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Après la tortore, c’est les chansons. Les plus vioques entonnent Sambre et Meuse, les un peu moins vioques y vont de La Madelon. Les autres se cantonnent dans le Tino Rossi de la grande époque. Voix de velours, regards qui bredouillent ! Vinasse partout ! On est en pleine séance de stupe ! Le pinard est roi !

Elle tombe de sommeil, la Laurentine. Elle rancit sur sa chaise. Les poivrots lui balancent des vannes bien salées qu’elle feint de ne pas piger. Elle dodeline. Une stoïque dans son genre. Elle préférerait être violée plutôt que d’abandonner le notaire entre les mains de Béru. Elle soupçonne le monde entier d’être capable de l’arnaquer. Pour tromper le temps, elle se paie une tournanche de chapelet, dans la foulée. Ça lui entretient la patience, c’est sa pulvérisation-vidange-graissage. Bérurier a retrouvé l’ambiance de sa jeunesse, la terre de ses aïeux ! Il est bien, il s’épanouit, il s’arrondit.

C’est sur les choses de minuit que la débandade s’effectue. Les prostatiques sortent pour lancequiner. Le froid intense leur file un coup de goumi sur la noix et ils décident de rentrer à la ferme où que leurs mémés les attendent, les pieds sur la bouillotte. L’atmosphère tombe. Les trop saouls causent plus. Les autres ont les ficelles vocales qui se distendent. Bref, on se casse.

Le notaire est blindé comme la ligne Maginot. Il fait une embardée en se levant et c’est la dévote Laurentine qui le cramponne par une aile.

— Eh ben, m’sieur Maître ! l’interpelle familièrement le Gros, t’as ton centre de gravité qui a coulé une bielle, on dirait ?

Le tabellion s’excuse, faut qu’il fasse pleurer le gosse ! Le drame de ces soirées, ce sont les vessies surmenées. Faudrait avoir un wagon-citerne pour les cas d’exception. Ça pèche au département stockage, comprenez-vous ? C’est bien joli d’emmagasiner, mais after, hein ? Nous ne sommes au fond qu’une triste canalisation. Un simple conduit. Une voie de passage !

Il va s’appuyer au mur du bistrot. Le clair de lune est impeccable, bien plus bath que sur les cartes de Noël vendues à la succursale papeterie des établissements Valentin. Une lune ronde dont on voit le nez, les yeux, la bouche ironique. Dans la cambrousse givrée, doit y avoir des Pierrots avec leurs mandolines pour donner la sérénade blafarde aux chouettes engoncées dans leur houppelande de plumes.

On rejoint Collignier, Laurentine, Béru et moi. Je me contente de filer le train au Gros jusqu’à présent. C’est lui le pôle attractif. C’est son tonton, son deuil, son patelin ! Le notaire revient en jurant comme douze charretiers dans un marécage. Il a oublié de se dégager le bec verseur pour souscrire aux exigences de la nature, comme on dit dans les bouquins sérieux. Il est obligé de se dégrafer le bas d’une jambe de son pantalon de golf pour faciliter l’évacuation. Ayant remis les choses en ordre, il prend Laurentine par la taille.

— Allons-y, ma blanche colombe, il lui roucoule dans le pavillon des plats à barbe.

Elle se tortille comme une vipère dans une marmite d’eau bouillante.

— Monsieur Maître, proteste-t-elle, qu’est-ce qui vous prend !

— Fais pas ta bêcheuse, eh, Sophia Loren ! l’interpelle son cousin. Pour une fois qu’un homme porte la main sur la palissade qui te sert de hanches, tu devrais plutôt allumer les lampions.

Beurré comme il est, Collignier, il trouve la repartie de first quality. Il se met à jouer les amoureux transis (transis de froid) pour Laurentine. Il lui virgule des vannes comme quoi ça fait des années qu’il la regarde en soupirant comme une locomotive haut le pied !

Il en rêve la nuit, sa parole ! Il la voit dans un décor tahitien, avec une feuille de bananier et un collier de fleurs pour tout vêtement. Ça lui fouette le sensuel, au notaire, alors il se rabat sur sa Madame, mais juste pour se mettre à jour la bourse aux idées.

Elle est tellement asphyxiée, la punaise, qu’elle ne maugrée plus. Il ne s’agirait pas du notaire, elle lui flanquerait une tarte, mais c’est pas au moment d’aller dépuceler un testament qu’on peut se permettre ce genre de fantaisie, hein ?

— Si vous vouliez, Laurentine, il gazouille, diablotin tout plein, on partirait vivre notre vie sur une île déserte. On mangerait des noix de coc, ça rend viril, et on ferait des gamineries le reste du temps. Je vous imagine, nue sur la plage, avec la mer couleur d’émeraude qui viendrait vous lécher les pieds !

— Faudrait qu’elle aye de l’appétit, la mer, rigole l’Incorrigible.

La cousine avance comme un automate. Ulcérée à mourir ! La colère la réchauffe. Une rogne pareille, ça vaut un vison à cinq briques ! Elle a des pensées gestapistes dans son petit crâne hostile. C’est pas sur une plage déserte qu’elle se l’imagine, monsieur Maître, mais dans un haut-fourneau en activité. Elle lui décerne l’enfer à l’unanimité du jury ! Rôti, elle le souhaite, calciné comme du charbon de bois ! Ce qui la soutient, ce qui la maintient, ce qui lui permet de subir, de tolérer si loin, c’est la perspective de l’héritage. Elle fait l’inventaire… Les champs de Clos-Chenu… La vigne de Bonnegagne ! La maison… Des actions, peut-être ? De l’or, ça sûrement. Prosper, il devait aimer le jonc. Toute sa foi, il l’avait foutue dans le brillant métal. Sa chaussette de louis d’or doit peser lourd !