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– Klaas le Boër !... Je m’en doutais.

XVI

Désespoir. – Secours inattendu. – Le contrepoison. – Emplâtres et lotions de Mokoun.– Terreur d’un bandit. – Le wagon va être submergé. – Dray et bateau. – Les trois Français devant le torrent. – À travers l’inondation. – Au camp des mineurs. – Qui étaient les deux médecins improvisés. – Zouga et le Bushman. – Master Will. – Infâme trahison. – Arrêtés sous l’accusation d’assassinat. – Le wagon disparaît sur les eaux.

Si tous les mineurs avaient été victimes du sauvage moyen de défense mis en œuvre par Klaas pour assurer sa propre sécurité, quelques-uns ne furent atteints que d’une façon relativement bénigne par le suc des Euphorbes. Ils purent, en dépit de souffrances très vives, pourvoir au sauvetage de ceux que la liqueur corrosive avait, pour le moment, complètement aveuglés. Il était grand temps, car ces derniers eussent infailliblement été entraînés peu après, lorsque la trombe d’eau s’abattit sur la région. Le dernier avait été ramené sur le rivage au moment où retentissait le premier coup de tonnerre, précédant de quelques minutes le déchaînement subit des éléments.

Décrire l’aspect de la clairière, pleine tout à l’heure de cris joyeux, et d’où jaillissent maintenant des hurlements et des blasphèmes vociférés dans toutes les langues et sur tous les tons, serait impossible autant que superflu. Ces malheureux, si cruellement frappés, ne sachant à quelle cause mystérieuse attribuer cette soudaine catastrophe, entremêlent d’appels déchirants leur concert de malédictions, sans que nul, parmi les plus valides, puisse apporter un remède à ce mal dont ils ignorent la cause. Les premières gouttes de pluie, en tombant sur les visages contractés, en baignant leurs yeux sans regards, aux paupières tuméfiées, leur procurent cependant un soulageaient passager. Mais, ce n’est là qu’un palliatif bien insuffisant. La plupart d’entre eux, en somme, sont fatalement condamnés, sans une médication énergique et parfaitement efficace.

C’est alors que deux hommes, errant à travers le bois, accourent en entendant ces clameurs poignantes, et contemplent, stupéfaits, ce spectacle lugubre. Ce sont deux noirs vêtus d’un simple lambeau de cotonnade bleuâtre leur entourant les reins, et armés chacun d’un arc, d’un carquois en peau de léopard, et d’un faisceau de sagaies. L’un est un Cafre superbe, aux traits intelligents, aux membres puissants, à la taille élancée. L’autre, plus petit, aux jambes arquées, aux bras trop longs, au torse ramassé, semble posséder une vigueur athlétique. Son masque écrasé, à l’expression farouche, se détend peu à peu, et reflète bientôt une singulière expression de pitié.

Il interpelle avec volubilité son compagnon, et prononce une longue phrase patoisée d’une voix gutturale. Celui-ci répond par ce geste expressif de doute, qui dans tous les langages figurés signifie : « Je ne sais pas. » Le premier s’avance alors vers un des malades, inspecte ses yeux, et s’approche d’un second, puis d’un troisième. L’identité des symptômes est évidente pour lui. Il hoche la tête d’un air entendu, et s’adresse à un de ceux sur lesquels le poison a eu le moins d’influence. L’homme devine la question plutôt qu’il ne la comprend, et sachant que les indigènes possèdent parfois d’excellentes panacées pour guérir les affections locales, il lui montre la rivière et lui explique par signes, que ses compagnons ont été ainsi frappés au moment où ils prenaient leur bain.

Le noir sourit, inspecte d’un rapide regard le cours d’eau que fouettent déjà les gouttes de pluie, il y trempe son doigt et le porte à sa langue.

– Je ne m’étais pas trompé, semble-t-il dire à son compagnon qui a opéré la même manœuvre, et ébauché une grimace significative en sentant l’impression du suc corrosif.

