— Non, m’a semblé qu’il avait les cheveux blonds légèrement frisés sur le derrière.
— Merci, vieux, vous au moins, vous n’avez pas les yeux dans une boîte à pilules.
Je fends la foule qui s’agglutine et je regrimpe chez Couchetapiane. Des gens assistent le Gros, croyant qu’il a été blessé par l’explosion. Il l’est. Le fer à repasser s’est imprimé pour toujours dans le dargeot de Sa Majesté. Le cœur récemment tatoué a disparu sous une monstrueuse cloque qui sanguinole. Il gémit, mon Béru. Les grands blessés de la fesse, c’est dramatique.
— Je pourrai jamais plus m’asseoir ! larmoie-t-il.
Au lieu de m’apitoyer je pénètre dans la cuisine. Vous verriez ces décombres, ça vous donnerait la nausée : vaisselle et meubles sont brisés. Un désordre indescriptible que, néanmoins, avec mon grand talent réaliste, à côté duquel celui de Zola n’est qu’une rédaction d’élève de sixième, je vais essayer de vous décrire, règne dans la pièce. Les pieds de la chaise sur laquelle se tenait Alfred ont été fauchés par la déflagration et gisent avec ceux de Couchetapiane à l’autre bout du local. Les claouis du malheureux se trouvent sur la table à repasser, et ses tripes serpentent en fumant jusqu’à la cuisinière à gaz. C’est devenu un buste, le marlou à Rita. On trouve son nombril sur la boîte à sel, son foie dans le réfrigérateur défoncé, sa rate dans une poêle Tefal (heureusement ça n’attache pas). Il est assis sur ses poumons, Alfred, ce qui n’est pas inconfortable, mais l’oblige à une position biscornue. Il a encore l’air surpris et sa lèvre supérieure retroussée découvre ses ratiches éclatantes.
Pas la peine de l’envoyer à la révision, ça coûterait trop cher. Vaut mieux que madame sa maman fasse un échange standard. Je sais bien que la chirurgie moderne fait des miracles, mais tout de même… De temps en temps, on nous annonce dans les journaux qu’un zig vient de se faire placer un cœur artificiel. Paraît que le monsieur vit et qu’on a bon espoir. Dans ces cas-là, j’ai idée que le Bon Dieu, là-haut, il doit salement faire la gueule. Il trouve pas drôle que les hommes le ridiculisent. Et puis, trois jours après, on révèle que le sans-cœur est clamsé, et du coup, le Barbu respire en se disant que c’est pas encore cette fois que ses marionnettes lui démoliront le standinge. Pourtant ça lui pend au nez, à Dieu, la victoire de ses créatures sur lui-même. Il est imminent, le jour où ces messieurs le relégueront au rang d’apprenti sorcier. Le temps vient où les hommes en fabriqueront d’autres autrement que par le canal habituel (qui est voisin de celui de l’urètre) et où ils parviendront à se rendre immortels, eux aussi, comme un Grand. Alors Dieu ne fera plus le Malin.
Les pompelards s’annoncent, et puis Police-Secours, comme chaque fois qu’il y a du pet quelque part. Je récupère mon Gros après qu’on lui eut filé un pansement sur sa brûlure.
Il insiste pour s’entifler un double cognac toutes affaires cessantes.
— J’ai souvent eu le feu quèque part, dit-il, mais jamais à ce point. Ton avis sur tout ça, Mec ?
Il est pas reluisant, mon avis. Je me flanquerais des claques et même des coups de pied si je ne me retenais pas. Envoyer ma chère Odile dans cette galère, faut être drôlement inconséquent, vous ne trouvez pas ?
— Mon avis, je vais te le dire, Bonhomme. La clique à Hildegarde est arrivée à ses fins et Mademoiselle liquide tous les gens qui l’ont aidée. Ainsi de Laurenzi, ainsi de Couchetapiane. Ce dernier devait être surveillé et notre venue a créé la panique chez les donzelles. Ils ont intercepté Odile avant qu’elle n’aille chez lui, c’est sûr…
— Comme ma Berthe ! s’exclame le Brûlé.
— Comme ta Berthe !
