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J’arrache la page de Jours de France consacrée à ce monarque et la plie soigneusement par trois fois, ce qui est à mon sens, le seul moyen de la plier en 8, avant de l’enfouir dans ma poche. La secrétaire blonde qui m’a escorté, se méprend sur la nature de cet arrachage et murmure en rougissant :

— Les toilettes sont au fond du couloir à gauche !

— Alors ? demande Bérurier, que dis-tu de ma découverte ?

— Depuis celle de Christophe Colomb qui devait tant tracasser les habitants d’Hiroshima, on n’en a pas fait de plus importante, lui assuré-je.

Il se pourlèche.

— Remarque, modestise-t-il, on peut se tromper.

— L’erreur est humaine, récité-je, et, pour lui faciliter la compréhension de cette maxime je la lui traduis en latin : errare humanum est (en vente dans toutes les pages roses du Larousse). Pourtant, reprends-je, il y a quelque chose d’assez frappant dans ta trouvaille, mon gros Poupon. C’est pourquoi nous allons rendre une visite de politesse à dame Merluche, Virginie Merluche.

— C’est qui t’est-ce ? s’inquiète Bérurier.

— La femme de ménage de Couchetapiane.

— Et côté Hertz, du neuf ? s’intéresse le Rondouillard.

— L’auto a été louée à un chleu nommé Frank Heinstein qui doit la rendre à Hambourg. Tout ça se regroupe, se recoupe et faisceaute (du verbe faisceauter, qui signifie former les faisceaux). J’ai déjà mis les archers au courant. Maintenant la chasse à l’homme a commencé.

— Et la chasse à la DS idem ? s’inquiète le Soucieux.

— C’est pas une DS, mais une ID, rectifié-je. Les poulardins s’en occupent aussi, d’ailleurs il est recommandé de chasser les ID noires[34].

Elle est toute joyce de me revoir, Maâme Merluche. Elle sent que la gloire, c’est du peu au jus. Je la trouve en pleine vaisselle. Des gosses cradingues et turbulents, aux frimousses croûteuses se traînent le dargeot sur le linoléum de la cuisine en élaborant de savants encombrements de voitures à l’aide de pinces à linge. Une grosse dame jeune mais sans âge, enceinte au-dessus de la ligne de flottaison, les regarde jouer d’un œil de bois ; elle est assise dans un fauteuil d’osier et essuie la vaisselle avec des gestes mous, ronds, sans se faire de mouron[35]. Elle est heureuse de progéniturer, cette maman. Comme disait l’autre[36] : la mère rit de son arrondissement.

— Ma fille, présente fièrement Mme Merluche.

Je complimente la jument poulinière à propos de ses petites horreurs chétives et scrofuleuses et je sors la feuille de Jours de France en m’arrangeant pour que seule la photo de Kelbel 69 deux fois soit visible et qu’on ne puisse pas lire le titre ni la légende.

— Avez-vous vu ce monsieur quelque part, madame Merluche ?

Elle n’a pas un centième d’ombre d’hésitation.

— Mais c’est le Prince que je vous parlais !

Je me permets un soupir qui propulserait une goélette d’un bord à l’autre du Pacifique.

De son côté, le Gros pousse une éructation qui n’est pas sans évoquer le tiraillement d’estomac d’un lion de l’Atlas.

— Comment se comportaient les autres invités avec lui ? je questionne.

Elle bitougne du compensateur.

— C’est-à-dire ?

— Lui parlaient-ils avec respect ? Comme on parlerait à un véritable prince ?

Elle caresse le chef.

— Dans le fond, oui. Sauf l’Hildegarde et l’autre fille blonde. Mais c’est vrai que Couchetapiane, Rita et Jérôme semblaient dévotionneux.

Elle s’anime.

— Quand je pense à ce dégueulasse d’Alfred, je vois rouge ! glapit-elle.

— Moi aussi, avoué-je en évoquant la boucherie consécutive à l’explosion, je vois tout rouge, madame Merluche.