Tous deux alors échangent quelques paroles rapides, au milieu desquelles le mot de mokoun revient fréquemment. Puis, ils s’élancent à travers bois, en ayant soin toutefois, de déposer leurs armes sur le sol, comme pour dire : « Nous allons revenir. »

Le mineur que cet incident a subitement rasséréné, fait entendre à ses compagnons quelques paroles d’espoir. L’absence des noirs est fort courte. Ils reviennent bientôt portant chacun un énorme fagot de branches couvertes de feuilles, au moment où l’orage et la pluie se déchaînent avec rage. Sans se préoccuper de la fureur des éléments, les deux hommes saisissent chacun une poignée de feuilles qu’ils mâchent rapidement. Puis la bouche pleine, les lèvres frangées d’une salive verdâtre, ils avisent chacun un de ces plats de fer-blanc communs aux mineurs, et que la pluie avait à moitié remplis. Ils crachent dans ces récipients, la substance transformée en une bouillie grossière, et la pressent énergiquement avec leurs doigts. Leur premier interlocuteur qui assiste impatient à cette manœuvre, comprend que c’est là le remède attendu. Plein de confiance, il trempe un morceau d’étoffe arraché à une manche de sa chemise, dans ce primitif produit de la pharmacopée indigène, et l’applique sur ses yeux. Un cri lui échappe soudain. Une douleur lancinante lui traverse le crâne et s’irradie à travers le cerveau. C’est l’affaire d’un minute à peine, puis, le mal se calme comme par enchantement. Il retire le bandeau, et ne peut retenir une exclamation de joie. Il voit ! Et sauf une sensation désagréable analogue à celle que produit un gravier ou plutôt un cil introduit entre les paupières, il est guéri.

– Courage ! mes amis, s’écrie-t-il d’une voix qui domine un moment les éclats de la foudre, courage ! Nous sommes sauvés.

» À l’œuvre, les plus valides. Venez aider ces braves noirs qui ne pourraient suffire à nous panser tous. Venez, car le temps presse.

Ces mots raniment tous les malades, et l’espoir semble renaître. Des poignées de feuilles sont distribuées à la ronde. Tous mastiquent à bouche-que-veux-tu, et telle est leur désir d’être au plus tôt soulagés, qu’ils s’appliquent sur les yeux l’emplâtre lui-même, sans attendre sa parfaite dissolution dans l’eau que renferment les vases de fer. C’est inutile d’ailleurs, car la pluie qui ruisselle en nappe, sert de véhicule à la bienfaisante infusion, et la fait pénétrer jusqu’aux derniers replis des conjonctives corrodées.

Les noirs se multiplient, courent de l’un à l’autre, opèrent leur distribution, renouvellent les emplâtres, et rient sous la torrentielle averse, de leur bon rire si franc et si communicatif. Aux hurlements de rage, succèdent bientôt des exclamations de bien-être, et un véritable concert d’actions de grâces. Tous n’ont pas recouvré la vue, mais les douleurs sont apaisées, et tout fait prévoir que la guérison ne se fera pas trop attendre. Le mineur qui le premier a eu affaire aux médecins improvisés, examine alors curieusement la plante, et en dépit des clignements précipités de ses paupières, semble la reconnaître.

– Mokoun ?... dit-il aux noirs sous forme d’interrogation...

– Mokoun, répondent-ils simultanément.

– Mais, si je ne m’abuse c’est le poison des bœufs...

» Oui, c’est bien cela. Voilà, par exemple, qui est un peu fort. C’est en effet l’arbrisseau avec lequel Cornélis et Pieter ont empoisonné l’attelage de leur cher frère. Il me semble encore entendre le borgne donner à ce vilain moricaud qu’ils appellent Caïman, le mangeur d’hommes, l’ordre de porter le mokoun aux animaux enfermés dans le kraal !...

» Un bien vilain tour qu’ils ont joué là à master Klaas ; car, campé comme il l’est dans une dépression de terrain, privé des moyens de battre en retraite devant la crue qui monte et s’avance avec la vitesse d’un cheval au galop, il court grand risque d’être submergé. Tant pis pour lui, après tout. C’est un gentleman fort peu digne d’exciter la compassion. Que ne s’est-il franchement mis avec nous, pour rechercher le trésor, au lieu de s’enfermer bêtement dans sa maison roulante, et d’émettre cette prétention au moins indiscrète, de tout garder pour lui.