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— Regardez bien, nous lance Alvarez. Le dromadaire marche en se dandinant. Il faut donc, pour ne pas être déséquilibré, épouser le balancement en se rythmant soi-même, comprenez-vous ?

— Faites voir, dis-je, je vais essayer.

Je crie « Youpi » à l’un des bossus. Pas contrariant, il s’affale. J’imite en tout point la manœuvre exécutée par Alvarez. Au moment du « Yé-yé » je ne me sens pas très fiérot. J’ai l’impression d’être emporté par un coup de vent. Mes jambes battent le vide, à gauche, puis à droite, mais j’arrive à préserver mon équilibre. Je donne un coup de rêne et le dromadaire marche. Un sacré roulis, les gars ! Le voyage à bord du « Vermicelle », c’était zéro en comparaison.

Mais j’ai idée qu’on doit s’y faire assez facilement.

— Et pour arrêter ? demandé-je à Alvarez.

— Pour arrêter, me répond Pinaud, tu tires sur les brides de manière à lui faire baisser la tête.

Je regarde : Pinaud est sur sa monture, lui aussi, plein d’aisance.

— Mais tu nous avais caché ce talent de société, fais-je au croulant.

Il hausse ses épaules de cigogne ;

— Les tirailleurs…

Bérurier est épanoui.

— J’ai idée que ça n’a rien de duraille cette combine, affirme-t-il. Là où ce que Pinaud passe, je dois passer !

Il choisit sa monture tandis que je saute de la mienne afin de ne pas laisser à Sirk la possibilité de se débiner.

— Je vas prendre çui-là, décide-t-il en désignant le plus gros.

Il en fait le tour, le palpe, l’examine avec la circonspection d’un vétérinaire.

— Les pneus sont bons, fait-il en soulevant une patte du ruminant.

Le dromadaire laisse retomber son pied sur celui de Béru, lequel étant chaussé de babouches, pousse un hurlement et donne un coup de poing rageur dans les flancs de l’animal. Le dromadaire blatère une protestation et virgule à son futur cavalier un regard pas si morne que ça !

— Avec moi, mon lapin, décrète Béru, faudra voir où c’est que tu poses les pinceaux parce qu’alors c’est pas avec Azur, mais avec de l’azur que tu feras le plein la prochaine fois.

Après quoi, l’incident passé, le Gros poursuit son exploration.

Tâtant la gibbosité de son véhicule il assure « Ça manque de rembourrage mais c’est assez bien suspendu. »

Ensuite il passe aux jarrets. « Les bielles sont costaudes »… Il flatte la croupe « Quant à ce qui est d’à propos de la carrosserie, elle me paraît résistante.

— Combien ça vaut un machin comme ça ? demande-t-il à Alvarez.

— Cinq cents brakmarh, révèle notre hôte. Mais ça dépend de l’année. Ça c’est le modèle 62. On trouve des 56 en parfait état… de marche pour moitié prix.

— Si je saurais, dit le Gravos, j’en emmènerais un en rentrant. Pour la campagne, c’est chouette. Tu te figures quand j’irai passer les vékendes chez ma belle-sœur à Nanterre ?

— Tu porterais un coup fatal à Barnum, Gars ! Allez, assez de blabla, en selle !

Béru retrousse sa gandoura.

— Comment que c’est, déjà, le mot de passe ?

— Youpi !

— Ah ! c’est vrai.

Il hurle « Youpi » et son dromadaire s’agenouille. Son Ampleur prend place à bord du vaisseau du désert.

— Yé-yé ! mugit-il.

Las, le dromadaire se relève et Béru culbute sur le sol de terre battue.

Il en est tout étourdi, le pauvre bonhomme. Une bosse auberginesque dilate le sparadrap qui lui barre le front. Il se redresse en chancelant.

— M’est avis qu’il a voulu me jouer un tour de vache, ce chameau-là ! déclare-t-il, je vous dis que c’est un vicelard.

— Vous n’avez pas manœuvré comme il faut, assure Alvarez que notre numéro commence à ne plus amuser. Les jambes croisées, comme ceci ! Le buste corrige le mouvement de bascule.

