— Juste ce qu’il faut pour vous exciter, belle enfant !
— J’aime bien votre cran, apprécie-t-elle.
Et alors, croyez-moi ou allez vous faire greffer un cou de canard à la place de votre ridicule fifrelin, mais la voilà qui m’embrasse. C’est osé, non, en un pareil moment ? Elle a lu Sade, cette nana. Elle l’a réinventé. Sa bibise, malgré ma situation critique, me file de l’émoustillanche dans la résidence surveillée. J’ai le perturbateur de draps de lit qui salue aux couleurs, l’erratum qui érectionne, le taratata qui contorsionne, le par-ci par-là qui participe, le fanfan qui tulipe, le d’artagnan qui darde, le bénévole qui bénéficie, l’oubangui qui charrie, le richelieu qui drouhose, le roux qui combaluze, et le tout à lavement.
Re-bisouille. Et attouchements hardis. Elle a une façon de vous statufier, cette dame, qui n’est pas dans une musette. La reine du ciment prompt ! La déesse du ciment armé ! Je me mets à croire, dur comme fer, à ses vertus aphrodisiaques. C’est Antinéa ! Elle aussi, elle collectionnait les matous et les déguisait en bibelots.
Je me demande où elle veut en venir. Elle ôte sa combinaison pour me le montrer.
Oh ! pardon ! Cette innovation, mes amis ! L’amour à la galérien : enchaîné ! Comme Prométhée, mais j’attends mon Héraclès. Elle prend mon passif à sa charge, l’incorpore dans son actif. Lavoir et le doigt ! Asseyez-vous, mademoiselle, vous êtes ici chez vous ! Et largue les voiles, y a de la houle ! Ça monte au sommet de la vague, ça redescend ! Ils sont tous de Belfort ! Vive les chevaux de bois, maman ! Encore quelques voyages et je suis à vous ! Oh la belle bleue ! Hausse-moi, que je voie la fusée volante ! Et ils rentrèrent tête basse ! Merci, Mam’zelle Hystéro, ça c’est du noble !
Quand sa séance de home-traînée, d’homme-traîneur est terminée, elle murmure, du même ton qu’elle a eu pour me demander si j’avais peur :
— Heureux ?
— Plus qu’infiniment, Hildegarde, c’est un beau cadeau d’adieu que vous venez de m’offrir là. Mon seul regret éternel sera de n’avoir pas pu faire rebelote.
Nouveau rire, presque amusé. Elle s’approche de son tas de ciment et le vérifie de la truelle.
— Pas encore à point, dit-elle.
— Alors, non contente d’être sculpturale, vous êtes en outre sculpteur, Hildegarde ?
— J’ai toujours aimé cet art.
— Mieux que l’amour ?
— Autant.
— Lequel des deux nourrit le mieux sa femme ?
Elle fronce les sourcils, mais son regard un bref instant courroucé s’apaise.
— L’amour, cher commissaire. Et ce sera toujours ainsi.
— En attendant que votre colle[61] soit prête, vous pourriez peut-être m’affranchir afin que je meure pas sans arrière-pensées.
— A quoi bon ?
— Vous n’aimez pas les cercles fermés, Hildegarde ? Ma vie, je l’ai consacrée à résoudre des mystères et à aimer des femmes. Vous m’avez déjà accordé de finir dans une merveilleuse félicité charnelle, allez jusqu’au bout de vos largesses et guérissez ma curiosité afin que mon moral ressemble à mon physique.
— Bavard ! me lâche-t-elle tout de go. Bavard de Français ! Que voulez-vous donc savoir ?
— Tout !
— C’est trop, je n’ai que deux ou trois minutes à vous accorder.
Le temps de confectionner un œuf coque à condition encore de l’aimer mollet.
— Mon enquête m’a appris que vous cherchiez un homme ? Un quinquagénaire ?
— Eh bien ?
— J’aimerais savoir de qui il s’agit ?
— Je pense que son nom ne vous dirait rien.
— Allez-y tout de même…
— Wolfgang Ster.
En effet, ce blaze ne me fait pas plus d’effet qu’une pilule purgative à une fosse d’aisance.
— Connais pas.
— Je vous avais prévenu.
— Et qu’a-t-il fait, ce gentleman ?
— Quelque chose qui n’est pas d’un gentleman, et qu’il a payé très cher…
— Quoi donc ?
