Выбрать главу

— Eh bien, Rita ! s’égosille l’Eperdu, t’as des vapeurs ?

Il s’agenouille sur le lit, au côté de la prostipute, lui soulève la tête. Elle est révulsée, convulsée, dévissée.

Je sors de la chambre en cavalant pour gagner le 16. Je rejoins le Mastar. Il est vert de stupeur.

— J’y ai filé une émotion trop forte, elle a le battant qui flanche.

— Tu parles ! Vise un peu sa bouche !

Une écume jaune mousse aux commissures de ses lèvres. Je lui tâte le cœur. Ça décrit quelques furtifs toc-toc et puis plus rien.

— Nom de Dieu ! barrit Gold Water. On dirait qu’elle est terminée !

— Elle aura pas survécu longtemps à son Julot, cyniqué-je. En attendant on s’est laissé repasser comme des bleusailles, mon chéri.

— Qu’est-ce tu débloques ? C’est de notre faute si cette pompeuse de missiles avait des parasites dans le crado vasculaire !

— Elle est morte empoisonnée, abruti vivant !

— Empoisonnée ! hébétit le Gros en défrimant ce visage ravagé par une intense et fulgurante douleur.

Rita a les lèvres retroussées ; elles sont bleues comme un paquet de gitanes, ses lèvres.

— Mais co… co… mais comment ? bredouille le futur héritier de Mongénéral.

— T’as le cervelet qui poisse, Béru, tu te rappelles pas que tout à l’heure, le type blond lui a offert un bonbon avant de les mettre ? Un bonbon à la menthe. La menthe forte qui réconforte : tu parles ! Du cyanure à l’intérieur… Le temps que la môme suce l’enveloppe de sucre et il avait la possibilité de mettre du paysage entre lui et sa victime.

— Bien combiné, reconnaît Béru. Le poison ! Comme au temps de Lutèce Orgia ; seulement il a compté sans Bérurier, ce gnaf !

— C’est-à-dire ?

— Tu me connais ? Un œil de Sphinx, j’ai. Pendant qu’il remisait sa tire, après qu’il eusse causé à Rita, j’ai mentalement noté le numéro eau-minérale-logique de la DS déguisée en Citroën.

Il abaisse ses paupières en peau d’éléphant sur le plus sanguinolent des regards policiers :

— C’est le 4749 ST 751 récite-t-il.

— Tu es sûr ?

— Aussi sûr que 3 fois 12 font 24, Mec. Si j’affirme, c’est que c’est taillé dans l’Annemasse, comme on dit en Haute-Savoie.

Je bondis au téléphone et, cette fois, c’est la préfecture de police que je sollicite de la haute bienveillance de madame la taulière. Service des cartes grises, vous l’avez déjà deviné bien que vous ne possédiez guère plus de matière grise qu’une mouche bleue.

— Tu vas voir qu’on débouchera encore sur une voie de bifurcation, prophétise le semi-veuf, tandis que j’attends mon renseignement. S’agira d’une chignole volée. Un zig qui va trucider, il sort pas sa propre pompe de l’hangar, tu penses…

— Faut voir, murmuré-je. N’oublie pas qu’il a tué d’une manière délicate. Pratiquement, il ne risquait pas d’être inquiété. Rita allait s’effondrer sur le trottoir. On allait l’emmener à l’hosto et de là à découvrir qui avait pu lui administrer ce poison violent et surtout comment notre homme avait le temps de se faire inscrire pour une croisière organisée dans les îles de la Sonde !

Le Gros rabat pudiquement le couvre-lit sur le cadavre de la prostituée.

