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Tout se passa très vite.

L’aéroport à Kubelick’s Grave était tout juste assez grand pour permettre à l’avion de transport de se poser. Dès que l’appareil s’immobilisa au bout d’une piste en béton crevassé, sa porte de chargement arrière s’abaissa et les hommes armés sortirent dans un ordre militaire. Quelques véhicules blindés légers attendaient dans la lumière cuivrée du matin. Brian s’installa avec Sigmund et Weil dans un de ces véhicules de désert décapotés que les gens du coin appelaient « coqs » à cause de leur manière de rebondir sur le paysage comme des oiseaux coureurs. Sigmund prit le volant et ils partirent en queue de convoi. Ce ne fut pas un trajet confortable. La chaleur et le soleil étaient déjà accablants. Brian ne vit de Kubelick’s Grave qu’un garage et un dépôt d’essence jonchés de pièces automobiles rouillées, avec une vieille transmission de camion abandonnée sur le gravier comme l’épine dorsale d’une créature du jurassique. Ils se retrouvèrent ensuite à bringuebaler sur la route principale, piste d’argile durcie parallèle aux montagnes.

Une heure passa, seulement brisée par les cris rauques de Sigmund, qui essayait de communiquer avec quelqu’un par une radio de campagne. La discussion, pour ce qu’en entendit Brian, consistait en mots codés et en ordres incompréhensibles. Le convoi parvint ensuite au sommet d’une petite colline et le camp des Quatrièmes fut soudain droit devant. Les véhicules militaires accélérèrent d’un coup, leurs gros pneus soulevant des gerbes de poussière, mais Weil immobilisa le leur et en coupa le moteur, si bien que Brian entendit ses oreilles bourdonner dans le silence relatif.

Sigmund se remit à crier, d’abord dans sa radio, puis à Weil, quelque chose comme « trop tard » et un ordre d’« abandonner ».

« Ils sont tous partis, expliqua Weil à Brian. Il y a des traces récentes. D’au moins deux douzaines de véhicules.

— Ne pouvez-vous au moins prendre le contrôle du site ?

— Pas avant d’avoir désamorcé ce qu’ils ont laissé. Dans des situations de ce genre, ils… »

Un jaillissement de lumière au loin l’interrompit.

Brian regarda les installations des Quatrièmes, passées en une seconde d’un groupe de petits bâtiments autour d’une cour à un nuage de poussière et de fumée de plus en plus volumineux.

« Merde », eut le temps de dire Weil. L’onde de choc les atteignit une fraction de seconde plus tard, bruit qui sembla enfler les poumons de Brian à un point douloureux. Il ferma les yeux. Une seconde onde de choc, comme le battement d’une aile brûlante, déferla sur lui.

La colonie n’existait plus. Brian se dit que Lise n’était pas à l’intérieur, qu’il n’y avait eu personne à l’intérieur.

« … iègent pour… disait Weil.

— Quoi ?

— Ils le piègent pour détruire leur équipement technique et nous empêcher de prendre des échantillons. On est arrivés trop tard. » La poussière soulevée par l’explosion donnait un teint pâle à Weil. L’équipe d’assaut de Sigmund avait fait demi-tour en hâte.

« Est-ce que Lise… ?

— Il faut supposer qu’elle est partie avec les autres.

— Partie où ?

— Ils ne voyageront pas tous ensemble. D’après les traces, il semblerait que deux douzaines de véhicules soient partis dans différentes directions. Nous en poursuivrons quelques-uns. Avec de la chance, nous pincerons Lise et les autres cibles majeures. Si on avait été prévenus un peu plus tôt, on aurait pu faire décoller des drones de surveillance pour monter la garde. Mais on n’a pas eu le temps, et de toute manière, tous les drones du continent ont été expédiés dans l’Ouest profond pour évaluer si ces putains de concessions pétrolières ont souffert du tremblement de terre. »

Sigmund continuait à grogner dans son combiné. Il l’éteignit ensuite en disant à Weil : « L’avion a disparu. »

L’avion de brousse de Turk Findley, sans doute. Disparu. Envolé. Brian devait-il s’en réjouir ?

