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— Ecoutez, mon petit cœur, ça dépend de ce que vous appelez l'étranger. Je ne dis pas qu'à Monaco, et peut-être même dans le Genevois, on ne sache pas qui est Martial Vosgien, mais vous savez, le général de Gaulle excepté, la politique française ne passionne personne.

— Oh ! tout de même ! se rebiffe Carole qui n'apprécie chez son père que sa célébrité, mais qui y tient.

— Je vais vous donner un exemple, insisté-je, connaissez-vous le nom du président de la République brésilienne ? Non ! Moi non plus. Pourtant, le Brésil est quinze fois plus grand que la France, deux fois plus peuplé et nous sommes, vous et moi, des gens plutôt civilisés. Alors, pourquoi voudriez-vous que soit connu dans d'autres pays le nom d'un politicien français sous prétexte qu'il est l'ennemi juré du régime ? Cela dit, m'empressé-je d'enchaîner en voyant la fumée lui sortir des naseaux, je pense que, bien montée, et en soulignant son côté mystérieux, l'affaire est peut-être susceptible d'intéresser la Deconning Rewriting Corporation…

Son regard qui charbonnait retombe en cendres.

— Vous croyez ?

— J'espère. Où descendez-vous, à Rio ?

— Chez père, puisqu'il a une maison et du personnel, et vous ?

— Ben voyons : au Copacabana Palace ! dédaigné-je. Nous atterrissons à 15 heures, heure locale, voulez-vous que nous dînions ensemble ?

— Oh ! chouette ! fait-elle spontanément, moi qui me demandais comment passer la soirée ! Parce que je dois vous dire que la secrétaire de père n'est-pas une marrante.

— Voulez-vous que je passe vous ramasser sur le coup de 8 heures ?

— Banco ! dit-elle d'un ton dégagé.

— Alors, donnez-moi votre adresse.

Bien que possédant déjà celle du leader politique, je la renote, ainsi que son tubophone. Comme ça, on ne pourra pas dire que je manque d'adresse ! J'achève de griffonner lorsque la blonde hôtesse vient nous annoncer que la séance de cinéma va commencer. J'ai envie de lui répondre que pour moi, elle a déjà démarré, mais je me contente de lui dédier mon sourire enjôleur façon grande-croisière, et je vais rejoindre Félicie.

M'man sourcille un brin en me voyant surgir sur les talons de cette pin up. Elle se dit que son Antoine perd pas de temps et je sens qu'elle en éprouve une secrète fierté maternelle. Les mères aiment bien voir caracoler leurs rejetons sur les sentiers parfumés de la petite vertu. De ce côté-là, je dois convenir que je ne l'ai jamais déçue, Félicie. Elle ne l'a jamais trouvé feignant à l'ouvrage, son grand fiston.

— Tu as fait des connaissances ? murmure-t-elle, mine de rien, pendant que le steward déroule l'écran au bout de la travée.

J'ai raconté déjà l'objet de mon voyage à ma vieille. J'avais besoin de son approbation et je l'ai obtenue. Elle a trouvé que j'avais bien agi, m'man, en refusant de rechercher Vosgien pour le compte de quelqu'un, mais en opérant au titre d'assistance à personne en danger.

— Devine qui est cette fille, m'man, lui roucoulé-je à tympan portant.

— Une vedette de cinématographe ? suppose-t-elle.

— T'as perdu ! C'est la fille de Martial Vosgien !

Elle en est abasourdie, la chérie.

— Ça, alors, pour une coïncidence !… dit-elle en regardant Carole entre nos dossiers de siège.

— C'est une foutue pimbêche qui me paraît avoir autant de cœur que le train d'atterrissage de cet avion. Je lui ai dit que j'étais un grand journaliste, et elle m'a demandé illico d'écrire des papiers sur son vieux, c'est-à-dire, en fait, sur elle. Elle se voit à la « une » des grands magazines, dans des postures canailles, avec son horrible chien.