Elle baisse la voix, mais pour, paradoxalement, rendre plus véhémentes ses paroles.

— Ces gens-là, déclare-t-elle, on devrait les tuer !

— Beaucoup pensent comme vous, certifié-je, cependant que le Mastar se pâme.

Là-dessus, je file une pièce de cinq francs (dont la partie face représente la République en train de nous semer du poivre au soleil couchant) à l’aîné des marmots.

— Tu achèteras des sucettes, lui recommandé-je, car il ne leur manque que d’être poisseux, à lui et à ses frères et sœurs.

Puis, toujours maléfique — le chagrin rend mauvais — je souhaite des quintuplés à la fille de Mme Merluche et, à Mme Merluche, une longue vie pour pouvoir torcher cette tribu de culs-nus jusqu’à la huitième génération.

— Donc, j’ai mis dans le mille, à ce qu’on dirait ? jubile Bérurier lorsque nous sommes out.

— En plein. Seulement ça ne va pas être commode d’enquêter sur ce prince qui doit être gardé et protégé de gauche à droite et de bas en haut. Enfin, rabattons-nous toujours sur le Seigneurial Palace.

— Qu’est-ce que ce monarque pouvait bricoler avec des poufiasses et des barbeaux ? se demande à intelligible voix mon camarade.

— Les grands de ce monde et les bas-fonds ont toujours entretenu de bonnes relations, A.-B. N’oublie pas que le limon fertilise et qu’un arbre, si puissant soit-il…

— Amen ! me coupe irrespectueusement Béru. Tu te crois à la Sorbonne, Mec !

Le Seigneurial Palace, comme chacun le sait puisque personne ne l’ignore, se trouve situé entre l’Etoile et la gare de Lyon, pas loin d’une boucherie chevaline. C’est une luxueuse construction du début du siècle, toute en marbre blanc. Résidence des rois en exil, des diplomates en voyage, des vedettes séjournant à Paris, des escrocs internationaux et des milliardaires (ce sont parfois les mêmes), elle dresse orgueilleusement ses huit étages au-dessus de son somptueux rez-de-chaussée.

Des chasseurs chamarrés la gardent. Leurs uniformes bleu nuit à parements jaunes et leurs casquettes à visière de cuir noir grouillent sous l’immense dais à rayures jaune et bleu qui somme la porte à grosse caisse[37]. A l’intérieur, c’est plein d’Aubussons, de statues d’albâtre, de toiles de maîtres (la plus petite fait un maître sur deux), de meubles de style (on ne sait pas toujours lequel, mais c’est beau). Bérurier, dans cet univers de luxe, fantastiquement éclairé, que dis-je : illuminé ! Bérurier en ce lieu réservé aux titrés, aux riches et aux vedettariés ; Bérurier parmi les vieux beaux décorés, les vieilles belles (débellies), les officiers dont les tenues sont presque aussi bathouses que celles des grooms, Bérurier, terminé-je, fait l’effet d’une grosse crotte de chien dans le salon de la marquise. Avec son bada arrimé jusqu’aux sourcils, son pardingue, dont le bouton du haut est passé dans la boutonnière du bas, ses targettes surmenées, sa barbe non rasée, son visage tuméfié, son derrière carbonisé, il est plus repérable qu’un hélicoptère dans un potager. Les cristaux, les lumières, le moelleux, le faste, le palaçage ambiant l’émeuvent. Il est gauche tout à coup, confusément honteux de soi, comme si les vastes glaces aux cadres dorés lui révélaient enfin sa situation précise dans l’échelle sociale.

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34

Par moments je me dis que pour oser imprimer des à-peu-près pareils, faut être gâteux ou héroïque.

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35

Je suis un virtuose de la langue, toutes les dames vous le confirmeront.

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36

Je ne peux tout de même pas prendre tous ces excréments à mon compte !

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37

Il serait insuffisant ici de parler de porte à tambour.