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Une fille emmitouflée dans un manteau de daim bordé de loutre et portant un bonnet de même métal pénètre dans la pièce. Du coup, mon émotion se met en torche. La personne en question n’est pas Hildegarde. Ça y ressemble comme genre, comme âge et comme blondeur, mais ça n’est point elle. Mon petit doigt qui jouit d’une jugeote extraordinaire me murmure qu’il s’agit là de la mystérieuse compagne de la belle Allemande.

Elle s’accroupit devant le cadavre de Frank Heinstein, face à moi, ce qui me permet une vue dantesque sur ses dessous, ses dessus et ses sens dessus dessous. De quoi priver de salive six douzaines d’escargots de Bourgogne ! Elle avance une main calme sur le mort et lui ferme les yeux.

— Si on lui avait fait ça avant, il se serait pas vu mourir, dis-je en sortant du placard.

Ce qui la surprend peut-être le plus, c’est de me voir fringué en nana. Je dois faire anachronique dans ma robe des dimanches. Elle se dresse et recule d’un pas, ce qui la met dans les bras musculeux et nus du cher Bérurier. Elle se retourne, et à son regard effaré, je comprends qu’elle reconnaît le Mastar.

— Hildegarde n’est pas avec vous ? je demande.

Elle ne répond rien. C’est fou ce qu’ils sont peu causants, les protagonistes de cette affaire. Pour leur en arracher une, faut des forceps, et encore, quand ils consentent à l’ouvrir, ils cannent. On enquêterait chez des carpes, je vous parie que ça irait plus vite.

— Peut-être qu’elle cause pas français, cette beauté biautifoule, suggère le Gros.

Effectivement, la gosse se met à jaspiner en chleu moderne, comme pour lui donner raison.

Je ne tergiverse pas, ayant raté naguère mon brevet de tergiverseur par la faute d’un examinateur grincheux qui prétendait me faire tergiverser à l’envers.

— On va aller bavasser de tout ça chez elle, tranché-je et je me fais fort de dénicher un interprète.

— Et si elle te refile pas son adresse ?

— Tu oublies que j’ai son bigophone, Alexandre-Benoît.

Je trotte tuber aux services tandis que mon Sancho surveille la jolie demoiselle. Ils sont tous joyces à la maison Rebecca. Triomphants, les amours !

— Oh ! San-A., m’interpellephone le préposé, on vient de retrouver la DS noire que tu réclamais. Elle est stationnée dans la rue Tilante, juste derrière le Seigneurial Palace.

— Merci du renseignement, gloussé-je.

— On suppose que son passager n’est pas loin et on a établi une planque pour le cueillir…

— Vous supposez comme des dieux, applaudis-je, mais pour ce qui est de la planque, une civière suffira, vu que le gars est tellement clamsé que si on peignait son portrait, ça donnerait une nature morte !

Je lui résume brièvement les chapitres 3 et 4 de la troisième partie de cet ouvrage et lui réclame l’adresse correspondant au fil de la belle Allemande.

— Bouge pas, collègue, on va te trouver ça, promet-il.

Mais, sans tenir compte de son exhortation, je bouge au contraire. Mes cellules viennent d’avoir un sacré coup de chaleur au point que ma cervelle doit être meunière et qu’il ne lui manque plus qu’un peu de beurre noir et quelques gouttes de citron pour avoir l’air comestible.

Je me dis textuellement ceci, deux points ouvrez les guillemets :

« L’acolyte d’Hildegarde ne parle pas français. Or, puisqu’on t’a répondu en français au téléphone, c’est que t’avais bien Hildegarde à l’appareil.Vous me suivez bien, bande de noix ? J’sais pas si c’est une idée que je me fais, mais vous m’avez l’air tellement truffes par moments qu’on se croirait en plein Périgord ! Enfin, faites semblant de piger, ça me permettra de poursuivre pour les futés qui s’impatientent et qui sont allés fumer une cigarette dans l’antichambre de la page de garde. Je continue ? Bravo !

Hildegarde a répondu « NOUS arrivons. Or seule sa copine a rappliqué. Pourquoi ? Parce qu’en se pointant devant l’entrée privée du Seigneurial, elles ont vu la DS noire du frangin surveillée par des condors. Ça leur a donné l’éveil et seule la collègue est montée. Vous me comprenez, les lambins de la matière grise ? Je suis prêt à vous parier ce que j’ai en double contre ce que vous n’avez pas du tout que votre brave Hildegarde est à quelques encablures d’ici, au volant de sa tire, à guetter les abords et même les environs immédiats. Dites, sérieusement, vous prenez le pari ? Trop dégonflés, hein ? Vous savez que vous perdriez.

