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Quel châssis ! Quelle allure ! Quelle élégance ! Quelle beauté ! Oh ! ces tifs d’or, madame ! Oh ! ces jambes bottées, monsieur ! Une couverture de Lui, et les pages en couleur d’Elle ! Ce que c’est idiot qu’elle n’ait pas songé à me laisser son numéro de téléphone avant de partir.

Je m’arrache à l’extase pour pousser une pointe de reconnaissance jusqu’à la maison du vieux Prosper.

La cousine Laurentine est agenouillée sur le mauvais carrelage. Elle a la figure dans ses deux mains. Elle pleure.

— Que s’est-il passé ? Je lui demande.

Ses mains retombent. Elle a le nez comme une tomate. Ça jute rouge par tous les bords.

— Une femme, bégaie-t-elle. Une femme en blanc. Elle descendait l’escalier. En m’apercevant, elle s’est précipitée sur moi et m’a lancé un coup de poing en plein visage. Elle devait tenir quelque chose de dur car j’ai cru que mon nez éclatait.

Je ne voudrais pas lui ôter des illusions qui, somme toute, ne lui coûtent pas cher, mais il a bel et bien explosé, son enjoliveur à huile goménolée.

Miss Manteau-d’hermine devait avoir un coup de poing amerlock à l’intérieur de ses jolis gants.

Le maigre tarin de cousine Laurentine a pris du volume. Il a de l’ampleur, maintenant. Une fière allure ! Le pif de Robert Dalban, à côté, c’est le mignon pif de Blanche-Neige !

4

LE MYSTÈRE S’ÉPAISSIT !

Ecoutez, moi je suis pas contre le mystère. Je trouve qu’il pimente la vie. L’inconnu, c’est ce qui fascine le plus. L’homme a besoin de points d’interrogation, ne serait-ce que pour s’en faire des portemanteaux.

Je considère alternativement Béru et sa cousine. Y a de quoi se cramponner à la rambarde, avouez ! Deux filles en manteau de fourrure blanc, au milieu de la nuit hivernale de Fouilly-les-Oies, c’est pas banal ! Que venaient-elles fiche dans cette vieille baraque bourrée de courants d’air ? Des élégantes, style mannequins, pourvues d’une Cadillac dernier modèle ! Faites-moi une avance de phosphore, les gars, que je pige un peu…

— Je dis pas que je soye pas un peu schlass, balbutie le Gros, mais je crois bien avoir vu ce que j’ai vu, non ?

Il considère le nez tuméfié et raisineux de la pauvre Laurentine.

— Et miss Dargeot-bénit a fait mieux que voir, à ce qu’on dirait ! ajoute-t-il. Dis, Laurentine, ton Saint-Christophe, il roupillait ou quoi ?

Bon jusqu’à l’abnégation, il offre à sa cohéritière un mouchoir qu’un chiffonnier négligerait s’il se trouvait dans une poubelle.

— Amortis-toi la blessure, conseille-t-il. Si les microbes se foutent après ton aubergine, tu risques de ramasser ton blair dans la poussière. Qu’est-ce tu penses de cette séance, San-A. ?

J’ai un geste évasif (les plus difficiles à réussir).

Le Gravos, surexcité comme une pile atomique quand ses neutrons font les voyous, enchaîne :

— Un peu culottées, ces frangines, de venir cambrioler une maison en pleine noye !

Je pige pas et ça me fait mal dans la boîte à idées.

— De la route, sous la neige, on ne la voit même pas, la ferme, Gros ! Et puis, ces bergères, c’étaient pas des romanos. Elles se loquent chez Courrèges de bas en haut, chez Courrèges et chez Ciganer ! Tu les vois faire des fric-frac à travers les tas de fumier ? Il fait moins quinze dehors et on est à deux cents bornes de Pantruche !

— Tout ce que tu me causeras, proteste le Mastar, les faits sont là, non ? J’ai idée que ce sont des petites spécialistes du bas de laine. Elles retapissent un décès, et pendant que la famille pleure son mort, ces friponnes viennent soulever le matelas. Les nabus aiment pas les banques. Leur joncaille, ils la dorlotent dans des plumards, c’est connu !

Peut-être a-t-il raison ! Sans doute a-t-il raison ! Il ne peut qu’avoir raison, sinon quelle autre explication trouver à ce mystère ?

— Comme quoi, conclut le Gros, on a rudement bien fait de s’annoncer maintenant ! On les a dérangées en plein charbon, ces demoiselles. Ah ! les morues, si je les piquais, je te leur filerais une de ces fessées qu’ensuite leur mignon dargif aurait l’éclat du neuf !

— J’aimerais assister à la correction, soupiré-je en évoquant la blonde chevelure de la fille en blanc.

Laurentine, c’est du bois de péquenot. C’est geignard mais solide. Malgré son tarin entamé, elle fait bonne figure.

— Il faut tout vérifier, elle recommande d’une voix devenue nasale.

Comme elle achève ces mots, on entend un bruit bizarre dans la cuisine. Un grattement… On regarde et on avise une grande caisse grillagée sur un côté.

— La niche du médor, sans doute, hypothèse Bérurier.

Sur le grillage, un papier est épinglé. D’une écriture penchée mais riche en pleins et déliés, on a écrit : « Mongénéral adore le maïs. Le dimanche, lui faire prendre une cuillère de vin sucré. Merci ! »

Béru s’incline au-dessus de la caisse.

— Eh ben ! dis donc, toutou, murmure-t-il, tu vas devenir un vrai petit goret si t’aimes les farineux ! Et du pinard sucré ! Il t’avait vachement à la chouette, l’oncle Prosper !

