Et je fais un signe éloquent à la Vieillasse pour lui demander de veiller au grain.
Pendant leur absence, le Gros (enfin réveillé) et moi, mettons au point notre spectacle du lendemain. Car il y a cela à quoi il faut songer. Nous sommes ici en qualité d’artistes. Nous devons exécuter un numéro.
Béru calme mes craintes.
— Ne t’occupe, Gars. Je vais faire une démonstration de catch qui fera tout le succès de la soirée.
— À condition que tu aies un partenaire ! objecté-je au modeste.
Il secoue vigoureusement ses — précisément, vigoureuses — épaules.
— C’est pas les partenaires qui manquent, dans ton palais des mirages, Mec.
Pour plus de sûreté, comme on dit à la P.J., je demande audience au souverain. Il nous reçoit pendant son petit conseil.
Je suis confus de pénétrer dans cette salle où s’organise la vie de l’émirat. Il y a là le président du conseil des sages : le grand Jmèmeti avec son gonfleur d’applaudimètre particulier, le gros Pomppi, surnommé le doux par opposition à son prédécesseur qu’on avait sobriqué l’amer. Ont pris place également autour du tapis (d’Orient) vert, Ben Jiskar, le secrétaire d’état à l’indigence ; Pie-Z’Allhé, le ministre des sables et cactus ; Malchnouf, l’emballeur de Vénus de sa majesté ; plus le vice-sous-secrétaire d’État à la sécheresse ; plus le colonel Ganache, attaché par les pieds à la maison personnelle de l’émir ; ainsi que l’intendant général des feuilles de rose et l’amiral Mar-El-Delplata, commandant en chef de la mer de sable. C’est vous dire si je suis impressionné.
Lorsque les présentations sont achevées, je dis à Obolan ce qui nous amen.
— Vous tombez comme jeûne pendant le Ramadan, déclare sa Gracieuse Majesté. Justement, nous étions en train de régler les festivités de demain.
Je me permets de lui demander quel sera le déroulement desdites. Il m’apprend que le matin, à partir de onze plombes il y aura corso fleuri. Puis déjeuner en plein air. Ensuite sieste. À quatre plombes, les vraies festivités démarreront.
Il a déjà à son programme un dompteur de serpent à lunettes, le célèbre Ben Lissak. Puis un ballet de filles nues arrivées du sultanat de Kelkroupkellha.
Un mangeur de feu et un montreur de photos pornos complètent sa distribution. Par conséquent, il compte sur nous pour donner du corps à ce spectacle.
— Mon collègue que voilà, dis-je, en montrant Ben Béru, est soucieux. Il voudrait avoir des partenaires à la hauteur pour son exhibition de catch.
— Qu’à cela ne tienne, déclare Obolan, superbe.
Il s’adresse à Abdel-huèner, son ministre des loisirs et de la prostitution réunis.
— Cisavapha fricsionla ! lui dit-il.
L’interpellé touche son front, sa bouche, sa poitrine, son nombril et s’abîme dans d’intenses réflexions. Lorsque la fumée de son cerveau surmené commence à lui sortir par les narines, il répond.
— Fopapou cépapa danlézorti !
Approbation de l’émir.
— Le nécessaire sera fait, promet-il. Votre ami aura son adversaire.
Nous nous inclinons et sortons.
Lorsque le soleil commence à rougir le sable à l’horizon, à l’heure où le chacalot (ou petit chacal, ne pas confondre avec le cachalot) jappe pour appeler sa maman aux pis gonflés, Pinaud et Sirk rentrent au palais.
Il semble joyce, le père Pinuche.
— T’as du neuf, Vieillard ? je le questionne.
— Et du raisonnable, fait-il.
— Raconte.
— Figure-toi, commence-t-il, que nous avons demandé des tuyaux à des soldats, ceci afin de ne pas éveiller de soupçons, justement. Le militaire qui nous a renseignés était un garçon bien de sa personne, à la mine éveillée et au sourire engageant. On sentait, rien qu’à le voir, qu’il…
— Je ne te demande pas de me raconter sa vie, Pinaud.