Tout à ma frénésie, je n’entends pas les vitupérations de mon correspondant dans l’appareil. C’est au moment de quitter le burlingue de Kelbel que je me ravise.

— Ouais ? grogné-je.

— Qu’est-ce que tu fabriquais, collègue ?

— Je réduisais une fracture à une mouche qui vient de se casser une jambe en tombant du plafond. Alors ?

— Je voudrais pas te vexer, collègue, mais c’était pas marle à trouver, ton Elysée, il est dans tous les bons annuaires…

Idiot à dire, mais c’était tellement simple que l’idée ne m’était pas venue de vérifier. Le numéro de bigophone de Mam’zelle Hildegarde me semblait être codé. J’avais l’impression qu’il fallait une grille pour découvrir à quoi il correspondait.

— Dis voir ? grincé-je, fou d’impatience à la pensée que Fräulein Mystère est peut-être en train de se débiner.

— La Galerie Chmoutz, boulevard Haussmann.

— Quel numéro ?

— Je peux pas te dire, y a une chiure de mouche mal placée sur mon annuaire, rigole mon confrère en raccrochant.

Béru tient notre prisonnière en respect.

Pas en grand respect à vrai dire puisqu’il se gratte le dargeot de sa main libre tout en l’admirant de ses beaux yeux en meurette.

— Je suis pas contrariant de nature, me dit-il, mais j’aimerais savoir ce qu’on fiche de tous ces macchabes et de toutes ces gonzesses, San-A. ?

— Continue de prier pour les uns et de veiller sur les autres, lui dis-je, et passe-moi ta rapière !

Il me laisse enfouir le revolver dans mon corsage.

— Tu vas au bal des Petits Pageots blancs, Mec ?

— Attends et ouvre l’œil. Fais bien gaffe à cette pécore surtout, tu sais que nos petites Teutonnes sont plutôt du genre espiègle ?

Je franchis la lourde et dévale l’escadrin en retroussant mes jupes pour aller plus vite.

La rue Tilante est cette petite voie bourgeoise qui part de l’avenue de droite pour aller au carrefour de gauche. Elle est bordée de grilles d’immeubles cossus et semble parfaitement quiète.

La DS louée par feu Frank Heinstein stationne pile devant l’entrée privée du Seigneurial. Evidemment, comme le copain projetait d’embarquer une malle lestée de nos carcasses, il tenait à s’économiser le trajet. J’ai deviné juste… Elle est bath, la planque des poulmen’s brothers. Pour la discrétion, faudra les peindre façon camouflage de para, les héroïques guetteurs. Je reconnais Dupied et Landoffé, deux navrants de la maison Bigorne. Leurs pardingues grisâtres, leurs cache-nez et leurs gants de laine, leurs chapeaux à petit bord relevé constituent pis qu’un uniforme. On saurait qu’ils sont flics, même s’ils se mettaient du déodorant aux pinceaux, avec un accoutrement pareil. C’est signé Parapluie, une doublette de ce cru ! Tout juste s’ils ne s’asseyent pas dans la bagnole pour être certains de ne pas manquer son conducteur. Deux sentinelles stoïques, plantées à chaque bout du véhicule, la goutte au nez et la mine si faussement innocente qu’on a envie de leur mettre une pancarte d’aveugle sur le baquet et de remplacer leur pébroque par une canne blanche, histoire de les rendre plus discrets, de mieux les incorporer dans l’anonymat, des les faire pénétrer dans le paysage à toute force. C’est en voie de disparition, le poulardin de cet acabit. Maintenant on les compte ; bientôt on les statufiera pour les exposer au musée de la Rousse. Ils seront sur des planches en couleur dans le dictionnaire de la Rousse, fatalement ! Une époque policière qui se meurt ! Tout meurt ! Les grandes figures, les autres… Les autres, ça coule tout seul, mais les grands, ça coince un peu au passage, la poulie des fossoyeurs gémit. Quand ils clabotent, on se dit que le monde va être mutilé. Et puis non, ça se cicatrise en vitesse. On les oublie aimablement, quels qu’ils aient été : Fausto Coppi, Kennedy, Jean XXIII, Laurel et Hardy, l’Aga Khan, Piaf et consorts, Piaf et consœurs… On les remplace, on s’en passe. Le grand prodige, c’est que tout le monde se passe de tout le monde. Tous les moments sont bons pour disparaître. Y a pas d’instants propices aux derniers instants. Embarquez ! Que ça soye de l’arrêt du cœur ou de la raie du cul, sublime ou honteux, c’est kif-kif bourricot. Et puis je débloque : une mort honteuse ça n’existe pas, comme n’existe pas un chagrin honteux.