Выбрать главу

— Alors, continue Bérurier le Vaillant, Bérurier l’Intrépide, Bérurier 1e Sanguinaire, en administrant un coup de pompe dans les côtelettes d’Alfred, alors, y te reste plus qu’à accoucher, mon petit homme, autrement sinon je te pratique une césarienne que j’ai le secret.

Couchetapiane suce son sang. Ça fait des bulles rouges au coin de sa bouche.

— Allez demander à Laurenzi, dit-il. Nous, Rita et moi, on n’a fait que de les mettre en cheville…

— Momento ! dis-je.

Je passe dans le livinge pour ramasser le canard que lisait cet enfant de sagouin lors de notre première visite. Le meurtre de Jérôme Laurenzi n’y figure pas. Probable que la presse a été rencardée trop tard pour les premières éditions de la matinée. Donc, selon toute vraisemblance, Alfred ignore le décès de Laurenzi…

Je retourne dans la cuisine.

— Tu es un ami de Laurenzi ?

— Ami, enfin, oui, je le connais…

— T’es un petit réticent dans ton genre, gouaillé-je, on dirait que la vérité est pour toi un siccatif qui te brûle la bouche au passage. Je te préviens que si tu t’affales pas complètement, quand on te bouclera tu ressembleras à un tas de chiffons. Raconte !

Il mate avec détresse le décor qui l’environne. Tout cela lui était naguère familier, et brusquement tout cela devient menaçant, hostile. C’est toujours pareil dans la vie. Quand tout va bien, on trouve son home bénéfique ; mais dès que ça se gâte, il apparaît vachement louche.

— Raconter quoi ?

— Hildegarde et Laurenzi…

— Hildegarde était une copine de tapin de Rita. On a lié connaissance. Je l’ai trouvée sympa… J’ai essayé de la prendre comme doublarde, mine de rien, mais c’était pas son genre. Elle m’a expliqué que le turf, pour elle, représentait un moyen d’action pour mener à bien une mission qu’elle avait entreprise.

— Quelle mission, Alfred ?

— Je l’ignore, c’était pas une causeuse… Elle voulait connaître des caïds de la prostitution. Elle expliquait qu’il y avait gros d’artiche à gagner… Comme je me trouvais plutôt pote avec Laurenzi, je les ai présentés…

— Et qu’est-ce que ça a donné ?

— J’en sais rien.

— Pourquoi recommences-tu à nous chambrer ?

— Je vous chambre pas !

— Oh que si ! Alors mon ami va de nouveau s’occuper de toi !

J’adresse à Béru un signe d’intelligence qu’il comprend malgré tout. Le Gros regarde Couchetapiane, puis son poing. Il décide que la partie de cogne manque d’imprévu et il se rabat sur le fer à repasser toujours branché. Il arrache la prise et s’empare de l’objet. Pour montrer à quel degré d’incandescence il se trouve, Béru le pose sur le superbe pantalon d’Alfred. Ça fait un bruit de fer à cheval chauffé au rouge qu’on plonge dans un baquet d’eau. Une moche odeur nous grimpe dans les trous de nez.

— C’était du pure laine, ton costard, apprécie le Gros. A l’odeur, je reconnais la qualité.

Le fer a traversé les quatre épaisseurs du futal et imprimé profondément son empreinte dans le bois de la table.

— Si tu ne craches pas le morceau tout de suite, je te repasse ! affirme cet être énergique et plein d’inventions.

Ce disant, il approche le fer de la joue d’Alfred. Ça le fait bronzer, Couchetapiane, cette source de chaleur.

— Deux gifles avec c’t’ outil, fait le Gros, et tu trouveras plus à maquer que des aveugles ; seulement, grouille-toi de jacter avant qu’il refroidisse.

— Oh bon, ça va, je vais tout vous dire, consent le cher garçon dont la joue roussit nettement.

