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— Je veux faire ce que j’aurais dû faire depuis des mois.

— C’est-à-dire ?

— Trouver Avram Dvali. »

Ils marchèrent sur le trottoir sinueux, se dirigeant vers les lumières du port et le léger bruit métallique des containers en train de circuler sur les quais. Les rues étaient vides et désertes, le reste de poussière collait aux caniveaux et les murs étouffaient le bruit de leurs pas.

« Tu veux aller à Kubelick’s Grave ? dit Turk.

— Oui. Et y arriver, cette fois. Tu veux bien m’emmener ?

— Pourquoi pas. Mais il faut d’abord qu’on parle de quelqu’un. Et, Lise, il y a des choses que tu devrais faire si tu parles sérieusement. Informer une personne de confiance de l’endroit où tu es et de ce qui se passe. Retirer assez de liquide pour tenir un moment, puis ne plus toucher à ton e-crédit. Des choses de ce genre. »

Il eut à nouveau le droit à son petit sourire. « Eh bien dis donc, tu as suivi un cours de comportement criminel ?

— Ça me vient naturellement.

— Autre chose. J’ai le temps et l’argent nécessaires pour passer quelque temps dans la clandestinité. Mais tu as un travail, une affaire à gérer.

— Ce n’est pas un problème.

— Je ne plaisante pas.

— Moi non plus. »

C’est justement la différence entre nous, se dit Turk. Elle avait un but : elle était bien décidée à terminer cette autopsie de la disparition de son père. Lui mettait juste ses chaussures et partait. Pas pour la première fois, et selon toute probabilité, pas pour la dernière.

Il se demanda si elle savait cela sur lui.

Dix

Les hauts gradés de la Sécurité génomique arrivés depuis peu des États-Unis s’appelaient Sigmund et Weil, et Brian Gately serrait les dents chaque fois qu’ils entraient dans les bureaux du DSG au consulat.

Ils y arrivèrent ce matin-là moins d’une demi-heure après Brian, qui sentit grincer ses molaires.

Sigmund était grand, sépulcral et inflexible. Weil mesurait quinze centimètres de moins et était d’une corpulence sans doute suffisante pour devoir acheter ses pantalons dans un magasin spécialisé. Weil arrivait à sourire. Pas Sigmund.

Brian se trouvait près de la fontaine à eau quand ils s’avancèrent dans sa direction. « Monsieur Gately », lança Sigmund, et Weil : « Pouvons-nous vous parler en privé ?

— Dans mon bureau. »

Assez petit, le bureau de Brian disposait toutefois d’une fenêtre qui donnait sur le jardin clos du consulat. On y trouvait un meuble-classeur, une table de travail en bois local, assez de mémoire flottante pour contenir plusieurs fois la bibliothèque du Congrès, et un ficus en plastique. La table de travail était recouverte de courriers échangés par la Sécurité génomique et le Gouvernement provisoire, petit affluent du fleuve d’informations qui circulait entre les deux domaines comme un Nil éternellement boueux. Brian s’assit dans son fauteuil. Weil se laissa tomber sur la chaise des visiteurs, et Sigmund resta debout dos à la porte, comme un charognard, sinistre de patience.

« Vous avez parlé à votre ex-femme, commença Weil.

— Oui. Je lui ai dit ce que vous m’avez demandé de lui dire.

— Ça n’a pas semblé servir à grand-chose. Dois-je vous préciser qu’elle s’est remise avec Turk Findley ?

— Non, répondit Brian d’une voix éteinte. J’imagine que vous n’avez pas à le faire.

— Ils sont ensemble en ce moment même », indiqua Sigmund. C’était un homme de peu de mots, tous désagréables. « Selon toute probabilité. Elle et lui.

— Mais le problème, dit Weil, c’est que nous n’arrivons pour le moment à ne localiser ni l’un ni l’autre. »

Brian n’était pas sûr de le croire. Weil et Sigmund représentaient le Comité d’action exécutive du Département de Sécurité génomique. La plupart des activités dudit comité étaient classées ultrasecrètes, d’où son aura de légende. Au pays, ils pouvaient s’octroyer des passe-droits constitutionnels qui recevaient une approbation judiciaire plus ou moins automatique. Ici, à Équatoria – où se chevauchaient l’autorité du Gouvernement provisoire des Nations unies, celle d’intérêts nationaux contradictoires et celle de riches compagnies pétrolières –, ils avaient, du moins en théorie, les coudées moins franches.

Brian n’était pas un idéaliste. Il savait qu’il existait des niveaux et des échelons de la Sécurité génomique auxquels il n’aurait jamais accès, des domaines où on déterminait la politique et fixait les règles. Mais à l’échelle à laquelle on l’employait, Brian pensait faire œuvre utile, si ce n’est intéressante. Les criminels se réfugiaient souvent à Équatoria quand ils fuyaient les États-Unis, des criminels dont les méfaits tombaient sous l’égide de la Sécurité génomique : racketteurs de clones, trafiquants de traitements de longévité contrefaits ou mortels, adorateurs plutôt extrémistes du Quatrième Âge, fournisseurs d’« améliorations » aux couples prêts à payer pour des enfants supérieurs. Brian ne poursuivait ni n’appréhendait ces criminels, mais son travail – assurer la liaison avec le Gouvernement provisoire, apaiser les tensions en cas de différends juridictionnels – était indispensable à leur arrestation. La relation entre une organisation quasi policière attachée à un consulat national et le gouvernement local parrainé par l’ONU était difficile. Il fallait se montrer poli. Savoir renvoyer l’ascenseur. On ne pouvait pas juste intervenir en offensant tout le monde.

Mais apparemment, ces types-là le pouvaient. Et c’est ce qui décevait Brian, car il croyait à l’autorité de la loi. La loi forcément imparfaite, terriblement inefficace, occasionnellement corrompue, mais absolument essentielle. Sans elle, nous ne valions pas mieux que des animaux, etc. Il avait géré son travail ainsi : prudemment, proprement.

Et voilà qu’arrivaient Sigmund et Weil, le plus grand amer comme de l’angustura, le plus petit dur mais rond, comme une boule de bowling dans du velours, pour lui rappeler que, dans les sphères plus hautes que la sienne, la loi pouvait être adaptée aux circonstances.

« Vous nous avez déjà été d’une grande aide, dit Weil.

— Eh bien, je l’espère. Je cherche à l’être.

— Nous mettre en contact avec les bonnes personnes au Gouvernement provisoire. Et bien entendu ce truc avec Lise Adams. Le fait que vous ayez une relation personnelle avec cette femme… je veux dire, c’est pour le moins embarrassant.

— Merci de l’avoir remarqué, dit Brian, bêtement reconnaissant même s’il se savait manipulé.

— Et je peux vous assurer que nous ne voulons pas l’arrêter, ni même forcément lui parler en tête à tête. Lise n’est absolument pas la cible dans cette affaire.

— Vous recherchez la femme de la photographie.

— Ce qui, bien entendu, est la raison pour laquelle nous ne voulons pas que Lise se mette en travers de notre chemin. Nous espérions que vous arriveriez à le lui faire comprendre…

— J’ai essayé.

— Je sais, et nous y sommes sensibles. Mais permettez-moi de vous expliquer la manière dont cela fonctionne, Brian, histoire que vous compreniez bien nos préoccupations. Parce que, quand votre recherche d’image est apparue sur notre base de données, je peux vous dire que ça en a fait tiquer quelques-uns. Vous avez dit que Lise vous avait expliqué pourquoi elle s’intéressait à Sulean Moï…