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Elle me regarde maintenant avec des yeux poussée à leur maximum d'ouverture.

— Qu’est-ce que vous venez de faire comme reportage ?

Je secoue la tête.

— C'est secret, mais à vous je peux bien le dire : je me suis assuré l'exclusivité mondiale sur l'opération du pape.

— Le pape a été opéré ?

— Surtout n'en parlez pas, car la nouvelle n'a ps encore été ébruitée. Figurez-vous que le Saint-Père a changé de sexe, phénomène d'osmose. Ça lui a pris à partir du moment où il a mis une robe blanche et l'anneau pontifical. Vous voyer le tableau : un souverain pontife auquel on écrit en ces termes : « Très Saint-Père et Chère Madame »…

Elle condescend à sourire.

— Vous êtes drôle, assure-t-elle avec la voix qu'on prend pour annoncer que grand-papa ne passera pas la nuit. Vous allez jusqu'à Santiago ?

— Oh ! Non, le Chili est trop étroit et j'aime trop mes aises. Je descends à Rio.

— Moi aussi, se réjouit-elle.

M'est avis, les gars, que j' ai très vite placé nos relations sur leur orbite. Un poil de vantardise, une mesure de calembredaine, un zest d'œil glauque, et embarquez !

— Vous voyagez toute seule ? — je demande.

— Oui, mère avait la migraine.

— Pour votre agrément ? insisté-je.

Elle fait la moue.

— Pas tellement, raisons de famille. Quand le devoir commande ; n'est-ce-pas ? il faut savoir y mettre du sien :

— Je parie que votre famille a des intérêts au Brésil et que vous…

Elle m'arrête d'un énergique hochement de tête.

— Pas du tout. Je suis un peu, si vous voulez, dans la situation de M. Maufrais qui explorait l'Amazonie à la recherche de son fils disparu. Moi, c'est mon père que je pars chercher.

— Votre père ? m'étonné-je, à juste titre me semble-t-il.

— Je suis la fille de Martial Vosgien, l'homme politique réfugié au Brésil.

Un qui renverse son double scotch sur son double pantalon, c'est le fortichimo San-Antonio, mes très belles ! Me bousculer cette nouvelle juste au moment où je biberonnais, c'est dingue dans son genre, non ? Je risquait d'avaler mon glaçon, ni plus ni moins. Vous me voyez, ensuite, gobant des mégots incandescents pour le faire fondre ?

— Vous êtes Mlle Vosgien !

— Oui. Carole Vosgien. Figurez-vous que père a disparu. Il nous écrivait régulièrement, et puis, tout à coup, fini : plus de nouvelles. Ses amie de Rio sont incapables de nous dire ce qui lui est arrivé ; inquiétant, non ?

Elle parle de ça comme elle parlerait du jeu des sept erreurs. Pour elle, c'est un simple fait divers, le prétexte à un beau voyage.

Je lui désigne Uku, qui joue toujours les manchons oubliée sur le bar.

— Et c'est sur votre molosse que vous comptez pour retrouver la piste à papa, demandé-je.

* * *

Moi qui raffole de la cuisine au beurre, j'aime que mes enquêtes baignent dans l'huile. Quand ça s'harmonise, d'emblée, c'est bon cygne, comme disait Saint-Saëns (dont le plus développé était celui de l’ouïe). Or, dans le cas qui nous intéresse (du moins j'espère qu'il vous intéresse également), tout s'emboite magistralement comme sur une fresque à la gloire de la sodomie. Mordez le topo, mes bons caves : le Vieux me propose une mission qui dépasse le cadre de mes activités, je la refuse. Là-dessus, un partisan de Vosgien me contacte pour me demander de retrouver icelui, preuve qu'il a bien disparu. Je prends l'avion et la première personne que j'y rencontre, c'est la fille du disparu. Mince ! y a de quoi se la léguer par testament au Musée de l'homme pour continuer d'épater les femmes après son trépas, non ?

