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Mme Rebka lui assura donc qu’ils allaient partir dans l’Ouest, qu’ils partaient dans l’Ouest, dès que possible. Isaac finit par accepter ce réconfort et par se rendormir.

Mme Rebka quitta son chevet pour s’installer sur une chaise. Lise rapprocha la sienne.

Mme Rebka paraissait avoir une cinquantaine d’années. Lise l’avait supposée plus âgée. C’était une Quatrième, et les Quatrièmes pouvaient sembler quinquagénaires pendant des décennies. Mais si elle avait enfanté Isaac, elle ne pouvait être beaucoup plus âgée qu’elle en avait l’air. De toute manière, se dit Lise, les Quatrièmes ne sont-ils pas biologiquement incapables de concevoir ? La grossesse de Mme Rebka avait par conséquent dû commencer avant sa conversion.

La question évidente n’avait rien de facile, mais Lise était bien déterminée à la poser et elle risquait fort de ne pas rencontrer meilleure occasion. « Comment ça s’est passé, madame Rebka ? Pour le garçon, je veux dire. Comment est-il… Enfin, si ce n’est pas trop personnel. »

Mme Rebka ferma les yeux. La fatigue se lisait sur tout son visage, à moins qu’il ne s’agisse d’un profond et inextricable désespoir. « Que voulez-vous savoir, mademoiselle Adams ? Comment il a été modifié, ou pourquoi il a été conçu ? »

Lise chercha une réponse, mais Mme Rebka l’interrompit d’un geste. « L’histoire est courte et sans grand intérêt. Mon mari travaillait comme maître de conférences en détachement temporaire à l’Université américaine. Ce n’était pas un Quatrième, mais il avait de la sympathie pour eux. Il aurait pu envisager de prendre lui-même le traitement, mais c’était un Juif orthodoxe dévot : ses principes religieux le lui interdisaient. Et ça l’a tué. Il souffrait d’un anévrisme cérébral inopérable, seul le traitement aurait pu le sauver. Je l’ai supplié de le prendre, mais il a refusé. J’avais tellement de chagrin que je l’en ai un peu détesté. Parce que…

— Parce que vous étiez enceinte.

— Oui.

— Il le savait.

— Le temps que j’en sois certaine, son anévrisme s’était rompu. Il a survécu quelques jours, mais à l’état comateux.

— Cet enfant, c’était Isaac ? »

Mme Rebka ferma les yeux. « C’était le tissu fœtal qui est devenu Isaac. Je sais que ça semble brutal. Mais je ne pouvais supporter l’idée d’élever l’enfant toute seule. Je voulais me faire avorter. C’est le Dr Dvali qui m’a fait changer d’avis. Il était un des amis les plus intimes de mon mari, il est devenu un des miens. Il a reconnu être un Quatrième. Il m’a raconté les polémiques au sein de leur communauté et ce que ça faisait d’être, du moins dans un certain sens, un humain d’un genre meilleur. Et il m’a parlé des Hypothétiques, un sujet qui m’a toujours intéressée. Il m’a présentée aux autres membres de sa communauté. Ils m’ont soutenue.

— Ils vous ont convaincue de faire ce qu’ils voulaient que vous fassiez.

— Rien d’aussi grossier. Ils ne m’ont pas inondée de propagande. J’appréciais ces gens… davantage que tous les non-modifiés qui me rendaient visite par devoir, qui montraient une compassion sans faille alors qu’en secret, ils s’en fichaient. Les Quatrièmes étaient authentiques. Ils m’ont parlé de ce en quoi ils croyaient. Et une des choses en lesquelles croyait Avram Dvali était la possibilité de communiquer avec les Hypothétiques. Il m’a conduite, très progressivement, à l’idée que je pourrais peut-être apporter ma pierre à ce travail très important, parce que j’étais non modifiée. Et enceinte.

— Alors vous lui avez donné Isaac ?

— Pas Isaac ! Je lui ai donné la possibilité d’Isaac. Sinon, je n’aurais jamais mené cet enfant à terme. » Elle emplit puis vida ses poumons, et Lise crut entendre une vague se retirant d’une plage très ancienne. « Ça n’avait rien de plus difficile que devenir une Quatrième. L’injection habituelle, puis, une fois le processus en cours, une autre, intra-utérine, pour empêcher le bébé modifié d’être rejeté par mon corps. J’étais sous tranquillisants la plupart du temps. Franchement, je ne me souviens que très peu de la grossesse elle-même. Il est venu à terme en sept mois.

— Et ensuite ? »

Mme Rebka détourna les yeux. « Avram tenait absolument à ce qu’il soit élevé par la communauté et pas uniquement par moi. Il a dit que ce serait mieux si je ne développais pas trop de liens affectifs avec l’enfant.

— Mieux pour vous, ou pour l’enfant ?

— Les deux. Nous n’étions pas sûrs qu’il atteigne l’âge adulte. Isaac était… est une expérience, mademoiselle Adams. Avram me protégeait de ce qui pourrait être un chagrin encore plus traumatisant. Et de toute manière… j’avais beau vouloir être un parent pour lui, Isaac est un garçon difficile. Il refusait tout contact étroit, que ce soit avec moi ou avec d’autres. Petit, il ne supportait pas qu’on le prenne dans les bras. C’était vraiment comme s’il appartenait à une nouvelle espèce, comme si, au niveau biologique le plus fondamental, il savait n’être pas des nôtres.

— Parce que vous l’avez rendu comme ça, ne put s’empêcher de dire Lise.

— C’est vrai. La responsabilité nous incombe entièrement. La culpabilité aussi, bien entendu. Tout ce que je peux dire, c’est que nous espérions que sa contribution à une meilleure compréhension de l’Univers compenserait la laideur de sa création.

— C’était une chose à laquelle vous croyiez, ou à laquelle ils vous ont dit de croire ?

— Merci de me trouver des excuses, mademoiselle Adams, mais oui, j’y croyais : nous y croyions tous à un niveau ou à un autre. C’est ce qui nous a réunis au départ. Mais aucun de nous n’y croyait aussi fermement et aussi… je suis tentée de dire aussi héroïquement… qu’Avram Dvali. Nous avions des doutes, bien entendu, et des moments de remords. Ce n’est pas une belle histoire, n’est-ce pas ? Je suis sûre que vous vous demandez comment nous avons pu envisager une telle chose, et encore plus comment nous avons pu la mettre à exécution. Mais les gens sont capables de bien des choses, mademoiselle Adams. Même les Quatrièmes. Vous devriez vous en souvenir. » Mme Rebka ferma les yeux. « Bon, je suis fatiguée et je n’ai plus rien à dire. »

Les autres revinrent avec de la nourriture, des bouteilles d’eau, des pièces détachées et (miracle) un second véhicule… un autre tout-terrain à gros pneus acheté, dit Turk, à un prix ridiculement élevé chez un concessionnaire local peu honnête. Il ajouta que les Quatrièmes avaient davantage d’argent liquide que de bon sens, ou peut-être le bon sens de savoir quand n’accorder aucune valeur au liquide.

Lise aida Turk à charger les provisions dans les voitures. Il évoluait avec une puissance physique, une aisance et un naturel évidents. Elle tira un certain plaisir à effectuer ce travail avec lui, à ne pas penser à Mme Rebka, à Isaac ou au Dr Dvali, non plus qu’à ce qui pourrait être en train de patienter dans le Rub al-Khali.

« Alors, tu viens avec nous, finit-il par demander, ou tu attends qu’un bus reparte vers Port M ? »