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— C’est terminé.

— Vraiment ?

— Officiellement. Enfin.

— Et ce livre sur lequel tu bosses ?

— Ce sont les recherches qui prennent du temps, pas l’écriture. » Elle n’avait pas écrit un traître mot et n’en écrirait pas un.

« Mais c’est pour ça que tu as décidé de rester. »

Dans le Nouveau Monde, voulait-il dire. Elle hocha la tête.

« Et quand tu auras terminé ? Tu rentreras aux États-Unis ?

— Peut-être.

— Bizarre, estima-t-il. Les gens viennent à Port M pour toutes sortes de raisons. Certains en trouvent pour rester, d’autres non. Je pense que les gens franchissent juste une certaine limite. En descendant la première fois du bateau, on s’aperçoit qu’on est littéralement sur une autre planète : l’air n’a pas la même odeur, l’eau pas le même goût, la lune n’a pas la bonne taille et se lève trop vite. Le jour est toujours divisé en vingt-quatre heures, mais elles sont plus longues. Au bout de quelques semaines ou de quelques mois, ça finit par désorienter profondément les gens, quelque part. Alors ils font demi-tour pour rentrer chez eux. Ou alors tout se met en place d’un coup et commence à avoir l’air naturel. C’est là qu’ils se demandent s’ils veulent vraiment retrouver les villes fourmilières, l’atmosphère polluée, les océans empoisonnés et tous ces trucs qu’ils considéraient comme normaux.

— C’est pour ça que tu es là ?

— En partie, j’imagine. Bien sûr. »

Leurs plats arrivèrent et ils mangèrent en parlant un moment de tout et de rien. Le ciel s’obscurcit, la ville scintilla et le serveur revint débarrasser. Turk commanda du café. Lise trouva le courage de lancer : « Tu veux bien regarder une photo que je t’ai apportée ? Avant qu’ils baissent les lumières.

— Bien sûr. Quel genre de photo ?

— D’une personne qui t’a peut-être engagé pour l’emmener quelque part.

— Tu as consulté la liste de mes passagers ?

— Non ! Je veux dire, moi, non… Tu fournis ce genre de documents au GP, non ?

— De quoi s’agit-il, Lise ?

— Je ne peux pas t’expliquer grand-chose pour le moment. Tu veux bien regarder la photo d’abord ? »

Il fronçait les sourcils. « Montre-la-moi. »

Lise prit son sac sur ses genoux et en sortit l’enveloppe. « Mais tu disais avoir un service à me demander, toi aussi…

— Toi d’abord. »

Elle lui passa l’enveloppe en la faisant glisser sur la nappe. Il sortit le cliché. Son expression ne changea pas. Il finit par dire : « Je suppose qu’il y a une histoire pour aller avec ?

— Ça a été pris par une caméra de sécurité sur les quais en fin d’année dernière. L’image a été agrandie et améliorée.

— Tu as aussi accès aux enregistrements des caméras de sécurité ?

— Non, mais…

— Tu as donc eu ça par quelqu’un d’autre. Un de tes amis au consulat. Brian, ou un de ses copains.

— Je ne peux pas entrer dans les détails.

— Peux-tu au moins me dire pourquoi tu t’intéresses à… » Il montra la photographie. « … une vieille dame ?

— Tu sais que j’essaye d’interroger tous ceux qui ont été en relation avec mon père. Elle, entre autres. Dans l’idéal, j’aimerais prendre contact avec elle.

— Pour une raison particulière ? Je veux dire, pourquoi cette femme-là ?

— Eh bien… je ne peux pas entrer dans les détails.

— J’en tire la conclusion que tous les chemins mènent à Brian. Pourquoi s’intéresse-t-il à cette femme ?

— Brian travaille pour le Département de Sécurité génomique. Moi, non.

— Mais quelqu’un là-bas te rend service.

