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Du noir… Des cercles concentriques, comme dans la boutique des opticiens. Et encore du noir… Confusément je sens du lourd sur mes jambes, du visqueux, du mouillé, du gluant, de l’épais, du dense. Ça pèse de plus en plus. Ça s’étale. Ça me gagne, ça m’envahit, ça me submerge, ça m’engloutit. Elle est en train de cimenter notre amitié !

San-A. statufié !

Et de son vivant !

C’est exceptionnel, non ?

5

DANS LEQUEL ON EN APPREND BEAUCOUP… ET DE BELLES !

Une immense rumeur…

Une rumeur qui n’est peut-être que le grondement de mon sang dans mes tuyaux ?

Non, puisqu’elle se précise. J’entends la voix altière du cher Béru. Ineffable musique ! Allons, fais un effort, San-A. ! Et soulève tes paupières cimentées pour, une fois encore, jeter un regard désabusé sur le monde. La mort t’emportera un jour. Mais plus tard. Mais ailleurs. Quand on perçoit l’organe du Valeureux, on n’est pas canné. Je rouvre mes beaux yeux si chargés de séduction que je suis obligé parfois de prendre un sac tyrolien pour les coltiner. Je suis toujours dans le local aux statues. Béru, lui, est toujours en slip. Crépi de ciment, ruisselant de sueur, il s’évertue sur mes chaînes, lutteur de foire superbe et infatigable. « Encore vingt francs, m’sieurs-dames et je brise la chaîne ! »

Il s’aperçoit que j’ai repris conscience et me vote un clin d’yeux. Se permettant une pause, il s’essuie le front d’un revers de bras sale, ce qui lui macule la devanture un peu plus.

— Je vais te dire, déclame le Puissant, c’est pas que t’as pas l’intelligence ; mais c’est la persévérance qui te manque.

— Qu’entends-tu par là ? soupiré-je.

— On se kidnappe une sœur chez le prince. Elle nous baragouine en chleu, je te suggérasse alors bêtement que peut-être elle pigeait pas le françouze et toi, aussi sec, tu décroches. Tu prends mon hypothèse argent comptant, San-A. Tu cherches et trouves son adresse, et tu nous moules comme des malpropres pour radiner ici où ce qu’on t’a fait ta joie de vivre dans les grandes largeurs ! C’est un peu braque comme système. Un peu cavalier !

— Tandis que toi, Grosse Pomme ?

— Tandis que moi, je prends mon temps, je suis un méthodiste, Mec. Mon côté terreux, probable. Seulement j’arrive à temps quand il faut arriver à temps !

— Raconte !

— La fille de chez le prince, Isabeau, elle s’appelle.

— Comment, le sais-tu ?

— Voyez méninges ! dit-il en se frappant le bocal. Dès que t’as été tiré j’ai voulu en avoir le cœur net qu’elle causait pas français. Alors je la biche au grand écart des autres et je lui chuchote :

— Maintenant que le boss est parti, si on conclurait un petit marché, vous z’et moi ? quèque chose comme un gentelman agrémenté.

Du beurre, mon pote ! Du Beurre ! Un vrai velours ! Elle a pas pu résister à la tentation. La v’là pour le coup qui se met à déballer un français que le mien, à côté, ferait presque pas sérieux.

— Qu’avez-vous à me proposer ? elle demande.

— Ça pour commencer, hypocrite ! je lui rétorque en lui assaisonnant une baffe pour grande jeune fille.

Le Gros s’acharne sur mes entraves.

— Tu me connais ? enchaîne-t-il tout en me déchaînant. Je suis le bon garçon, serviable et plutôt galant, mais quand la rogne s’empare, je me connais plus. Tous ces meurtres, tous ces attentats : à la matraque contre Laurentine, à la mitraillette contre nous deux, à la pudeur contre Berthy, ça m’avait dégoupillé l’hépatique. En plus, de constater que cette garcerie de fillasse venait encore de nous chambrer, ça m’a congestionné. J’ai vu rouge, quoi !

— Et alors ?

— Alors la môme est à l’hosto, ellipse-t-il. Mais avant son admission, elle a craché ce qu’elle savait, je te le jure, depuis son nom, son adresse et en continuant par le reste.