Sirk, agacé, prend le crachoir.
— Nous savons où se trouve le bâtiment des communications télégraphiques. Il est juste derrière le palais, sur la hauteur. Une demi-douzaine d’employés s’y roulent les pouces et une sentinelle monte la garde devant l’entrée.
— C’est tout ?
— Absolument tout. Seulement il y a un hic : les particuliers ne peuvent utiliser ce centre. Il appartient à Sa Majesté l’émir. Si un commerçant de la ville a un message à adresser, il doit confier celui-ci au ministère de l’intérieur qui lui donne ou non avis favorable.
Je fronce le nez. Le message que je voudrais expédier n’est pas soumettable aux services du gars Obolan, vous l’avez déjà deviné, non ?
— Il est comment, ce bâtiment ?
— Assez simple, fait Pinuchet, qui sait lire parfois dans le fond de ma pensée aussi bien que Mme Irma dans le marc de caoua.
— Des barreaux aux fenêtres ?
— Oui.
— Plusieurs entrées ?
— Deux. Les employés habitent la construction.
— Très bien, nous verrons, le moment venu, la meilleure manière de procéder.
Je suis commak, les gars. Je compte toujours sur l’inspiration. Jusqu’alors, vous le savez, elle ne m’a jamais fait défaut. Le propre de la vie c’est d’être mouvante, malléable, façonnable. Sa consistance change d’une seconde à l’autre. Peut-être que ça provient des conjonctures astrales, je ne vous dis pas le contraire. En tout cas, chaque instant exige une recette particulière. Vous mordez ? Hé ! Je vous cause ! Soyez pas toujours dans le cirage, mes lapins.
Y’a des moments, franchement, c’est fou ce que vous me faites de la peine. Vous êtes plus dans le circuit. Vous coltinez votre pauvre destin comme un boy-scout son sac tyrolien, en oubliant un peu de vivre. C’est glandulaire ou quoi ? Y a des pilules pour votre cas, mes Fils. Le salut, il est chez votre pharmago habituel. Faites un traitement, et quand vos cellules grises auront eu droit à un bon rodage de soupape, dites-le-moi, qu’on essaie de rigoler ensemble au moins une fois. D’ac ?
On achève la journée par un solide galimafrage.
Et chacun regagne ses appartements.
Il fait doux.
Ah ! la puissance lénifiante des nuits kelsaltipes !
Un clair de lune couleur de-ce-que-vous-voudrez — pourvu — que — ça — soit — jaune se faufile dans ma chambre, polisson !
Je me tourne et me retourne sur mes moelleux coussins en pensant à des trucs rigoureusement étrangers à ma mission. Il se dit, votre fougueux San-Antonio, que ce genre de mission manque de bergères. Voilà un bout de moment que j’en ai pas cramponné une dans mes bras et je commence à avoir de l’amertume dans le bas-ventre.
Quand on pense, que juste au-dessous de moi, il y a le harem de l’émir Obolan, mieux achalandé que les Galeries Lafayette ; admettez que ça fait frissonner l’honnête homme en parfait état de marche, hein ?
J’essaie de fermer les yeux et de m’abandonner au sommeil. Y a pas mèche. La nuit d’Arabie me porte aux nerfs, à la peau, partout.
Les solides ronflements des autres ne m’encouragent guère à les imiter. Ce que ça peut être hideux, le sommeil. Ce coma bruyant, torturé, cette bête inconscience m’effraient. C’est ridicule. C’est pitoyable. L’homme est fait pour rester éveillé et pour mourir. La part du feu qu’est le pageot, je voudrais pouvoir la supprimer. Toujours conserver son self-control, ne plus être un homme de quart, parmi tant et tant d’autres, mais un homme d’entier, ça devrait être bath il me semble.
Pas un souffle. De l’extérieur me parviennent des senteurs de plantes opiacées qui m’émoustillent davantage.
Et brusquement, je me dresse, le cœur en surmultipliée. J’ai la certitude fulgurante qu’il y a quelqu’un dans ma chambre.
Effectivement, une silhouette est debout près de la porte.