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— De first bourre, Gars, apprécie-t-il.

— Eva, attaqué-je, vous allez décommander vos pieds nickelés car c’est nous qui prendrons leur place.

— Vvvvvous ? bave-t-elle.

— Vous nous trouvez peut-être pas assez suffisamment girondes ? demande mon joyeux compère.

— Si vous me feriez une petite mouche sur la joue ? suggère Bérurier, m’est avis que j’aurais l’air plus polissonne ?

Il se pique au jeu, le Gros. Je le trouve inimaginable dans sa belle robe du soir mauve, largement décolletée. On dirait quelque duègne espagnole, on plutôt non, une ancienne diva d’opéra ayant pris du carat. On lui a rasé les poils de la poitrine et garni icelle de fond de teint ocre. Il porte une étourdissante perruque rousse piquée d’un diadème. Il a aux oreilles de fort belles boucles représentant des petits oiseaux en rubis sur des balançoires d’or. Son rouge à lèvres est pourpre, son bleu des yeux est vert, son marron à sourcils est jaune, et ses bas sont à grille. Béru dans la taulière de western d’Oklahoma-City, c’est riche, c’est incomparable, c’est du grand art, du spectacle choc ! On ne parvient pas à s’en rassasier. Il accroche la rétine, y chatoie, mais l’incommode. C’est à la fois la délectation d’un œil normal et son inconfort. Sa cape de faux vison, sa minaudière dorée, son fume-cigarette de dix centimètres, ses chaussures à hauts talons, ses bagouses éclaboussantes, son diadème qui crache le feu comme le phare d’une ambulance, tous ces accessoires si éminemment féminins confèrent à mon gros Béru je ne sais quoi de grandiose et d’horrible, de fascinant et de consternant.

Ma mise à moi est plus discrète : robe noire sans manches, manteau de satin gris perle, perruque blonde, et de longs gants gris… (des fois que les morpions seraient de la fiesta ?).

J’ai de l’allure, du maintien, un peu de rose aux joues et de noir à cils, des boucles d’oreilles discrètes (le prince adore les boucles d’oreilles) et un collier de fausses perles à trois rangs. Ainsi parés, nous prenons le chemin du Seigneurial.

— Cc qu’il faut pas faire pour arriver à ses fins, lamente le Mastar. Je te jure que ma Berthe me verrait, elle voudrait plus jamais que je l’approchasse.

— Modère un peu ta voix, Béru, recommandé-je au moment de sonner. T’as l’organe trop épais, tes cordes vocales ressemblent à des cordes de contrebasse ! Ça détonne avec ta belle robe.

C’est le larbin levantin qui nous ouvre. Il nous balaie d’un regard méprisant, puis, sans un mot, s’efface pour nous laisser entrer.

— Si vous voulez bien me confier vos manteaux et vos fourrures, mesdemoiselles, il fait comme ça, mine de rien.

Parole d’homme, les gars, c’est la première fois de ma vie qu’on m’appelle mademoiselle ! Comme quoi tout arrive à qui sait tatan.

On passe au salon. Trois messieurs s’y trouvent déjà, parmi les trois-quels je reconnais le prince Kelbel Birouth en complet de soie sauvage noire. J’aperçois, épinglé à son revers, le Vautour de diamant, la plus haute distinction jtempalaise. Il est précocement gris, l’air aristocratique, ce qui est rare pour un prince. Un vrai pin-up-boy, mes lapines. L’œil est noir intense, le sourcil bien fourni, la bouche jouisseuse avec la lèvre inférieure qui pend un peu, comme si elle était prête à licher la dernière goutte.

Ses compagnons sont : un vieux kroumir osseux et jaune (l’ambassadeur du Tatankelkun) et un jeune éphèbe blond, potelé, timide, poudré, qui sent la savonnette de luxe.

— Ah, voilà ces chéries ! s’exclame le prince avec un léger accent circonflexe sur les voyelles et un accent jtempalien sur les consonnes. Montrez comme vous êtes belles, toutes les deux !

Il nous prend chacun (pardon, chacune) par une main et nous tient éloignés de lui pour mieux nous admirer.

— La bonne Eva a bien fait les choses, approuve-t-il en s’attardant sur Bérurier, elle sait que j’adore les personnes dodues.

— Vous me comblez, mon Altesse, roucoule mélodieusement Béru.

— Comment vous appelez-vous, ma chérie ? demande le prince.

