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— Et toi ?

— Je peux disparaître à ma manière.

— Tu pourrais, tu sais, rentrer avec moi. Aux États-Unis.

— Je n’y serais pas en sécurité, Lise. J’ai déjà eu des ennuis du genre de ceux dans lesquels on est en ce moment. J’ai de bonnes raisons de ne pas pouvoir rentrer. »

Dis-les-moi, songea-t-elle. Ne m’oblige pas à demander. Sais-tu que c’est un criminel ? C’est pour ça qu’il a fui les États-Unis. Alors dis-moi. « Des problèmes avec la justice ? demanda-t-elle.

— Tu n’as pas envie d’en savoir davantage.

— Mais si. »

Il survolait le désert à basse altitude, l’aile droite au-dessus des contreforts éclairés par la lune. « J’ai incendié un bâtiment, indiqua-t-il. L’entrepôt de mon père.

— Tu m’as dit que ton père était dans le pétrole.

— Il l’était, à un moment. Mais il n’aimait pas les pays étrangers. Quand on a quitté la Turquie, il est allé travailler dans l’entreprise d’import-export de mon oncle. Ils importaient des merdouilles à trois francs six sous fabriquées dans les usines du Moyen-Orient, des descentes de lit, des souvenirs, des trucs de ce genre.

— Pourquoi incendier l’entrepôt ?

— J’avais dix-neuf ans, Lise. J’étais en rogne et je voulais nuire à mon paternel. »

Elle demanda aussi doucement que possible : « Comment ça se fait ? »

Il laissa encore passer quelques instants de silence en regardant le désert, ses instruments, n’importe quoi sauf elle. « Je fréquentais une fille. On allait se marier. C’était sérieux. Mais mon paternel et mon oncle n’ont pas voulu. Ils étaient vieux jeu sur… la race, tu comprends.

— Ton amie n’était pas blanche ?

— Hispano-américaine.

— Tu te souciais vraiment de ce que pensait ton père ?

— Pas à ce moment-là, non. Je le détestais. Franchement, c’était un petit salopard brutal. À mon avis, si ma mère est morte jeune, c’est à cause de lui. Je n’en avais rien à foutre, de son opinion. Mais il le savait. Si bien qu’il ne m’en a pas dit un mot, mais il est allé voir la famille de ma copine pour leur proposer de payer ses frais de scolarité à l’université pendant un an à condition qu’elle n’approche plus de moi. J’imagine que ça semblait une bonne affaire. Je ne l’ai plus jamais revue. Mais elle a eu assez mauvaise conscience pour m’envoyer une lettre d’explication.

— Alors tu as brûlé son entrepôt.

— J’ai pris deux boîtes de décapant dans le garage et je suis allé dans le quartier industriel les vider sur les portes des quais de chargement. C’était après minuit. Le temps que les pompiers s’amènent, les trois quarts de l’entrepôt étaient en feu.

— Tu as donc eu ta revanche.

— Sauf que je ne savais pas qu’il y avait un veilleur de nuit à l’intérieur. Il a passé six mois au service des grands brûlés à cause de moi. »

Lise ne dit rien.

« Le pire, poursuivit Turk, c’est que mon vieux a étouffé l’affaire. Il s’est arrangé avec la compagnie d’assurances. Il m’a retrouvé pour me le dire. Me raconter qu’il avait fait cet énorme sacrifice financier pour m’épargner les poursuites judiciaires. Il m’a dit que c’était parce qu’on était de la même famille, qu’il avait fait ce truc avec ma copine pour ça, parce que la famille, ça comptait, que je le sache ou non.

— Il s’attendait à ce que tu te montres reconnaissant ?

— Si étonnant que cela paraisse, ouais, je pense qu’il s’attendait sincèrement à de la reconnaissance.

— Et il en a eu ?