Ses valets aident Béru lors de sa seconde tentative. Le Gros finit par se trouver luché sur sa monture, pas rassuré.

— Tonnerre de pipe, ce que son cou est loin ! grommelle le méhariste néophyte. Ce serait un cheval je pourrais m’y cramponner mais avec c’te fosse d’orchestre qui nous sépare, y a pas mèche.

Le morceau de bravoure, c’est quand le dromadaire commence à déambuler. Béru, sur son bourrin des sables, il ressemble à un cachalot dans une chaloupe ! Cramponné aux brides, les jambes pressées contre l’encolure du dromadaire, le corps boulé sur sa selle, il nen mène pas large.

Au tour de Sirk, maintenant.

— Jamais je n’arriverai à me tenir là-dessus, fait-il irrévocablement.

— Allons donc, gouaillé-je, toi, un enfant du pays ! Le dromadaire, Sirk, c’est comme la bicyclette, ça ne s’oublie pas !

Mais il secoue la tête.

— N’insistez pas, commissaire.

Oh ! que si ! J’ai ma manière à moi d’insister. La bonne, quoi !

— T’as vingt secondes pour faire à dada de ton plein gré, Hamar, déclaré-je tout net. Au bout de ce laps de temps, si tu n’as pas pris place à bord de ton Alfa-Roméo je te fais attacher à ta selle, vu ?

Les mâchoires crispées, l’œil mauvais, il grimpe sur la selle. Les aides l’assistent, comme ils ont assisté Béru.

— Maintenant, cramponnez-vous, messieurs, fais-je. On va aller peinardement pour débuter. Pinaud se tiendra aux côtés de Béru, et je marcherai près d’Hamar. Le cinquième dromadaire, le colporteur, est attaché à la monture de Pinuchet.

Je serre la main potelée du maître-écuyer Alvarez.

— Merci de tout cœur, mon bon ami.

Il m’adresse un coup d’œil significatif et m’entraîne à l’écart. Je le vois décrocher à un clou une sorte de grande outre dodue. Un système de pression permet d’en arracher la peau sur une des faces. À l’intérieur, bloqué dans une armature en matière plastique souple, se trouve un petit poste émetteur.

— De la part du Vieux, fait-il. Vous pouvez appeler le matin à dix heures, tous les jours.

J’adresse une nouvelle pensée attendrie au tondu qui, tout là-bas, dans la grisaille parisienne veille à tout avec un pareil luxe de détails.

Alvarez me passe la bride de l’outre sur l’épaule.

— Avec vos cavaliers, je ne vous vois pas très bien parti, me dit-il franchement. Enfin, que Dieu vous garde, señor commissaire !

CHAPITRE V

La frontière du Kelsaltan se trouve à quatre heures de dromadaire et à trois mois de voiture de Béotie. Cela pour la bonne raison que, pour l’atteindre, il faut parcourir une quinzaine de kilomètres dans le sable poudreux.

Le plus duraille, croyez-moi, — et si ne m’en croyez, allez vous faire cuire autant d’œufs que votre foie atrophié peut en supporter — le plus duraille, répété-je, ce sont les cent premiers mètres. Le gros tracas vient du gars Bérurier. Douze fois il dégringole de son vaisseau du désert. Douze fois, je suis obligé de descendre pour l’aider à se jucher sur son dromadaire, lequel a nom Anon. C’est une vraie sinécure. À la fin, je finis par l’arrimer sur sa selle avec des sangles et c’est alors qu’il prend le mal de mer, mon Intrépide ! Lui qui brave les tempêtes, sur la bosse de son ruminant il chope la nausée.

On pourrait nous suivre à la trace.

Et quelles traces, mes pauvres amis !

Il est jaune comme un canari, le Gonflé. Il tangue misérablement sur Anon et bredouille entre deux fusées que la vie n’est plus possible et que si l’on avait un chouïa d’estime pour lui, on se grouillerait de lui filer une praline dans le bulbe, manière d’abréger ses souffrances.