— Alexandrine, mon Altesse, mais si vous voudriez vous pouvez me dire Sandre tout court.

— Je n’y manquerai pas, car j’adore les diminutifs. Et, vous, petite fille, poursuit le ci-devant (et si derrière) monarque en s’adressant à moi, quel est votre nom ?

— Antoinette, Votre Altesse, dite Nénette.

— Adorable !

Kelbel cueille la bouche du Gros entre son pouce et le reste de sa main, forçant celle-ci à s’arrondir et à proéminer. Je vois les poings de ce dernier s’arrondir, durcir jusqu’à devenir blancs. Je le pince au bras pour lui prêcher la patience.

Un flic digne de ce nom doit endurer tous les sévices pour mener son œuvre à bien. Il doit subir les pires outrages ; affronter le supplice le plus raffiné la tête haute, y compris celui du pal et du Népal.

— Grande folle, soupire le prince ! C’est toi que je choisirai tout à l’heure.

— Vous êtes trop bon, mon Altesse, rugit Sa Décadence. Mais faut pas vous croire obligé…

— Si ! si ! si ! promet Kelbel, magnanime.

Le maître d’hôtel sert des drinks, ce qui réconforte quelque peu Bérurier. Ensuite de quoi nous passons à table. L’Altesse est à un bout, pour présider. Il a Béru à sa droite, le petit mec-savonnette à sa gauche. L’ambassadeur se tient à la droite du Gros et moi à la gauche du jeunot. Etant donné la forte collation que nous avons prise deux heures auparavant dans l’appartement contigu, je n’ai pas grand faim ; en revanche, Bérurier dévore. On nous sert une bisque de tortue, puis un feuilleté de homard et enfin une gigue de chevreuil sauce veneur.

Le Dodu est à la noce. Oubliées les mœurs du prince et sa toilette de cantatrice retraitée. Il boit cul sec les glass que le loufiat n’arrête pas de lui remplir. Ses boucles d’oreilles mènent au bout de ses lobes une gigue à côté de laquelle celle du chevreuil n’est rien. Sa perruque est de traviole et le diadème penche dangereusement au-dessus de son assiette.

Moi, San-Antonio, providence des maris impuissants, des dames seules et des jeunes filles lassées de l’être, vous me connaissez. Pratique, positif dans le turbin ! Je me convoque pour une conférence-éclair et je me déclare tout de go la chose suivante : « Mon petit San-A. (je suis familier avec moi-même) comme dit la chanson : t’es au bal, faut que tu danses. En usant de la méthode dite du Cheval de Troie t’as pu t’introduire dans la place, s’agit maintenant de t’y comporter astucieusement. »

Le prince est en train de parler d’un mignon clandé qu’il vient de découvrir du côté de la rue Monsieur-le-Prince (ô ironie). Paraît qu’il s’y trouve une personne fantastiquement imaginative qui vous fait la vessie de porc, la serviette chauffante, la plume de paon, le casse-noisette turc, la corde à violon, le tohu-bohu, le quarteron, les choses-étant-ce-qu’elles-sont, la pompe Pie XII, le fil de l’épée, la calebasse creuse, la feuille de chêne, le grain de sel sous l’aqueux, la Queue-lez-Yvelines et l’embouchure mal embouchée.

Je pense que l’instant est venu de me hasarder, de placer ma botte secrète façon anodine, comme s’il s’agissait d’une botte de radis et non d’une botte de sept lieues.

— Altesse, je crois que nous avons une amie commune, fais-je, et que cette personne connaît mieux que quiconque les bonnes adresses du présent.

Il me sourit.

— De qui s’agit-il ?

— D’Hildegarde.

Ses yeux deviennent de glace et son sourire meurt lentement au coin de ses lèvres, comme s’éteint, faute de carburant, la flamme d’une lampe à pétrole[45].

— Connais pas, laisse-t-il tomber, vous devez confondre.

C’est net. Pas à y revenir. Soudain l’atmosphère se fige. Ça n’est pas très perceptible aux autres, mais je sens qu’un machin en forme de grabuge se mijote. Je lui ai porté une estocade, à Kelbel Birouth. Il a deviné que je ne me trouvais pas chez lui seulement pour la gaudriole. Comme dit le Gros, « ce pèlerin a des antennes crochues ».

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45

Quelle recherche de style ! San-Antonio est imbattable dans le domaine de la métaphore.