Mes chaînes de mains tombent, vaincues par la poigne béruréenne. Quel cadenas saurait résister à la vigueur du cher A.-B. ?

— Tu fusses été là, reprend le Fameux, recta tu m’empêchais de la cuisiner façon Béru, vu que tu seras toujours bécasson avec les sœurs bien roulées et qu’ont l’œillade en grain de courge. Moi, ce que j’ai besoin, c’est de mes coudées franches quand je suis en interrogatoire. Chez le prince j’ai pu prendre mes zèzes, laisser galoper mon imagination.

— Bref ?

— Bref toi-même ! s’insurge mon ami. Je radine ici comme Zorro pour sauver la fille du shérif qu’est ligotée sur la voie du train sibérien, et tout ce que tu trouves à me remercier, c’est bref !

M’est avis, qu’il subit un coup d’orgueil, le Gros. Les lauriers de sa victoire lui chauffent la rotonde. Va falloir l’anoblir, le convoyer d’urgence sur la Chambre des pairs, ou sur celle des paires ; des pairs d’Angleterre ou des paires de couilles (c’est souvent du kif).

— J’ai hâte de savoir, m’excusé-je…

— Ce qui m’a chauffé à blanc contre elle, poursuit le Mastar, plein d’indulgence, en s’occupant de me déferrer les nougats, c’est sa malveillance en ce dont qui concerne mon oncle. Moi, tu me connais ?

— Oui, Béru, soupiré-je, je te connais, de haut en bas, de l’intérieur et de l’extérieur, de gauche à droite et en diagonale, mais je t’en supplie, raconte de façon cohérente, j’ai la comprendette qui fait roue libre à t’entendre vagabonder de la menteuse !

— Ce que t’as aussi qui te jouera toujours des mauvais tours, c’est ton impatience, sermonne-t-il.

Dites, les beautés, comme revue de détail de mes défauts, ça se pose là ! Il a entrepris le grand ramonage de printemps, Bérurier.

Pourtant, se léchant la sueur qui lui perle dans le goulet de la lèvre supérieure, il continue.

— Figure-toi que Kelbel était un copain du père nazi d’Hildegarde… A la fin de la guerre, il a sauvé la mise du gars ainsi que d’un autre dont je me rappelle plus le blaze…

— Wolfgang Ster, dis-je.

— Oui, c’est ça, paisible-t-il.

Puis il fait un double look à la Laurel et Hardy et s’égosille.

— Comment t’est-ce que tu sais ça ?

— Parce que je ne suis pas aussi truffe que tu parais le croire depuis un moment ; vas-y, poursuis !..

Le cœur n’y est plus. Je lui ai fauché l’allégresse. Coupé net l’avide bonheur de révéler.

— Donc, fait-il, le type en question, comment déjà ?

— Wolfgang Ster.

— D’accord. Le Gangster était pote au prince. Quand la révolution a éclaté au Jtempal, Kelbel lui a remis des diams…

— Pour qu’il aille les déposer dans un coffre en Suisse, mais Wolfgang a préféré les sucrer pour son compte !

Il sévérise tout de go :

— T’es décourageant, Mec. Si t’es au parfum, dis-je, pas la peine que je te joue mon concerto pour nouilles aux œufs frais si tu le connais par cœur !

— Là s’arrêtent mes connaissances, le libéré-je, à partir de dorénavant, ce que tu vas dire, c’est de l’entièrement neuf, du bénéfice net pour toi !

Ça le requinque.

— Gis go ! Le prince est flouzé et, qui plus est, détrôné. Le v’là qui radine à Pantruche. Il a prévenu la fille de son camarade Heinstein qu’est prostipute à Hambourg. Elle radine pour l’aider à retrouver l’arnaqueur, lequel se planque sous des faux blazes, vu qu’il est recherché pour nazisme. Ce zig, c’est un amateur de pétasses. D’où l’esploration des différents points de prostitution de Paris par Hildegarde, tu suis ?

— Je !

Il m’ôte ma seconde chaîne. Quand y a plus de chaîne, y a du plaisir. Je me fais jouer les muscles, les articulations, les membres…