Au lieu de répondre elle touille son ciment, comme un cuistot vérifie la consistance d’un soufflé.
Je comprends que mon heure a sonné. Et je pense qu’au lieu d’essayer d’apprendre la vérité, je ferais sans doute mieux de trouver un moyen pour me sortir du merdier. Seulement, avec les bras enchaînés dans le dos et les jambes entravées, un type, même puissant et ingénieux, est bon à nibe.
J’ai beau me trémousser des méninges, l’idée salvatrice tarde à jaillir.
— Ça va y être, apprécie Hildegarde.
— Qu’avait-il fait, votre Wolfgang, qui justifiât tout ce pastis, Hildegarde ?
— Il avait trahi honteusement la confiance du prince. Kelbel l’avait recueilli au Jtempal, à un moment où, comme beaucoup d’Allemands, Ster était traqué par les polices internationales…
Elle a un léger coup de nostalgie que je comprends, maintenant que je suis au courant pour son dabe.
— Pendant des années, poursuit-elle, il l’a royalement hébergé. Lorsque des troubles ont éclaté dans le pays du prince, ce dernier a confié une partie de sa fortune personnelle à Wolfgang Ster sous forme de diamants, pour qu’il les lui déposât dans son coffre, en Suisse…
— Et au lieu de remplir sa mission, Ster a fourgué les cailloux ?
— Vous avez deviné.
— Lorsqu’il s’est réfugié en France, le prince vous a chargée de retrouver le type en question ?
— Nous savions que Wolfgang ne se complaisait qu’en compagnie de prostituées.
— Et c’est dans ce milieu que vous l’avez cherché avec un acharnement qui vous honore, ricané-je. Vous avez vraiment la reconnaissance poussée à l’extrême pour embrasser cette profession, à moins que vous ne l’exerciez déjà ?
Elle rougit. Pourquoi, juste ciel ?
— Je l’exerçais déjà en Allemagne, avoue-t-elle, mais pourquoi parlez-vous de reconnaissance ?
— Parce que je suis au courant des relations qu’entretenait le prince avec Monsieur voue défunt papa.
Un cerne bleu souligne son regard battu.
— Il est temps ! dit-elle.
— J’ai encore plusieurs choses à vous demander…
— Dieu éclairera votre lanterne, commissaire !
Elle me fait pirouetter avec le pied. Me voici face contre terre. Alors, Hildegarde empoigne la chaîne de mes jambes et celle de mes mains et me soulève, vous m’entendez ? Vous mordez la force de Mademoiselle, dites ? Comme ça… Rrran ! D’une secousse… Je quitte le sol… Je me balance à vingt centimètres du plancher. J’essaie de gigoter, de me tortiller, mais elle tient bon. Je suis maintenant au-dessus de la statue qui va me servir de sarcophage. Floc, la môme lâche tout. Je m’estourbis dans la pierre taillée. Mon nez pète comme un marron trop cuit, ma bouche aussi, je mange mes dents, mes arcades cèdent. Je donne, malgré mon étourdissement, une violente secousse pour m’extirper de cette cavité. J’y parviens à demi, par l’hémisphère sud : heureusement qu’Hildegarde avait éteint mes ardeurs, sinon j’allais me déguiser Gugus en ressort à boudin ou en mètre pliant.
Je m’apprête à évacuer mon berceau de pierre (tiens ! c’est joli, ça), d’une deuxième secousse de l’hémisphère nord, lorsque je morfle sur la nuque un de ces coups de goumi qui comptent dans la vie d’un flic. Madonna, quelle vigueur ! On voit qu’il appartenait à une caste privilégiée, M’sieur Heinstein père, et que chez lui on ne pleurait pas l’huile de foie de merluche aux mouflets. Elle est biscoteautifiée, Hildegarde. Les poids et haltères, c’est son blaud. Je déguste sans bavure cette chiquenaude d’éléphant et je m’expédie dans le sirop pour affaire me déconcernant.
Du noir… Des cercles concentriques, comme dans la boutique des opticiens. Et encore du noir… Confusément je sens du lourd sur mes jambes, du visqueux, du mouillé, du gluant, de l’épais, du dense. Ça pèse de plus en plus. Ça s’étale. Ça me gagne, ça m’envahit, ça me submerge, ça m’engloutit. Elle est en train de cimenter notre amitié !
San-A. statufié !
Et de son vivant !
C’est exceptionnel, non ?