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» Voilà, mes braves Boërs, comment j’entends les affaires.

– Touchez là, Révérend, vous êtes un homme.

– Ainsi, voilà qui est dit. Nous allons détaler dans un moment, et laisser Klaas se débrouiller comme il le pourra avec les mineurs quand la trêve sera expirée. Demain au point du jour, nous serons près de la cataracte, c’est-à-dire à quelques pas du but.

Klaas, en entendant cette singulière confidence, se sentit envahi tout à coup par un de ces terribles accès de colère froide qui rendent si redoutables les hommes à tempérament lymphatique, en ce sens qu’en décuplant leurs moyens d’action, elle les laisse en possession de tout leur calme.

Il se demanda un moment s’il n’allait pas s’élancer sur les trois misérables, profiter de leur stupeur et leur casser la tête. Mais cette exécution sommaire aurait pour résultat immédiat de faire accourir les mineurs. Devait-il, d’autre part, s’attacher à leurs pas, les suivre à la piste, intervenir brusquement et leur crier : Part à quatre ! au moment du partage ? Il lui fallait alors abandonner ses deux prisonnières dans le dray, et les laisser exposées aux violences des diggers. Un rude combat se livra dans son esprit pendant quelques secondes. La cupidité fut vaincue.

Il réagit énergiquement, dompta sa fureur, calma ses nerfs et dit en aparté :

– C’est bon. Allez devant. Frayez-moi la route, Moi, je vais au plus pressé.

Il obliqua lentement autour de la clairière, contourna le campement et arriva bientôt au pied des roches sur lesquelles s’élevaient le lugubre massif d’Euphorbes.

La nuit était sombre, mais la lumière des étoiles était suffisante pour éclairer la besogne à laquelle il se livra sans désemparer.

À ses pieds dormait le ruisseau dont les eaux presque immobiles coulaient à peine sur les grèves et les cailloux roulés. D’une main exercée, le Boër se mit à sabrer les Euphorbes, en prenant d’infinies précautions pour éviter les épines qui les hérissaient comme de véritables chevaux de frise, ainsi que le contact du suc vénéneux ruisselant de toutes les coupures. Les tiges peu résistantes oscillaient un moment, glissaient sur le roc et tombaient dans la rivière avec des clapotements simulant à s’y méprendre le bruit produit par les ébats nocturnes d’un clan de caïmans. Puis, elles s’enchevêtrèrent les unes aux autres par leurs épines et flottèrent à peine, en raison de leur poids, sur les eaux auxquelles se mêlèrent en quantités énormes les principes redoutables qu’elles distillent.

La nuit fut employée presque tout entière à cette sinistre besogne, eu égard aux difficultés présentées par l’opération, et aux dangers résultant de la proximité des mineurs. Une heure encore et le soleil allait apparaître, quand Klaas, dont l’athlétique vigueur n’avait aucunement souffert en accomplissant ce tour de force, rentra sans encombre dans son wagon.

Confiant dans la réussite de son stratagème, il attendait patiemment le dénouement prévu.

Ceux qui mènent la vie d’aventures, n’ont pas l’habitude de s’endormir le matin dans les délices du farniente. On est matinal, au désert, et l’on ignore d’autant mieux les luttes avec l’oreiller, que cet oreiller se compose généralement d’un paquet d’herbes, d’une bûche ou d’une pierre. Un cri joyeux, bientôt suivi d’un bruyant appel aux armes, accompagna les premiers flamboiements du soleil au-dessus des cimes. Les mineurs engourdis se secouaient mutuellement, les premiers éveillés gourmandant les retardataires puis, au bout d’un moment, la clairière fut emplie d’un bruit intense de conversations, de chants, de cris, de jurons.

Partout où domine l’élément anglais, au Canada comme dans l’Inde, en Australie comme en Afrique, les travailleurs de tous pays ont emprunté, au citoyen du Royaume-Uni, ses principes d’hygiène.