Il va effectivement tout nous dire, j’en mettrais ma main au fer à repasser ; seulement il se produit comme un début d’incident technique. Quelque chose dégringole dans la cuisine. C’est lourd, c’est rond et ça roule au pied de Couchetapiane. Mort de mes os ! Je reconnais une grenade. Une main on ne peut plus criminelle vient de la jeter par l’entrebâillement de la lourde. Je fonce comme un fou dans le couloir en entraînant Béru. On vient à peine de débouler dans l’entrée qu’une explosion formidable retentit. Je pourrais essayer de vous l’exprimer avec des « rrraôumdes « vlangggget des « tziboum-badaboum(les meilleurs), mais à quoi bon ? Et surtout à quoi bonds ? Et même, à quoi James Bond ? Ça plâtrarde partout. Y a une brèche dans la cloison. Par icelle, je coule un z’œil dans la cuisine. J’aimerais bien savoir ce qu’il est advenu (des Champs-Elysées) d’Alfred. Au milieu de ce bigntz il a dû être décoiffé, le coquet. Je le vois pas, biscotte la fumaga. Le plaftard continue de faire des petits. Ça remue-ménage dans l’immeuble. Ça déménage ! Ça change de rue ! Les bouillaveurs changent de rut ! Les marchands de bagnoles changent de ruses ! (Je peux vous en pondre commak à la pelle, ça ne me fatigue pas.)

Béru a été commotionné par l’explosion. Il a pas lâché son fer et, en chancelant, il court à un divan pour s’abattre dessus. Hurlement prolongé et pathétique du Gros qui s’est assis sur le fer ! Son costard à lui n’est pas pure laine ; en revanche, ses miches sont pure viande. Ça sent (évidemment) le cochon carbonisé. Le Gros se roule sur la moquette en poussant des cris tous plus abominables les uns que les autres.

Je veux ouvrir la porte palière afin de m’élancer sur les traces de l’agresseur. Hélas ! hélas ! hélas ! le malin (ou la maligne) a bien calculé son affaire. Pendant qu’on entreprenait Couchetapiane dans la kitchen, il a retiré la clé de la serrure pour la placer à l’extérieur, si bien qu’en partant il n’a eu qu’un tour de clé à donner ! L’audace et la promptitude de l’attentat sont proprement confondantes. J’ai déjà vu des gars gonflés (les noyés de la Morgue entre autres) mais à ce point, rarement !

Mon sésame entre en piste. Cric-crac, chuchote-t-il. La porte s’ouvre. Il y a trente-deux personnes dans l’escadrin, échelonnées le long de la rampe, avec de l’anxiété à ne plus savoir où la mettre. (Certains se la déposent dans le fond du slip afin d’en témoigner devant leur Bendix.) Je saute dans l’escadrin… Des voix m’interrogent. Je leur réponds que c’est le tube cathodique d’un poste de téloche qui a explosé, rapport à Jacques Chabannes qui a éternué dans la caméra numéro 2. Me voilà en bas. Les badauds badaudent dans l’entrée. Je leur brandis ma carte de poulman.

— Qui vient de quitter l’immeuble ? aboyé-je.

Ils se regardent, se trouvent pas beaux, se l’expriment par des « beuhh ». Pas moyen de leur tirer quoi que ce soit. Ils ont entendu le gros bastringue et se sont pointés. Personne n’a remarqué personne. Je me rue dans la rue. Un loufiat du bistrot est là, qui mastique un oignon cru, manière de se blinder l’haleine (c’est l’haleine du pingouin, car il est en noir et tient ses pieds en flèche)[24].

— Police, mon gars, lui dis-je, une bagnole vient sûrement de décarrer en trombe, non ?

Il finit son oignon et me dit « oui ». Son oui, c’est toute la Provence.

— Elle était comment, cette chiotte ?

— Une DS noire, dit-il.

— Vous avez noté le numéro ?

— Juste celui du département : 75.

— Qui la conduisait ?

— Un type. Il attendait une femme qui s’est précipitée dedans.

— Une femme blonde ?

— Je sais pas, elle portait un gros bonnet de skieuse en laine noire et un manteau de daim noir bordé de fourrure…

Je sonde la rue où un facteur pédale, les genoux écartés.

Trop tard pour essayer une courette. Mais le tuyau est bon.

— Et le gars qui pilotait, vous avez eu le temps de l’admirer ?

вернуться

24

J’ai dû vous la faire déjà, en ce cas mettez-la précieusement de côté et quand vous en aurez douze, adressez-les à François Mauriac qui vous enverra par retour un superbe porte-clés représentant le général Dis-heures-dix en train d’embrasser Monnerville.