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— Pas à moi, dit Turk.

— Calme-toi. Nos intérêts ne sont pas forcément contradictoires. Je peux t’aider à en obtenir un bon prix. Je veux dire, si on en arrive là. Et puis merde, Turk, tu parles toujours de t’embarquer sur un navire de recherche pour partir ailleurs. C’est peut-être le moment. Qui sait ?

— Ta confiance me galvanise.

— Je te dis juste de réfléchir. On en reparle demain matin.

— Je peux te payer ce que je te dois.

— Vraiment ? D’accord. Pas de problème. Apporte-moi un chèque certifié et on n’en parle plus. »

Ce à quoi Turk ne trouva rien à répondre.

« Rentre chez toi, dit Arundji. Tu as l’air fatigué, mon vieux. »

« Pour commencer, dit Brian, je sais que tu étais avec Turk Findley.

— Hein ? fit aussitôt Lise. Bordel, mais…

— Attends, laisse-moi finir…

— Comment ça, tu m’as fait suivre ?

— Je ne pourrais pas si je le voulais, Lise.

— Alors quoi ? »

Brian prit sa respiration. Ses lèvres pincées et ses yeux plissés voulaient signifier qu’il trouvait cela aussi désagréable qu’elle. « Lise, il n’y a pas que moi dans cette affaire. »

Elle s’efforça de contrôler sa respiration. Elle était déjà en colère. Et d’une certaine manière, cette colère lui plaisait assez. Elle valait mieux que le sentiment de culpabilité avec lequel elle sortait en général de leurs rencontres. « De qui veux-tu parler ?

— Laisse-moi juste te rappeler le problème global, dit-il. S’il te plaît. On oublie facilement ce qui est en jeu : la nature et la définition du génome humain, de ce que, nous tous, nous sommes en tant que peuple. Ça a été mis en danger par tout ce qui va du commerce de clones aux cultes de la longévité martienne, et dans chaque gouvernement du monde, des gens passent beaucoup de temps à réfléchir là-dessus. »

Son credo, la même justification, se souvint Lise, qu’il avait par le passé donnée à sa mère. « Quel rapport avec moi ? » Ou avec Turk, d’ailleurs.

« Tu es venue me trouver avec un vieux cliché pris à une soirée chez ton père, alors je l’ai fait passer dans la base de données…

— Tu as proposé de le faire.

— D’accord, c’est moi qui l’ai proposé, ce qui nous a donné une image prise par les caméras de sécurité des docks. Mais ce genre de vérifications passe par certains circuits. Et j’imagine que la nôtre a déclenché une alarme quelque part. Durant la semaine qui vient de s’écouler, on a vu débarquer ici des gens de Washington…

— Tu veux dire : des gens du DSG ?

— Oui, du DSG, mais très haut dans la hiérarchie, à des années-lumière au-dessus de ce qu’on fait ici. Des gens très désireux de retrouver la femme sur la photo. Assez pour faire la traversée depuis Djakarta et venir frapper à ma porte. »

Lise se laissa aller contre le dossier de sa chaise en essayant d’assimiler tout cela.

Au bout d’un long moment, elle dit : « Ma mère a montré ce cliché au DSG au moment de la disparition de mon père. Personne n’en a fait toute une histoire, à l’époque.

— C’était il y a dix ans. D’autres informations sont apparues depuis. Le même visage, dans un contexte différent. Je ne peux pas en dire davantage.

— J’aimerais parler à ces gens. S’ils savent quoi que ce soit sur Sulean Moï…

— Rien qui t’aiderait à découvrir ce qui est arrivé à ton père.

— Comment peux-tu en être certain ?

— Essaye de mettre les choses en perspective, Lise. Ces types font un boulot important. Ils ne plaisantent pas. Je me suis donné du mal pour les convaincre de ne pas te parler.

— Mais tu leur as donné mon nom ?

