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— On a vu Sulean Moï avec le père de Lise avant sa disparition, et elle n’avait aucun lien avec l’université ni avec personne d’autre du cercle social de la famille. Étant donné l’intérêt du père de Lise pour les Quatrièmes, on fait forcément le rapport. Lise soupçonne cette femme d’être venue le recruter ou quelque chose dans le genre.

— La vérité est un peu plus bizarre. Vous avez régulièrement affaire aux Quatrièmes sur le plan légal. Rien de surprenant pour vous à ce niveau. Mais le traitement de longévité n’est qu’une seule des modifications médicales apportées sur Terre par nos cousins martiens. »

Brian hocha la tête.

« Nous sommes sur la piste de quelque chose d’un peu plus important qu’un culte du Quatrième Âge habituel, dit Weil. On manque de détails, et je ne suis pas scientifique, mais il est question d’une tentative de communication avec les Hypothétiques par un intermédiaire biologique. »

Comme beaucoup d’autres personnes de sa génération, Brian avait tendance à sourciller chaque fois qu’on mentionnait les Hypothétiques, ou le Spin, d’ailleurs. Le Spin s’était terminé avant qu’il ait l’âge d’aller à l’école, et les Hypothétiques n’étaient qu’un des faits les plus abstrus de la vie quotidienne, une abstraction importante bien que sans substance, comme l’électromagnétisme ou le mouvement des marées.

Mais comme tout le monde, il avait été élevé et éduqué par des survivants du Spin, des gens qui croyaient avoir vécu le tournant le plus capital de l’histoire humaine. Et qui le croyaient peut-être à raison. Les répliques sismologiques du Spin – des guerres, des mouvements et contre-mouvements religieux, un sentiment d’insécurité généralisé à toute l’humanité et un corrosif cynisme planétaire – continuaient à façonner le monde. Mars était une planète habitée et l’humanité avait été admise dans un labyrinthe aussi vaste que le ciel lui-même. Tous ces changements ne pouvaient que déconcerter ceux qui les subissaient, et continueraient à se faire sentir pendant encore plusieurs siècles.

Mais ils étaient aussi devenus une excuse pour la folie de toute une génération, ce que Brian avait davantage de mal à accepter. Des millions et des millions d’hommes ou de femmes rationnels avaient réagi au Spin par un scandaleux étalage d’irrationalité, de méfiance mutuelle et de pure méchanceté. Ces mêmes personnes se sentaient maintenant en droit d’exiger le respect de n’importe qui ayant au plus l’âge de Brian.

Elles ne le méritaient pas. La démence n’était pas une vertu et la décence ne se vantait pas. La « décence », en fait, c’est ce qu’on avait laissé à reconstruire à la génération de Brian. La décence, la confiance, et une certaine bienséance dans le comportement humain.

Les Hypothétiques étaient l’agent causal derrière le Spin : pourquoi vouloir communiquer avec eux ? Qu’est-ce que cela voulait seulement dire ? Et comment pouvait-on y arriver par une modification biologique, même martienne ?

« Cette technologie, intervint Sigmund, modifie le système nerveux humain afin de le rendre sensible aux signaux utilisés par les Hypothétiques pour communiquer entre eux. En fait, elle crée une espèce d’intermédiaire humain. Un communicant capable de servir d’interprète entre notre espèce et ce que sont les Hypothétiques.

— Ils ont vraiment fait ça ?

— Les Martiens refusent de le dire. Ils l’ont peut-être tenté sur leur planète, peut-être plus d’une fois. Mais nous pensons que cette technologie, comme le traitement de longévité, a été apportée sur Terre par Wun Ngo Wen et mise en circulation dans la population.

— Comment se fait-il que je n’en ai pas davantage entendu parler, alors ?

— Parce que ce n’est pas quelque chose que tout le monde désire, comme quarante ans de vie supplémentaire. Si nos renseignements sont exacts, cette technologie provoque la mort de l’humain adulte à qui on tente de l’appliquer. C’est peut-être ce qui a tué Jason Lawton, à l’époque.

— Mais quel intérêt si c’est mortel ?

— Ça ne l’est peut-être pas, précisa Weil, si les médicaments sont administrés à un être humain in utero. L’embryon en cours de développement se construit autour de la biotech. L’humain et l’extraterrestre croissent en même temps.

— Nom de Dieu, dit Brian. Faire ça à un enfant…

— C’est tout à fait contraire à l’éthique, bien entendu. Vous savez, au Département, nous passons beaucoup de temps à nous inquiéter des Quatrièmes, du mal que pourraient causer des cultes mettant au point des modifications de la biologie humaine. Et c’est un vrai problème, un problème sérieux. Mais ça, c’est tellement plus épouvantable. Vraiment, profondément… mauvais, il n’y a pas d’autre mot.

— Quelqu’un l’a déjà fait sur Terre, ou pas ?

— Eh bien, c’est ce sur quoi nous enquêtons. Pour l’instant, nous n’avons que très peu de preuves tangibles ou de témoins oculaires. Mais quand nous en avons, une personne apparaît. Beaucoup de noms, mais une seule personne, un seul visage. Vous devinez qui ? »

La femme sur la photographie. Celle qu’on avait vue avec le père de Lise.

« Sulean Moï apparaît donc sur des données de reconnaissance faciale des quais de Port Magellan, et quand nous arrivons pour enquêter là-dessus, nous découvrons l’existence de Lise, qui a un lien antérieur, a posé les mêmes questions, a parlé aux anciens collègues de son père, et ainsi de suite. Pour des raisons parfaitement légitimes, on est d’accord. Elle est curieuse, c’est un mystère familial, elle pense que connaître la vérité lui fera du bien. Mais ça nous pose un problème. Faut-il intervenir dans ses démarches ? La laisser continuer à faire ce qu’elle fait en se contentant plus ou moins de la surveiller ? Faut-il la prévenir qu’elle est en terrain dangereux ?

— La prévenir n’a servi à rien, rappela Brian.

— Il faut donc utiliser Lise d’une autre manière.

— L’utiliser ?

— Au lieu de l’arrêter physiquement, ce que préconisent certains de mes supérieurs, nous pensons qu’une approche d’attente et d’observation pourrait se révéler plus informative à long terme. Elle est déjà en relation avec d’autres personnes suspectes. Dont Turk Findley. »

Turk Findley, pilote indépendant et fouteur de merde. Si difficile qu’ait été pour Brian de ne pas avoir réussi à garder son épouse, n’était-il pas bien pire de la savoir désormais liée avec quelqu’un d’aussi imprévisible, d’aussi dysfonctionnel et d’aussi globalement inutile à son prochain ? Turk Findley est une autre des retombées du Spin, se dit Brian. Un être humain inadapté. Un instable sans but dans la vie. Peut-être même pire, si le sous-entendu de Sigmund était exact.

« Vous voulez dire que Turk Findley a un lien avec cette vieille femme, à part qu’elle l’a engagé un jour pour la conduire quelque part en avion ?

— Eh bien, c’est assurément ce que cela laisse penser. Mais Turk a d’autres contacts tout aussi suspects. Des personnes qu’on sait être ou soupçonne d’être des Quatrièmes. Et c’est un criminel. Vous le saviez ? Il a quitté les États-Unis sous le coup d’un mandat d’arrêt contre lui.

— Pour quelle raison ?

— Il était un des suspects dans une affaire d’incendie d’entrepôt.

— Vous voulez dire que c’est un incendiaire ?

— L’affaire est tombée en désuétude, mais il pourrait avoir mis le feu à l’entreprise de son paternel.

— Je croyais que son père travaillait dans le pétrole.