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Les deux troupes étaient à portée de la voix. Les trois Français firent plusieurs pas encore et s’arrêtèrent à quelques enjambées du bushranger qui avait opéré la même manœuvre.

– Ma foi, messieurs, fit-il, sans préambule, avec son impudence gouailleuse, il faut convenir que le hasard opère de singuliers rapprochements.

– En effet, master Smith, mais, comme le temps presse, trêve de propos oiseux, et au fait, si vous le voulez bien.

– À vos ordres, messieurs.

» Permettez-moi pourtant de vous faire préalablement observer que votre présence parmi les ennemis de mes nouveaux amis me cause un véritable préjudice.

– Nous sommes les premiers à le regretter, master Smith, et c’est positivement pour empêcher ce malheur que nous voulons traiter avec vous.

– Oh ! monsieur, interrompit durement le bandit, entendons-nous bien. Ma ressemblance avec l’un de vous m’a rendu dépositaire d’un secret trop important pour que je ne veuille pas en profiter dans les plus larges proportions.

» Vous savez ce dont il s’agit. Du Trésor des anciens Rois Cafres, n’est-il pas vrai ? Eh ! bien, je veux tout... ou rien. C’est le seul accommodement que je puisse vous proposer. Tout si vous ne voulez pas gêner mes opérations... sinon rien, car alors, vous aurez eu ma peau.

» C’est mon dernier mot.

– Voici, murmura à demi-voix Albert, un impudent coquin que je vais bâillonner d’un lingot de plomb.

– Tenez, monsieur, reprit le bandit, je serai franc. Vous êtes des explorateurs, moi, un simple aventurier. Ce que vous faites pour la gloire ou pour tout autre motif qui m’échappe, je le fais, moi, pour l’argent, sans m’arrêter aux moyens quels qu’ils soient.

» Vous êtes désintéressés, je suis cupide. Que vous importent ces querelles entre les noirs riverains de ce fleuve ! Que vous importent quelques poignées de cailloux pour lesquels on va s’entre-tuer tout à l’heure, quand il y a, non loin d’ici, des infortunes poignantes à secourir. des infortunes qui me briseraient le cœur si j’en avais encore un.

– Que voulez-vous dire ? interrompirent d’une seule voix les trois amis, à la générosité desquels nul ne pouvait faire un inutile appel.

– Que vous trouverez, à moins de deux journées de marche, dans la direction de l’Est, un attelage conduit par un gredin qui me paraît entendre l’existence avec une complète absence de préjugés.

– Achevez.

– Que ce wagon sert de prison ambulante à deux pauvres femmes auxquelles le gredin en question doit rendre l’existence passablement dure, à en juger par le soin rigoureux qu’il met à les consigner, et si j’en crois les termes d’un document tombé par hasard entre mes mains.

– Deux femmes !... Vous dites bien deux femmes ? demanda Albert en proie à une singulière émotion.

– Oui. L’une est Européenne, Française même, comme semble l’indiquer son nom.

– Vous en souvenez-vous ?

– Ma foi, je vous avouerai que je n’ai pas la mémoire des noms. Mais, si cela peut vous intéresser, prenez connaissance des quelques mots tracés sur le premier feuillet de ce livre.

» Je l’ai conservé, je ne sais trop pourquoi. Prenez-le pour ce qu’il m’a coûté... c’est-à-dire sans même me donner un remerciement.

Le bandit présenta la Bible trouvée sous le bauhinia à Albert qui s’était rapproché.

Le jeune homme l’ouvrit en tremblant, et ses regards tombèrent sur les caractères sanglants. Un frisson rapide le secoua de la tête aux pieds. Ses yeux dilatés par l’épouvante ne voyaient plus, sa gorge serrée comme par un étau, ne pouvait proférer aucun son. Puis, il oscilla d’avant en arrière, comme si la vie s’était retirée tout à coup de son être. Il allait s’abattre sur le sol si Joseph ne l’eût vigoureusement étreint à bras le corps. Cette subite défaillance chez un pareil homme effraya Alexandre qui sans en connaître encore le motif, pressentit soudain une épouvantable catastrophe.

