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— Il y a donc en ville des types du DSG qui s’intéressent tout particulièrement aux Quatrièmes Âges. Et surtout à la femme de la photo.

— Ils savent même où je suis allée et à qui j’ai parlé. Les implications me semblent assez évidentes. Je veux dire, je ne pense pas qu’on m’ait suivie ici. Mais ce n’est pas impossible. Ou qu’on ait placé un localisateur ou je ne sais quoi dans ma voiture. Je n’ai aucun moyen de le savoir. »

Tout ça est du domaine du possible, pensa Turk.

« Lise, dit-il doucement, c’est peut-être encore pire que ça.

— Pire ?

— J’ai un copain, un type que je connais depuis longtemps. Tomas Ginn. C’est un Quatrième Âge. Il ne le crie pas sur les toits, mais il ne le cache pas à ceux à qui il fait confiance. Je me suis dit que tu aimerais lui parler. Mais il fallait d’abord que je lui demande s’il était d’accord. Je lui ai rendu visite ce matin, et il a promis d’y réfléchir. Mais quand je l’ai appelé ce soir, je n’ai pas réussi à le joindre, alors je suis passé chez lui et il avait disparu. Enlevé. Par des gens en camionnette blanche, à ce qu’il paraît. »

Elle le regarda avec de grands yeux : « Oh, mon Dieu. » Elle secoua la tête. « On l’a quoi, arrêté ?

— Pas officiellement, non. Le Gouvernement provisoire est le seul à pouvoir arrêter quelqu’un, et il ne fait pas de rafles en civil sans mandat… pas à ma connaissance.

— Il a donc été kidnappé ? C’est un crime, il faut le signaler à la police.

— Sûrement, mais la police ne voudra rien entendre. Tomas est vulnérable à cause de ce qu’il est. Une analyse de sang prouvera que c’est un Quatrième, ce qui suffit pour le renvoyer aux États-Unis et l’y mettre en liberté surveillée permanente, voire pire. C’est une voisine qui m’a parlé des types en camionnette, mais elle ne voudra jamais le répéter à un agent du gouvernement. Là où habite mon ami, il y a beaucoup de gens très vulnérables sur le plan légal… beaucoup de gens qui gagnent leur vie d’une manière interdite par les Traités, et la plupart occupent un terrain sans autorisation.

— Tu penses que Brian sait quelque chose ?

— Peut-être. Et peut-être pas. Brian n’a pas l’air bien haut dans l’ordre hiérarchique.

— Le bureau de la Sécurité génomique du consulat n’est pas grand-chose par rapport à ce qu’elle fait en Amérique. Ici, elle se sert de logiciels de reconnaissance faciale sur les ports, elle délivre un mandat d’arrêt sur un cloneur de chiens en fuite ou un améliorateur génétique clandestin, mais c’est à peu près tout. Du moins jusqu’à maintenant. » Elle marqua un temps d’arrêt. « Il m’a dit que je ferais mieux de rentrer au pays. Aux États-Unis.

— Il n’a peut-être pas tort.

— Tu crois que je devrais partir ?

— Si tu te soucies de ta sécurité. Et tu devrais sans doute. »

Elle se redressa sur son siège. « Évidemment que je m’en soucie. Mais pas seulement d’elle. Je suis venue dans un but précis.

— Lise, manifestement, ces gens ne plaisantent pas. Ils t’ont suivie, et mieux vaut supposer que ce sont eux qui ont enlevé Tomas.

— Et ils s’intéressent à cette femme sur la photo, Sulean Moï.

— Ils pourraient donc s’imaginer que tu es mêlée de près ou de loin à cette histoire. Le danger est là. C’est ce que Brian essayait de te dire.

— Mais j’y suis mêlée. »

Remarquant sa détermination, Turk décida de ne pas insister, du moins pas ce soir-là. « Eh bien, tu n’as peut-être pas besoin de partir. Il te suffit peut-être juste de ne pas te faire remarquer un moment.

— Si je me cache, je ne peux pas faire mon travail.

— Si tu veux dire par là discuter avec des gens qui connaissaient ton père et leur poser des questions sur les Quatrièmes, non, bien entendu. Mais il n’y a aucune honte à rester discrets le temps qu’on comprenne.