Je me tais car le film commence. Ça raconte une belle histoire d'amour, avec beaucoup de larmes et de poils autour. Y a deux hommes qui aiment la même femme. Ils sont jaloux, l’amant finit par tuer le mari, mais la femme le fait arrêter, car elle en aimait un troisième en secret, et c'est elle qui a tout combiné pour se débarrasser de ces deux ballots.

Si vous saviez comme c'est beau, poignant et en couleurs naturelles ! Quand on visionne un truc pareil, on se rend nettement compte que les femmes sont des garces. Qu'elles nous manœuvrent, pauvres pommes que noue sommes !

Ce que le murmure soyeux des réacteurs n'avait pas pu faire, le film le réussit admirablement ; je m'endors à la quatrième bobine.

* * *

Le temps de cristofcolomber en criant « Terre ! Terre ! ». Le temps de se dire que tout là-bas, cette belle eau verte à moustache blanche, émaillée d'un archipel de pains de sucre est fatalement le Pain de Sucre, nous nous posons.

— Rio de Janeiro ! murmure Félicie comme on récite un poème.

DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE PREMIER

Notre taxi fonce dans une large avenue en klaxonnant comme un pompier. Il fait un temps magnifique et pourtant la population se balade avec un pébroque sous le bras. Félicie m'en fait la remarque.

— Le carnaval est commencé ? me demande-t-elle.

— Pas encore, pourquoi ?

— Tous ces gens ont un parapluie dont ils ne se servent même pas comme ombrelle.

— Tu sais, nous sommes dans un pays tropical, il y pleut souvent !

— Oh ! tout de même ! proteste ma brave femme de mère, regarde le ciel, comme il est bleu.

On longe de somptueuses demeures cachées par des palmiers et, après un tunnel, nous débouchons dans Copacabana. Ça n'est plus vraiment Rio, mais une ville nouvelle, étincelante, avec des magasins pimpants, des trottoirs tout en mosaïque noir et blanc, des buildings modernes.

Notre chauffeur chante à tue-tête, because le transistor accroché à son rétroviseur et qui diffuse un air de samba. Il paraît heureux de vivre, d'être brésilien et de conduire l'illustre San-Antonio et sa chère maman au Copacabana Palace. Le voici qui oblique à droite sur le bord de mer. Quel coup d'œil ! La plage à perte de vue, décrivant une légère courbe ! L'océan moutonne comme une brebis en chaleur. D'énormes vagues ne cessant de s'escalader dans un magistral éclaboussement d'écume. C'est plein de gens bronzés et de petits parasols multicolores. Des gamins jouent au football dans le sable. Des marchands de cerveaux-lents[8] se succèdent sur le bord de l'avenue. Ils vendent des oiseaux de toile aux silhouettes de rapaces et les laissent grimper très haut dans le vent soufflant du large.

— Je ne voyais pas cela ainsi, déclare Félicie. Je m'imaginais que c'était planté de palmiers. Tu ne trouves pas que c'est moins beau que la Promenade des Anglais ?

Elle a raison, m’man, et je trouve aussi que ç’a fait nu, cette interminable avenue bordée d'éblouissants buildings.

Le Caruso de changement de vitesse pénètre sur un terre-plein pelouseux et stoppe devant la porte tournante du palace.

Des mecs galonnés se précipitent. L'un d'eux veut s'emparer du gros sac de Félicie, mais ma vieille refuse ses services d'un attendrissant « Oh ! ne vous dérangez pas, monsieur, ce n'est pas lourd » qui déconcerte le bagagiste. Une fois dans le hall de marbre, m’man me souffle à l'oreille :

— Crois-tu que c'est raisonnable, Antoine, de descendre ici ? Je suis sûre que, près de la gare, on doit trouver de petits hôtels propres et pas chers.

Je la rassure.

— Au Brésil, la vie est pour rien, maman. Et avec ce que les gars m'ont voté comme défraiement, je peux t'offrir du caviar à tous les repas.

Je prends une suite : deux chambres-salon-dressing-room. Les pièces sont immenses, hautes de plaftard (ou basses de plancher), avec des meubles pompeux, des rideaux lourds, une moquette épaisse comme un green de golf.

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8

C'est plus rigolo écrit de cette façon.