— Non, répondit Turk. Il n’en a pas eu. »

Il posa le Skyrex là où il l’avait posé pour Sulean Moï quelques mois plus tôt, sur une petite portion d’asphalte qui apparut au milieu de nulle part mais se trouvait, d’après Diane, à moins de deux kilomètres de la colonie de Dvali, une distance parcourable à pied.

Ils partirent donc à pied en emportant des torches électriques.

Turk sentit la communauté avant de la voir, avec son odeur d’eau et de fleurs différente de la monotone essence minérale du désert. Ils la découvrirent derrière une petite colline, quelques lumières y brillaient encore : quatre bâtiments et une cour, avec des toits en terre cuite, comme une sorte d’hacienda transplantée. Il y avait un jardin, ainsi qu’un portail à la ferronnerie très ornée, derrière lequel Turk vit ce qui ressemblait à un garçon. Dès qu’il les aperçut, celui-ci repartit en courant à l’intérieur, et le temps qu’ils atteignent ce portail, beaucoup d’autres lumières s’étaient allumées et un groupe de dix à quinze personnes les attendait.

« Laissez-moi leur parler », dit Diane, suggestion que Turk accepta avec plaisir. Il resta avec Lise en retrait de quelques pas pendant que la vieille femme s’approchait de la clôture. Turk voulut observer le groupe de Quatrièmes, mais la lumière qui leur arrivait dans le dos ne lui laissait guère voir que leurs silhouettes.

Diane s’abrita les yeux. « Madame Rebka ? » lança-t-elle tout soudain.

Une femme sortit du groupe. Tout ce que Turk vit de cette Mme Rebka fut son corps un peu potelé et ses cheveux fins qui ressemblaient à une espèce de halo blanc autour de sa tête.

« Diane Dupree, reconnut la dénommée Mme Rebka.

— J’ai bien peur d’amener des personnes que vous n’avez pas invitées.

— Vous ne l’avez pas été non plus. Qu’est-ce que vous venez faire là, Diane ?

— La question se pose-t-elle ?

— J’imagine que non.

— Chassez-nous alors, ou laissez-nous entrer. Je suis fatiguée. Et je doute que nous ayons beaucoup de temps pour discuter avant d’être à nouveau dérangés. »

Isaac voulait rester voir les nouveaux venus – des visiteurs inattendus étaient un phénomène tout aussi rare dans sa vie que la chute de cendres –, mais sa fièvre le reprenait et on le ramena dans son lit, où il resta quelques heures supplémentaires allongé tout en sueur et sans dormir.

Il savait que le cirre qui s’était dressé dans le jardin pour lui toucher la main était un appareil des Hypothétiques. Une machine biologique. Incomplète et inadaptée à son environnement, mais Isaac avait été pris d’un saisissant sentiment de justesse profonde quand la chose lui avait entouré le poignet. Une fraction du besoin inassouvi en lui avait disparu un instant.

Mais ce contact avait pris fin, rendant le besoin encore plus intense. Isaac voulait le désert à l’ouest, il en avait intensément envie. Bien entendu, il avait peur, aussi… peur de ce vaste territoire aride et de ce qu’il pourrait y trouver, peur du besoin qui s’était emparé de lui avec une telle force compulsive. Mais ce besoin pouvait être satisfait. Il le savait, maintenant.

Il regarda l’aube chasser les étoiles, la planète se tournant comme une fleur en direction du soleil.

Deux des Quatrièmes, deux femmes, escortèrent Lise et Turk dans un dortoir où on avait dressé plusieurs lits de camp. Les draps, plutôt propres, sentaient toutefois le linge resté longtemps rangé.

Leurs accompagnatrices gardèrent leurs distances, mais semblaient à peu près amicales, étant donné les circonstances. « En cas de besoin, vous trouverez la salle de bains au bout du couloir, indiqua la plus jeune.

— Il faut que je parle au Dr Dvali, dit Lise. Voulez-vous l’avertir que je veux le voir ? »