— Tu le ferais, toi ? »

Bordel, non, se dit Turk. Moi, je bouclerais mes valises et je prendrais le premier car qui quitte la ville. Comme il l’avait fait chaque fois qu’il s’était senti menacé. Mais inutile de le dire à Lise.

Il se demanda un instant si c’était pour cela que le père de Lise avait disparu. Peut-être devenir un Quatrième Âge avait-il semblé une porte de sortie, un moyen d’échapper à un péché secret qu’il ne pouvait plus supporter. Ou peut-être n’avait-il même pas accepté cette proposition de longévité artificielle. Peut-être était-il juste parti. Ça arrivait.

Turk haussa les épaules.

Lise le regardait avec une intensité triste qui lui serra la gorge. « Tu es en train de me dire que Brian a raison et que je devrais rentrer aux States.

— Je regrette chaque minute que nous ne passons pas ensemble. Mais je détesterais qu’il t’arrive du mal. »

Elle le regarda encore un peu. Deux autres couples venaient de franchir la porte… Sans doute des touristes, mais comment savoir ? Leur intimité était compromise. Elle lui toucha la main par-dessus la table. « Allons marcher un peu », proposa-t-elle.

En fait, pensa-t-il, nous ne savons l’un de l’autre que quelques anecdotes et vignettes : la version courte de tout. Jusque-là, rien d’autre n’avait semblé nécessaire. Leurs meilleures conversations avaient été muettes. Soudain, cela ne suffisait plus.

« Tu es garé où ? demanda-t-elle.

— Dans le parking au coin de la rue.

— Moi aussi. Mais je me demande si je ne devrais pas éviter de me servir de ma voiture. Ils lui ont peut-être mis une espèce de mouchard.

— Il est plus probable qu’ils ont piégé la mienne. S’ils me suivaient ce matin, je les ai conduits droit à Tomas. » Et Tomas, vieillard arrivant à peine à joindre les deux bouts dans les Flats, faisait une cible facile. Une simple analyse de sang – sûrement pratiquée de force – révélerait qu’il était un Quatrième Âge. Impossible de dire ce qui se passerait ensuite.

« Mais pourquoi feraient-ils ça ? Pourquoi l’emmener ?

— Pour l’interroger. Je ne vois pas d’autres raisons.

— Ils croient qu’il sait quelque chose ?

— S’ils bossent correctement, ils lui ont fait un hémotest dès qu’ils sont entrés chez lui.

— Non. La Sécurité génomique, si nous avons raison de la supposer responsable, ne travaille pas de cette manière. Même ici, il y a des limites. On ne peut pas kidnapper les gens pour les interroger sans raison.

— Eh bien, j’imagine qu’ils pensaient avoir une raison. Mais ce que tu lis sur la Sécurité génomique dans les communiqués de presse ne dit pas tout, Lise. C’est un service plus grand que la petite partie où travaille Brian. Quand ils démantèlent un réseau de clonage ou découvrent une arnaque à la longévité, les infos en parlent, mais ils ont d’autres activités moins publiques.

— Tu le sais de source sûre ?

— C’est ce que j’ai entendu dire.

— Par des Quatrièmes ?

— Eh bien… par Tomas, par exemple.

— Des enlèvements officieux. C’est dingue. »

Ce à quoi il ne trouva pas de réponse.

« Je ne veux pas rentrer chez moi, dit-elle. Et j’imagine que je ne serais pas davantage en sécurité chez toi.

— Surtout que je n’ai pas fait le ménage », dit-il juste pour voir un fantôme de sourire passer sur les lèvres de Lise. « On pourrait louer une chambre.

— Ça ne garantit pas qu’ils ne nous trouveront pas.

— S’ils nous veulent, Lise, ils arriveront sans doute à nous avoir. Peut-être qu’on peut changer ça, mais pour l’instant, mieux vaut supposer qu’ils savent où on est. Je ne pense pas pour autant qu’ils feront quoi que ce soit de radical, du moins pour le moment. Ce n’est pas après toi qu’ils en ont, et tu n’es pas le genre de personne qu’ils peuvent juste embarquer pour la passer à tabac. Alors qu’est-ce que tu veux faire, Lise ? Quel est ton prochain mouvement ?