Quand un cours d’eau est à proximité, la journée débute invariablement par une baignade générale. Les aventuriers, campés dans la clairière, n’eurent garde de négliger cette salutaire coutume. Mais, comme le temps pressait, chacun se déshabilla en un tour de main, fit un paquet de ses vêtements qu’il laissa sur le sable du rivage, et la troupe entière, après une série de gambades, se rua au beau milieu de l’eau.

Il n’y eut pas de retardataires, et pour cause. Comme on redoute les vols et que des gens peu délicats pourraient, sans aucun scrupule, fouiller les défroques à l’abandon, il est d’usage que la baignade ait pour tous une égale durée.

Un morne silence, plein de stupeur, succéda tout à coup aux cris et aux lazzis accompagnant cette immersion générale, puis, une immense clameur à laquelle se mêlèrent des hurlements de douleur et des imprécations de rage éclata soudain.

Les diggers, frappés instantanément d’un mal terrible, bondissaient affolés au milieu des flots, se tordaient comme des convulsionnaires, portaient leurs mains à leurs yeux privés de lumière, et cherchaient, en titubant comme des hommes ivres, à regagner le bord. Les ravages opérés par l’artifice diabolique de Klaas étaient épouvantables. Les Euphorbes sabrées par lui pendant la nuit, étaient en telle quantité, que le cours du ruisseau était littéralement empoisonné. Un œil exercé eût pu, en effet, apercevoir sur la surface des eaux, un liquide légèrement verdâtre, flottant en raison de sa faible densité, et ne se mêlant pas à la couche inférieure à cause des principes résineux qu’il contient. L’introduction de ce suc corrosif, qui même appliqué sur la peau peut occasionner la désorganisation des tissus, avait, par son simple contact avec la muqueuse des yeux, produit des ophtalmies la plupart incurables peut-être.

Le Boër n’avait plus rien à craindre de ce côté, car ces malheureux, privés de tout secours, incapables de subvenir au plus pressant besoin, étaient fatalement condamnés, à moins d’un miracle. Averti par les clameurs farouches de ses victimes, qu’elles étaient réduites à l’impuissance, le bandit se frottait les mains avec une joie féroce et murmurait :

– Eh ! bien, blancs d’Europe, vous voici dans un bel état. Cela vous apprendra à vous attaquer à ceux que vous traitez dédaigneusement de sauvages.

» Et maintenant, en marche ! j’ai bien commencé ma journée. Il s’agit de quitter ce lien maudit, et de suivre la piste de mes excellents frères et du digne Révérend.

Klaas allait sans désemparer atteler ses bœufs et abattre la palissade leur servant de kraal, quand un cri de fureur et de désespoir qui ne le cédait en rien comme intensité ni comme expression à ceux que poussaient les diggers, lui échappa à son tour.

Toutes les bêtes composant son attelage, gonflées comme des outres, l’œil éteint, la langue violacée, gisaient inertes sur le sol, les unes mortes déjà, les autres agonisantes. Des amoncellements de broussailles dépouillées de leurs feuilles et dont Klaas reconnut soudain l’espèce, formaient une litière aux pauvres animaux.

– On a empoisonné mes bœufs, hurlait-il en se frappant la tête de terribles coups de poing. On a apporté ici pendant mon absence des branches de tulp![49]

» Oh ! Je retrouverai le coupable, et, je le jure, je lui arrache le cœur.

Un formidable coup de tonnerre arrêta pour un moment la série de ses malédictions. Un énorme nuage d’un noir de poix, ourlé d’une sinistre bande de cuivre, montait à l’horizon, et accourait porté sur les ailes de la tempête. Déjà la rafale tordait les arbres, broyait les branches, rompait les lianes et hachait les fleurs. De larges gouttes de pluie sillonnaient les airs et clapotaient sur les eaux du ruisseau, en produisant des milliers de globules sphériques.

Les éclats de la foudre devinrent assourdissants et se confondirent en un roulement continu. D’immenses éclairs livides, tellement rapprochés qu’ils ne formaient plus qu’une seule conflagration, semblèrent incendier la région tout entière.

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49

Cette plante appelée Tulp par les Hollandais et Mokoun par les indigènes est mortelle pour les bœufs, tandis que les chevaux la mangent impunément.