« Au moins, l’avion, on peut le suivre à la trace », dit Weil.

Et Lise avec.

Brian regarda les ruines de la colonie. De la fumée noire surgissait des fondations effondrées, et de petits feux intermittents brûlaient dans le désert alentour. Des bâtiments de brique et d’adobe qui se dressaient là il ne restait plus rien.

Ils passèrent la nuit dans ce qui tenait lieu d’hébergement public à Kubelick’s Grave : un motel à toit de tuiles dans lequel Brian partagea une chambre avec Sigmund et Weil. Deux lits jumeaux et un lit de camp… qui fut attribué à Brian.

Il passa la majeure partie de l’après-midi et de la soirée à écouter Sigmund passer ou recevoir des appels téléphoniques. Le nom du Comité d’action exécutive fut souvent prononcé.

Cette nuit-là, incapable de trouver le sommeil sur son lit de camp, frigorifié malgré le bruyant et antédiluvien radiateur électrique, il vint à l’esprit de Brian de se demander s’ils étaient au courant de sa dernière communication avec Lise.

Son téléphone était-il sur écoute ? Le numéro affiché lorsque Lise avait appelé ne lui disait rien, il s’agissait sans doute d’un appareil jetable chargé en minutes anonymes, si bien qu’ils n’auraient pu trouver l’origine de l’appel. Celui-ci n’avait rien eu de vraiment compromettant. À part que Brian n’en avait pas parlé. Ce qui suggérait qu’il était partagé entre deux camps. Qu’il pourrait ne pas être un employé du DSG digne de confiance.

Il essaya d’en vouloir à Lise. Il détestait son inutile investissement personnel dans ce bordel, son besoin obsessif de tirer au clair la disparition de son père et de transformer l’histoire en une espèce d’hommage.

Il essaya de lui en vouloir, et il s’en voulut de ne pas y arriver.

Des rapports sur l’arrestation des Quatrièmes en fuite commencèrent à arriver avant l’aube. Sigmund se mit à crier dans son téléphone tandis que Brian s’habillait en hâte.

Apparemment, l’opération avait connu un succès mitigé.

« Au moins la moitié de la population de la colonie est encore en liberté, expliqua Weil. Nos gars ont intercepté trois véhicules transportant au total quinze personnes, dont aucun gros poisson. La bonne nouvelle… »

Brian se prépara au pire.

« La bonne nouvelle est qu’un petit avion immatriculé au nom de Turk Findley a essayé de faire le plein dans un modeste aérodrome de service à environ trois cents kilomètres à l’ouest d’ici. Le gérant de l’aéroport a reconnu l’avion grâce à un avis de recherche : le précédent employeur de M. Findley voulait le saisir pour des arriérés de loyer. Il a appelé le Gouvernement provisoire où quelqu’un a eu l’amabilité de l’aiguiller sur nous. Nos gars sont arrivés pour arrêter le pilote et les passagers. Un homme, trois femmes, tous refusant de décliner leur identité.

— Lise est parmi eux ? demanda Brian.

— Peut-être. Ça reste à confirmer. Et il y avait peut-être des cibles prioritaires avec elle.

— Elle n’est pas une cible. Je ne la qualifierais pas de cible.

— Elle en est devenue une en prenant la fuite. »

Mais pas prioritaire, songea-t-il, se raccrochant à cela. « Je peux la voir ?

— Si on se dépêche, on peut y être à midi », dit Weil.

Il vint à l’esprit de Brian de se demander, tandis que la ville de Kubelick’s Grave diminuait derrière eux, qui pouvait avoir été ce Kubelick et pourquoi on l’avait enterré ici dans les badlands, mais personne dans l’automobile ne sut répondre à cette question. Le petit groupe de bâtiments disparut ensuite, Sigmund s’éloignant des montagnes en roulant vers l’horizon désespérément plat à l’ouest. La route devant eux frémissait dans la chaleur du matin comme un produit de l’imagination.