— Turk, je…

— Non, oublie. J’arrête les questions gênantes. Manifestement, quelqu’un sait que j’ai volé avec cette personne. Ce qui signifie que quelqu’un, à part toi, aimerait la retrouver.

— On peut raisonnablement le penser. Mais je ne te pose pas la question de la part de quelqu’un d’autre. Ce que tu choisiras de dire ou pas à quelqu’un du consulat te regarde. Ce que tu me dis ne sera répété à personne. »

Il la regarda comme s’il pesait les paroles qu’elle venait de prononcer. Mais pourquoi me ferait-il confiance ? se demanda Lise. Qu’ai-je fait pour lui inspirer confiance, à part coucher avec lui pendant un week-end pas comme les autres ?

« Ouais, finit-il par reconnaître. J’ai volé avec elle.

— D’accord… Qu’est-ce que tu peux me dire sur elle ? L’endroit où elle est, ce dont elle a parlé ? »

Il se carra dans la banquette. Comme il l’avait prédit, les lumières du restaurant commencèrent à baisser. Deux serveurs ouvrirent les parois de verre qui séparaient la salle à manger intérieure de la terrasse. Le ciel profond et étoilé pâlissait un peu dans les lumières montant de la ville, mais restait plus net que n’importe quel ciel vu par Lise en Californie. La pluie de météorites avait-elle commencé ? Elle vit ce qui ressemblait à quelques éclairs brillants traverser le plan méridien.

Turk n’y avait pas accordé le moindre coup d’œil. « Il faut que j’y réfléchisse.

— Je ne te demande pas de violer la moindre confidence. Juste…

— Je sais ce que tu me demandes. Et ça n’a sans doute rien de déraisonnable. Mais j’aimerais juste y réfléchir, si tu veux bien.

— D’accord. » Elle ne pouvait pas insister davantage. « Mais tu mentionnais une contrepartie.

— Juste un truc. Je suis curieux de savoir… je me disais que tu aurais pu en avoir entendu parler par une de ces sources dont tu n’aimes pas discuter. Arundji a reçu ce matin une note du service de régulation aérienne du Gouvernement provisoire. J’ai déposé un plan de vol pour l’Ouest profond, et normalement, j’aurais dû être dans les airs quand tu es arrivée cet après-midi. Sauf que mon plan de vol n’a pas été accepté. J’ai donc passé quelques coups de fil pour découvrir ce qui se passait. Il semblerait que personne ne soit autorisé à voler dans le Rub al-Khali.

— Comment ça se fait ?

— Ils n’ont pas dit.

— L’interdiction est temporaire ?

— Je n’ai pas pu obtenir de réponse à cette question-là non plus.

— Qui l’a décrétée ? Sous quelle autorité ?

— Personne au GP ne reconnaîtra quoi que ce soit. J’ai été baladé entre une douzaine de services, les autres pilotes affectés aussi. Je ne dis pas qu’il y ait quoi que ce soit de vilain, mais c’est plutôt surprenant. Pourquoi tout à coup interdire de survol la moitié ouest du continent ? Il reste des vols réguliers avec les parcelles pétrolières, et à part elles, il n’y a que du sable et des rochers. Ce sont les randonneurs et les fans de vie sauvage qui vont là-bas… le genre de personnes qui m’engageaient. Je ne comprends pas. »

Lise souhaita désespérément avoir une ou deux petites informations à troquer, mais elle entendait parler de cette interdiction pour la première fois. Elle avait en effet des contacts au consulat américain, principalement son ex-mari. Mais les Américains n’étaient que membres consultatifs du Gouvernement provisoire. Et Brian n’était même pas un diplomate, mais un simple fonctionnaire du DSG.

« Je ne peux rien pour toi, à part poser la question, avoua-t-elle.

— Je t’en serais reconnaissant. Bon. On en a terminé avec les choses sérieuses, non ? Du moins pour le moment ?

— Pour le moment, concéda-t-elle à contrecœur.

— Alors si on allait boire le café en terrasse, tant qu’on peut encore y trouver une table ? »