Il se tait, se retourne et je constate que ses yeux sont prêts à lui dégouliner sur les joues.

— Ah ben, ça alors, bégaie-t-il, vous avez vu ?

Il s’écarte pour nous laisser regarder à l’intérieur de la caisse.

Nous nous exclamons en cœur, Laurentine et moi. Mongénéral n’est pas un chien, mais un coq ! Un beau coq blanc, dont la queue est agrémentée de superbes plumes presque bleues, et dont la crête rouge vif lui pend sur le côté comme un béret basque. Un coq bleu blanc rouge en somme ! Il tourne la tête latéralement afin de braquer sur nous un œil de verre, bien rond, bien jaune, et dont la paupière flétrie ne cille pas Il dormait gentiment dans sa caisse pleine de paille, Mongénéral. Tricolore et béat ; et puis voilà qu’on le réveille en sursaut avec nos giries d’humains. Un fataliste, ce poulet ! Il pourrait nous marquer son mécontentement, nous invectiver. Mais non, il se contente de nous bigler d’un seul lampion avec l’air de se demander pourquoi on fait des bouilles comme sur les réclames pour le laxatif Fafagogue. Il se soulève, s’étire une aile, se gratte la crête d’une patte et lance un cocorico qui ridiculiserait l’indicatif des Actualités Pathé.

— Un poulet ! souffle Laurentine.

Son gros cousin réagit.

— Tu crois pas qu’il avait des ennuis avec sa carburation, l’oncle Prosper ? Vivre avec un coq et lui laisser sa fortune, je te jure, faut se pincer le pancréas pour s’assurer qu’on rêve pas !

En tout cas, soupire Alexandre-Benoît, il doit être aussi gâtouillard que son maître, ce poulaga, pour se croire aux aurores !

Effectivement, Mongénéral continue de chanter le jour retrouvé.

— Emmène-le chez Lissac, conseillé-je, il doit avoir une altération de ses facultés visuelles !

Revenus de notre surprise, nous explorons la maison. Pauvre bicoque en vérité et qui tombe en digue-digue ! C’est des vrais intrépides, les bouseux, mes fils ! Des durs à cuire ! Et des durs à geler ! Leurs conditions de vie, c’est toujours l’âge des cavernes. Notez que ça commence à basculer ! A leur tour ils découvrent la bagnole, la téloche et le réfrigérateur, ces plaies de la société moderne. Ils se laissent envahir, contaminer. Ils se mettent à mollir ! Ils deviendront frileux, bientôt ! Douillets, je prédis ! La Sécurité sociale va précipiter leur chute dans le coton hydrophile ! Maintenant que le toubib et les remèdes leur coûtent rien, ils commencent d’en user, et demain ils en abuseront autant que les déliquescents, que les malfoutus, que les emmitouflés des villes ! Leurs beaux estom’s se boufferont aux mites ! Leurs foies s’affoleront. Ils connaîtront la bile, je vous jure ! Et les méchantes affres de la vésicule sournoise ! Ils apprendront ce que c’est que le cholestérol, c’est écrit ! La vilaine cohorte des maladies dont ils ne souffraient pas, faute de les connaître, les atteindra. C’est imminent ! Ils les apprennent sur le petit écran : les troubles de ceci, les allergies à cela ! Toutes les vacheries identifiées ou en devenir : les maux de rate, les virus, les fièvres éruptives, les taux d’urée, les vitesses de sédimentation, les tests, les cutis, les analyses ! Ils commencent à se faire explorer le pipi, à se faire biopser les rognons, à se laisser vadrouiller dans le gros côlon. On leur entre dans le rectum comme chez soi ! On leur inspecte la matrice à l’œil nu ! On leur bivouaque dans les ventricules ! On fait du camping dans leurs poumons, des visites organisées dans leurs testicules ! Bientôt, ma parole, ils auront des migraines, nos fiers pégreleux de jadis, eux qui arpentaient les hivers avec une veste de velours et un cache-nez de laine, les mains violettes de froid ; s’ouvrant les furoncles avec leur Opinel, se guérissant les plaies avec de la fiente, la colique avec des tisanes et les maladies pulmonaires avec de la gnôle. Ah, nos bons paysans, si courageux ! Matériel de guerre idéal dont la viande fut tellement utilisée ! Eux qui crevaient de vieillesse, juste pour dire, ou à la rigueur du tétanos à cause de ces bongus de bourrins qu’il faut bien fumasser ! Odorants péquenots, dont la crasse sentait la vie et non pas la mort comme la crasse des urbains ! Eux qui étaient un étonnant croisement issu de la terre et de l’animal. Arbres vivants aux sabots encore pleins de racines ! Salut, les terreux en peau d’éléphant ! Salut, les analphabètes pleins de bon sens ! Salut, les bouffepatates si robustes ! Salut, les semeurs de froment aux mains fissurées comme des troncs de chênes-lièges ! Salut, et déjà bonsoir, à vous qui fûtes si authentiquement vivants, si authentiquement français quand vous étiez chleus ! Vous voilà en route pour la décadence ! Pour la faillite de vos organes ! Vous allez devenir craintifs, vous qui braviez la nature ! Permettez ce coup de bada de votre San-A. Lui aussi arrive de la brousse, avec une génération de retard. Continuez votre course au progrès ! Vive les trayeuses électriques, les monte-foin automatiques, les inséminateurs artificiels ! Et mes condoléances à vos vaches qui s’envoient en l’air avec des seringues déjà pasteurisées !