— Ça fait rien, déclare-t-il, j’ai vu bien des meurtriers assassins dans ma garcerie de carrière, mais des aussi rapides et qui regardent si peu à la dépense, jamais, San-A. Après cette série, tu espères encore qu’on découvrisse nos souris vivantes ? Non, mon pote. C’est scié. Voyez crêpe et chrysanthèmes ! Ma Berthe, ma pauvre poulette ! Alors que j’allais un de ces prochains quatre matins faire un héritage qui nous eusse permis la belle vie palacière ! Je l’imaginais déjà, Berthy, remplaçant Mme Froufrou. Le déshabillé nuageux, ça lui aurait été avantageusement à ma gravosse ! Elle avait la croupe provocante, Berthe, si tu veux bien te souvenir. Et l’œil qui aguichait à volonté. Avec ça une autorité peu commune. Elle était chiche de te driver le boxon de la rue Legendre comme une cheftaine d’orchestre. Les frangines allaient pas broncher sous sa houlette, et les habitués allaient s’habituer à elle, lui faire leurs confidences, lui esprimer leurs désirs-rata. Maintenant, tout ce que je peux y offrir, à ma chère biquette, c’est une grande messe en musique, avec les petits brailleurs à la croix de bois et un Monseigneur en tenue de grande pompe pour lui virguler de l’encensss sur le catafalque.

Ah, Mec ! Mec ! Quand je pense à ces ossobuccos qu’elle me faisait…

Je lui fais signe de la boucler hermétique vu que mon correspondant annonce la couleur. Il m’informe que la Citroën 4749 ST 75 appartient à la Société Hertz, location de voitures (rent a car). Ça me file un petit coup d’allégresse. Si cette voiture fut louée (Dieu le soit aussi) il va être possible, facile même, de trouver à qui.

En redescendant, je m’approche de la dame de la caisse. Vous l’ai-je décrite ? Non, je ne pense pas. Mais à quoi bon, puisque nous partons ? Une autre fois vous me ferez penser à vous la décrire en arrivant, hein ?

— Madame, que je lui cause aimablement, vous est-il arrivé qu’une putasse décède chez vous dans l’exercice de ses fonctions ?

Elle éclate d’un rire de trident (toujours Béru qui cause par ma plume).

— Ah ça jamais, monsieur le commissaire.

— Eh bien vous marrez pas, tranche le Gros, car ça vient de vous arriver.

C’est sur ces fortes paroles que nous prenons congé d’elle.

TROISIÈME PARTIE

LES COUSINES GERMAINES

1

LE FAIT DU PRINCE

Chez Hertz on nous demande de patienter un peu pendant qu’ils effectueront une petite enquête intérieure à propos de la voiture. Faut qu’ils tubent à leurs différents services, mais ça ne sera pas long, car l’organisation de cette firme est remarquable.

On poireaute dans un petit salon aux meubles en tubes d’acier. Sur un guéridon s’empilent les classiques revues de tous les salons d’attente. J’ai prévenu les Services pour qu’ils traquent l’auto en question. Un véritable filet (un journaliste compétent n’hésiterait pas à le qualifier de toile d’araignée) est tendu dans l’agglomération parisienne.

J’ai idée que dans moins de pas longtemps, la charrette de l’empoisonneur sera retapissée et qu’on trouvera enfin quelqu’un à qui causer.

Un long gargouillement retentit. Ça ressemble à une canalisation engorgée par les eaux de pluie. Béru s’excuse d’un sourire.

— J’ai la dent, explique-t-il. C’est pas un malheureux sandwich-rillettes qui peut me colmater la brèche…

— Il nous faudrait des pilules, dis-je, pour les jours où l’on n’a pas de temps à consacrer à la bouffe.

Il fait la grimace.

— Je préfère la piler, Mec. La tortore, c’est une chose sacrée. Si Dieu nous a fourni des mandibules et un estomac c’est pas pour qu’on se nourrisse avec des cachets ou des suppositoires.

Ayant dit, il cueille un numéro de Jours de France en haillons et s’humecte l’index pour en tourner les pages. Il s’arrête sur une publicité consacrée à la vaillante maison Olida. En couleurs comestibles, on y voit un déferlement de pâtés croustillants, de jambon-rose-vie, de saucissons pur porc, de choucroutes himalayesques et de cassoulets torrentiels. La bave lui coule des lèvres. Elle stalactite sur son revers. Il se trémousse en geignant à cause de sa brûlure.