Par un de ces irrésistibles efforts qui brisent un organisme ou triomphent de l’émotion, Albert réagit soudain et poussa un cri farouche. Récupérant sa jeune et puissante énergie, il échappa à l’étreinte de Joseph et tendant le livre à Alexandre, il s’écria d’une voix qui n’avait plus rien d’humain :

– Tiens !... lis !... mais lis donc.

Alexandre que son calme n’abandonnait jamais, lut à demi-voix, avec un sang-froid effrayant ces lignes désespérées, pendant que Joseph, suspendu à ses lèvres écoutait, semblable à la statue du Désespoir. N’eût été le tremblement de sa voix et la pâleur livide répandue sur les traits du lecteur, master Smith, seul témoin désintéressée de cette scène poignante, eût cru qu’il partageait son indifférence. La fureur de Joseph éclata en un rugissement farouche au moment où Alexandre prononça d’un accent brisé ces trois derniers mots : Comtesse de Villeroge.

– Et c’est madame Anna... ma bienfaitrice, la femme de celui que j’aime le mieux au monde... C’est elle qui est prisonnière... ici, à deux pas de nous.

» Malheur à ceux qui l’ont enlevée. J’inventerai des supplices nouveaux pour les punir. Les brigands !... Il me faut une pinte de sang pour chaque larme... Un lambeau de chair pour chaque soupir... Non !... ce ne sera pas assez.

Albert avait repris possession de lui-même.

– Partons, dit-il avec une intonation rauque... Cet homme a dit à deux jours de marche. Il nous suffira de douze heures. Nous courrons jusqu’à épuisement. Mais, nous arriverons. Et alors, tu l’as dit, Joseph, malheur à ceux qui me l’ont ravie.

» Oh ! maudite soit cent fois ma folle ambition !

– Oui, partons, répondirent d’une seule voix Alexandre et Joseph.

» Mais, reprit en se ravisant le premier dont le calme ne se démentait pas, nous avons besoin d’indications plus précises. Nous ne pouvons, sous peine de subir un échec déplorable, nous lancer ainsi à l’aventure.

– J’ai dit dans la direction de l’Est, fit Sam Smith qui n’espérait pas rester à si bon compte seul maître de la place et dont l’âpreté s’accommodait si bien de ce brusque départ dont la cause pourtant l’intriguait malgré lui.

» Vous n’avez qu’à marcher dans la direction du soleil levant, et vous trouverez bientôt la trace du chariot.

Les trois amis n’avaient pour tout arme que leurs couteaux et la carabine d’Alexandre, et ce dernier jetait malgré lui un œil d’envie sur celle que Smith portait en bandoulière.

– Monsieur, lui dit-il enfin, il ne nous appartient pas de juger à quel motif vous avez obéi en nous faisant cette révélation. Vous voyez à notre émotion, que votre confidence a pour nous un intérêt capital.

» Le temps presse. Nous allons entreprendre une expédition pour laquelle nous ne sommes pas prêts. Les armes nous manquent. Voulez-vous me céder votre carabine.

– Comment donc ! mais, avec le plus grand plaisir répondit en goguenardant le bandit. Si toutefois, vous pouvez me verser sur l’heure les cinquante mille francs auxquels j’estime sa valeur.

– Je vous en donne cent mille avec les munitions, répliqua froidement Alexandre.

Le bushranger eut comme un éblouissement.

– Marché conclu, fit-il en tendant une large cartouchière aux flancs rebondis, et en présentant l’arme par la crosse.

– Donnant, donnant, dit Alexandre en vidant ses poches pleines de diamants bruts dans le casque du bandit dont les mains tremblaient en recevant le prix exorbitant de son marché.

» Maintenant, adieu et merci, je suis votre obligé. Permettez-moi, à ce titre, de vous donner un conseil. Les Makololos et les Batokas ne demandent qu’à vivre en paix. Ne les poussez pas à la guerre. Restez près d’eux. Vous obtiendrez tout ce que vous désirez par la douceur. Vous m’avez bien compris ; j’ai dit : tout ; quelles que soient vos prétentions.