que s’accomplissait ce sanglant épilogue de l’entrevue entre les trois frères, madame de Villeroge et Esther, auxquelles nulle parole du cynique entretien n’avait échappé, se tenaient, pâles, mais résolues, dans la partie du chariot affectée à leur logement. Depuis qu’elles avaient l’assurance qu’Albert et ses amis se trouvaient dans le voisinage, leur énergie avait grandi encore s’il est possible. Certaines d’être bientôt secourues, sinon de pouvoir au moins échapper par la mort aux suites, hélas ! probables de leur longue détention, elles envisageaient la position avec une impassibilité sereine que bien peu d’hommes aguerris eussent pu conserver dans de semblables conjonctures.

Leur inébranlable fermeté avait jusqu’alors eu raison des entreprises de Klaas, qui, tremblant de perdre du même coup la femme et le trésor si ardemment convoités, semblait plutôt un serviteur dévoué, qu’un geôlier implacable. Il est vrai qu’il savait madame de Villeroge susceptible de mettre à exécution sa terrible menace de se faire sauter avec le dray, et cette alternative l’avait maté depuis le jour où il avait rencontré Sam Smith poursuivi par les diggers.

– Vous n’avez pas peur, n’est-ce pas, Esther ? disait Anna à sa compagne qui n’avait pu réprimer un léger tressaillement en entendant le coup de feu.