Je m'en pourlèche la matière grise, mes chéries. Il se dit, votre San-A, que lorsqu'on est vergeot, c'est pour la vie. La chance a toujours fait mon ménage au poil, et voilà que ça continue ! Pour le coup, cette bergère qui me tentait devient un objectif professionnel. Faut que je me l'horizontalise pour l'avoir dans ma marmotte aven mes outils de travail. On dit toujours qu'il ne faut jamais mêler la bagatelle et le boulot. C'est peut-être vrai dans l’import-export, la charcuterie fine ou le trapèze volant, mais chez nous, les guerriers de l’ombre (oh ! que c'est bien dit !) il en va touautrement[7], et nous sommes bien souvent obligée de bâtir nos enquêtes comme les castors bâtissent leurs H.L.M. Dans la conjoncture actuelle, la chose n'a rien d'un pensum, croyez-moi.

— Vous n'aviez donc pas accompagné votre père dans son exil ? attaqué-je.

— Non, j'achevais mes études à Bouffémont, et mère a dû rester à Paris à cause de son kinési. Elle a un gars formide. Seuls ses massages particuliers la soulagent de ses violentes migraines.

Je vois ça d'ici. Je les imagine vachement particuliers, les massages en question. Plutôt que de jouer les proscrites, elle préfère se faire embrocationner à domicile, la dame Vosgien. Elle est peinarde pour se faire triturer la cellulite, et quand on sonne à la lourde, elle est au moins certaine que ça n'est pas son vieux qui radine à l'improviste.

— Et vous dites que votre papa a disparu ?

— De façon très inquiétante, balbutie Carole, en lissant les poile d'Uku. Mère et moi, nous sommes persuadées qu'il a été enlevé par les polices parallèles !

— Ah ! oui ?

— C'est la politique qui a perdu père ; il n'y a plus de place pour un chevalier Bayard à notre époque.

— Ça s'est opéré comment, cette disparition ?

— Un matin, il est sorti de sa maison pour aller acheter des livres à la librairie française de Rio. Et il n'est pas rentré. Je suis très pessimiste.

Franchement, ça n'a pas trop l'air de l'émouvoir, le supposé kidnapping de son dabe. Cette môme, ma parole, elle bivouaquerait sur la tombe de ses parents pour peu qu’elle soit à l'ombre et qu'on y jouisse d’un beau panorama. Moi, on me sucrerait Félicie, je voudrais un peu griffer les murs ! Quelle drôle de family, ces Vosgien. Je pige très bien leur point de rupture. Lui, un exalté, un chevalier partant en guerre contre les moulins à vent. Sa bobonne qui se rabat sur les masseurs musclés. Et entre eux, leur gamine qui apprend l'indifférence, qui devient bêcheuse.

— Comment vivait-il à Rio ?

— Dans une maison de location avec sa vieille secrétaire et son lieutenant.

— Vous êtes allée le voir depuis son exil ?

— Jamais !

— Votre mère non plus ?

— Non plus. Dites, le Brésil, ça n'est pas la porte à côté.

Et pourtant, ses féaux l'ont suivi, le leader politique !

— Que disent ses familiers ?

— Ils se rongent les sangs et nous ont demandé de venir afin qu'un membre de la famille soit là pour réclamer une enquête officielle et agiter un peu les pieds dans le plat de la police brésilienne.

Alors, Carole est partie avec son cador de sofa, ses bottes de sept lieux et son accent anglais intermittent.

— On va peut-être se voir à Rio ? suggère-t-elle. Ça ne serait pas un bon sujet d'enquête, pour vous, la disparition de père ?

Eh ! dites, les gars, ça continue de pas mal grimper, mes actions, on dirait. V'là mam'zelle Auteuil-Passy qui me propose à brûle-pourpoint ce que je m'apprêtais à lui demander en catimini. Y a même plus besoin de parler pour être servi. Ah ! ils font bien les choses, sur Air France !

Je réprime ma satisfaction.

— Faut voir, fais-je en ayant l'air plus poli qu'intéressé.

Elle fronce les sourcils.

— Ça n'est pas une vedette, père, à l'étranger ?

Je me compose un sourire que je voudrais pouvoir admirer dans une glace tant je le sens mesuré ; à la fois indulgent, apitoyé, ironique, attendri et paternel.

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7

Note pour le linotypiste : Laissez-le-moi en un seul mot, ça fait plus gai et ça ne change rien à la consonance.