— J’ai plus d’espoir de la récupérer vivante avec ces déménageurs, réfléchit mon ami. Tu vois comment ils procèdent ? Mitraillette pour mézigue, bourrage de crâne pour ma cousine, étranglement pour Laurenzi, grenade pour Couchetapiane. Ils jouent Volga en flammes, ces carnes. Rien ne les fait hésiter. Faut se faire une raison, San-A., désormais dorénavant, pour toi comme pour moi, c’est le grand gala des veufs !
9
SAUVE QUI PEUT !
Sombres paroles, mais qui reflètent bien la noirceur de la situation inextricable dans laquelle nous nous trouvons.
J’imagine Odile — mon Odile — entre leurs mains cruelles. Ils vont lui faire subir d’atroces sévices pour la faire parler. Ils veulent sûrement connaître ce que nous savons… La torture ! Et puis la mort ! Par ma faute ! Une fille adorable, une artiste qui ne songeait qu’à l’amour et à ses émaux…
— Oh, bon Dieu ! trépigné-je brusquement.
— A propos de quoi t’est-ce ? sourcille mon camarade au dargif à combustion lente.
— Vite ! Vite ! Vite ! répété-je par deux fois[25], manions-nous, A.-B.[26]
M. l’A.-B. ouvre des vasistas larges comme des assiettes à soupe.
— Pour aller où est-ce ? s’inquiète-t-il.
— Tu l’as dit toi-même, Gros, la bande d’Hildegarde est en train de liquider ses arrières, comme les bourreaux nazis liquidaient les camps de la mort après qu’ils eurent rempli leur sinistre office.
— Eh bien ?
— Il reste Rita sur leur route !
Il a tout pigé, tout considéré, le Gros.
— Fissa ! hurle-t-il en s’engouffrant dans ma tire.
Je bolide en direction de la Madeleine. Je me sens dingue à force de remords et d’inquiétude. Odile ! Ils se la sont payée dans le hall de l’immeuble. Comment se fait-il qu’elle les ait suivis sans résistance en me sachant tout à côté. Même si on lui a appliqué un pétard dans les reins, elle a dû se débattre, non ? C’est pas une femme passive. Le fait qu’elle ait accepté d’enthousiasme cette mission prouve qu’elle n’avait pas froid aux yeux.
Bérurier rumine des présages, assis sur sa fesse droite, ce qui l’oblige à me tourner le dos.
— On s’en souviendra de celle-là, promet-il lugubrement.
— De laquelle ?
— Je cause de l’enquête, Gars. Une affaire dont je suis intimement mêlé… A la fois victime et enquêteur ! Ça s’est jamais vu, hein ? Femme kidnappée, cousine estourbie, moi-même personnellement à graisser[27]. Calamitas sur toute la ligne ! Sans causer de mon vieux tonton Prosper qu’ils ont p’t’être bien scrafé, ces vaches ! Laisse un peu que l’heure des comptes sonne, je te promets du jamais vu, San-A. Tu es pas susceptible d’imaginer la fiesta que je réserve à ces ogresses. Je vas me surpasser, promis. Leur faire payer au tarif dimanche toutes leurs fumasseries.
Nous déhottons rue Caumartin. Je laisse ma chignole au parking, et la première personne que je vois depuis l’entrée du garage c’est, précisément, la môme Rita en train d’arpenter le bitume. Je la reconnais d’après sa photo. Elle porte une jupe noire, moulante, fendue sur la cuisse, des bas à résille noirs, un corsage mauve et une veste en chinchilla de clapier travaillé. Malgré la basse température, elle laisse sa veste entrouverte et son corsage dégrafé afin de montrer son étalage aux passants en quête de sensations.
— C’est elle ? demande le Gros.
— Yes, Mec.
— On la saute ? demande-t-il, employant le verbe sauter dans son sens argotique d’arrêter.
— Je crois pas.
— Alors ?
— On va au tabac d’en face et on la surveille.
Il comprend et masturbe le chef.
— Tu penses que nos zigotos vont venir la chercher pour lui administrer du sérum antimémoire ?
— Tout juste ! Elle va nous servir d’appât.
— Les siens ne sont pas dégueulasses, admire cet amateur éclairé en louchant sur le décolleté.
25
Bien que le mot soit écrit trois fois je ne le répète en somme que deux fois, puisque c’est à partir du second que j’ai commencé à le répéter, comprenez-vous ?