— Je leur ai dit tout ce que je sais sur toi, histoire d’éviter qu’ils te croient impliquée dans… Eh bien, dans ce sur quoi ils enquêtent. Ç’aurait été une perte de temps pour eux et une épreuve pour toi. Promis, Lise. Il faut que tu fasses profil bas, dans cette histoire.

— Ils me surveillent. C’est ça que tu essayes de me dire ? Ils me surveillent et ils savent que j’étais avec Turk. »

Il grimaça en entendant le nom, mais hocha la tête. « Ils savent ces choses, oui.

— Nom de Dieu, Brian ! »

Il leva les mains comme pour signifier sa reddition. « Je veux juste dire que si je prends du recul par rapport à tout ça, à notre relation actuelle et à ce que j’aimerais qu’elle soit, quand je me demande ce qui serait vraiment mieux pour toi, mon conseil est de laisser tomber. Cesse de poser des questions. Envisage peut-être même de rentrer en Californie.

— Je ne veux pas rentrer.

— Je te dis seulement d’y réfléchir. Il y a une limite à la protection que je peux t’apporter.

— Je ne t’ai jamais demandé de me protéger.

— On pourra en reparler quand tu y auras réfléchi un peu, peut-être. »

Elle se leva. « Ou peut-être pas.

— On pourra peut-être discuter aussi de Turk Findley et de ce qui se passe dans ce domaine. »

Dans ce domaine. Ce pauvre Brian, toujours très comme il faut, même quand il la réprimandait.

Elle songea à se défendre. Elle pourrait dire : On dînait au restaurant quand les cendres ont commencé à tomber. Elle pourrait dire : Évidemment qu’il est venu chez moi, tu voulais qu’il fasse quoi, qu’il dorme dans sa voiture ? Elle pourrait mentir : On est juste amis. Ou bien dire : J’ai couché avec lui parce qu’il n’a pas peur, qu’il n’est pas prévisible, qu’il n’a pas les ongles d’une propreté irréprochable et qu’il ne travaille pas pour ce putain de DSG.

Elle était en colère, humiliée, et ne ressentait que très peu de culpabilité. « Ça ne te regarde plus. Il faut que tu te mettes ça dans la tête, Brian. »

Elle lui tourna le dos et partit.

Turk rentra chez lui se préparer à dîner, un repas peu élaboré conforme à son humeur. Il vivait dans un bungalow de deux pièces au milieu de cabanes identiques le long d’une route à peine goudronnée non loin de l’aérodrome d’Arundji, sur un promontoire au-dessus de l’océan. Peut-être l’endroit prendrait-il un jour une grande valeur foncière, mais pour le moment, il n’était même pas relié au réseau électrique. Les toilettes de Turk alimentaient une fosse d’aisances et son électricité provenait de la lumière du soleil et d’un groupe électrogène sous un appentis à l’arrière. Tous les étés, il réparait son toit de bardeaux, et tous les hivers, celui-ci fuyait à un nouvel endroit.

Le soleil se couchait à l’ouest sur les contreforts, tandis qu’à l’est, les flots avaient pris une nuance sombre de bleu. Quelques bateaux de pêche se traînaient en direction du port au nord. L’air était frais, avec une brise pour emporter les dernières des mauvaises odeurs laissées par les cendres.

Celles-ci s’étaient déposées en andains autour des fondations de la cabane, mais le toit semblait avoir supporté la charge. Son refuge était intact. Les placards de la cuisine ne contenaient toutefois guère de nourriture, en tout cas moins que dans son souvenir. Ce serait haricots en boîte ou ressortir faire des courses. Ou dépenser de l’argent qu’il n’avait pas dans un restaurant au-dessus de ses moyens.

J’ai perdu mon zinc, pensa-t-il. Mais non, pas vraiment, pas encore : l’avion n’était que sous embargo, pas encore vendu. Sauf qu’il n’avait pas un sou sur son compte en banque pour fournir un contre-argument convaincant. Si bien que ce petit mantra lui tournait dans la tête depuis son entrevue avec Mike Arundji : J’ai perdu mon zinc.