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Je porte la main sous mon oreiller, là où j’ai planqué mon canif-campeur.

— Chut ! me module-t-on.

La silhouette s’avance et pénètre dans le rayon de lune. Alors là, mon palpitant qui faisait du trot attelé pique un grand galop lorsque je reconnais Lola, la favorite de l’émir.

Dans sa grande sagesse flicarde et franco-cartésienne, il se dit, votre San-A. que si un locdu quelconque découvre la présence de cette souris dans ma chambrette de garçon, j’aurai droit à un siège tellement pointu qu’il me remontera jusqu’au gosier.

Par ailleurs, cette présence féminine me fait trouver bon la vie.

Lola vient s’asseoir au bord de ma couche. Maintenant je me félicite d’être cerné par les ronflements tumultueux de mes camarades. Le fracas de cette bataille nasale couvre le chuchotement de la fille, car elle me cause.

— Vous êtes français, n’est-ce pas ?

Elle s’exprime dans la langue de Victor Hugo, de Balzac et de Georges Simenon (lequel est également connu sous le pseudonyme de Balzac 00.02) sans le moindre accent. Ou plutôt si ; elle en a un : l’accent parisien.

— Quelle idée, ma belle ! je lui gazouille.

— Je le suis moi-même, fait-elle. J’habitais rue du Chemin-Vert.

Une nostalgie de Paris chante en moi sa musique accordéoneuse et tristette. La rue du Chemin-Vert… : Les Grands Boulevards… La Bastille…

— J’ai tout de suite reconnu Sirk Hamar, ajoute-t-elle.

— Quoi ?

Je veux bien que l’Arabie soit le pays des sortilèges, mais admettez qu’une pareille déclaration couperait les bras à un eunuque !

— C’est à cause de lui que je suis ici, dit Lola.

Et la gente enfant me raconte son histoire. Comme elle doit me la chuchoter, elle est obligée de se blottir tout contre moi. Une merveille de cette qualité, blottie contre moi, ça crée non seulement un courant de sympathie, mais en plus un courant à haute tension, vous pigez ?

Elle était secrétaire chez un coulissier. Un jour, elle est tombée amoureuse d’un beau garçon qui se prénommait Rodolphe, comme dans Eugène Sue, mais qui jouait les Jules, nonobstant son prénom ronflant. Il appartenait à un gang dirigé par Sirk Hamar. Il a fait croire à la gosse qu’il lui payait un voyage de rêve au pays des feuilles de roses en bâton. Rodolphe était censé partir le premier pour affaires. Lola devait le rejoindre. Quand elle s’est pointée à Beyrouth, une belle bérouthe l’attendait, qui lui a fait prendre un deuxième zinc pour le Kelsaltan. Ensuite, c’était râpé. Des messieurs (et des dames) extrêmement documentés l’ont séquestrée pour lui apprendre l’amour oriental. Au début, fatalement, réalisant ce qui lui arrivait, elle a regimbé, la pauvrette. Mais les coups de fouet se sont mis à pleuvoir dru. Y a que le premier pas qui coûte. Comprenant que la seule manière d’adoucir son sort était de jouer le jeu, elle s’y est piquée (au jeu) et elle a vite obtenu sa licence de licence. Elle s’est même payé le luxe de sortir première de sa promotion en décrochant le prix du Harem général.

Obolan, qui renouvelait son stock de femmes, l’a achetée et, devant sa science, en a fait sa favorite. Voilà !

Triste histoire, on en conviendra, mais que peu de femmes ont vécue.

Un silence suit cette pénible confession. Je le mets à profit pour rouler à Lola une galoche princière.

— Tu devrais me montrer un peu ton catalogue, ma petite compatriote chérie, sollicité-je de sa haute bienveillance.

— Ne sois pas impatient, mon chou, qu’elle répond. J’en ai autant envie que toi. Un Français ! Je croyais que jamais plus je ne pourrais en embrasser un.

Elle combat son pessimisme par un mime humide qui me permet d’admirer la voie lactée en Gevacolor et sur écran panoramique. Y a la Croix du Sud qui étincelle et la Grande ourse qui vient lui faire une petite visite.

— Je crois que j’ai tout compris, murmure Lola.

— Qu’as-tu compris ?

— Tu es un type du deuxième bureau, n’est-ce pas ? C’est à propos de l’avion, que tu enquêtes ?

J’en suis abasourdi.

— C’est ton petit doigt polisson qui t’a dit ça, ma poule ?

— Oui. Tu as amené ce saligaud d’Hamar parce qu’il parlait notre langue, vrai ou faux ? Et comme vos précédents envoyés n’ont pas rejoint leurs bases vous vous êtes déguisés…

— Continue, tu m’intéresses, Lola.

— C’est tout. Je suppose que tu recherches les deux gars prisonniers ?

Eh bien ! en voilà une qui a touché sa ration de méninges à la distribution et qui sait s’en servir.

— Ils le sont toujours, prisonniers ?

— Je pense…

Je bondis :

— Et où sont-ils détenus ?

— Dans les prisons spéciales, je suppose.

— Lesquelles se trouvent ?…

— Je te montrerai.

Je la saisis par la taille.

— Quand ?

— Demain, pendant la fête. Mais à une condition !

Prêt à tout, le San-A. Quand il a un cataplasme de pin-up sur la poitrine, il vendrait la Chambre des Députés avec son contenu au premier chiffonnier venu.

— C’est accepté, ma gosse.

— Quand tu repartiras, tu m’emmèneras avec toi. J’étouffe dans ce palais. Je n’en peux plus.

— Je te promets, petite Lola.

Elle me récompense par un bouchaboucha pompeur.

— Dis-moi, l’interrompais-je, les deux hommes blonds qui habitent chez Obolan, ce sont des Russes, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Que cherchent-ils, à l’emplacement de l’atterrissage ?

Elle secoue la tête.

— Je l’ignore. Je ne sors jamais et je ne sais rien de ce qui se passe en dehors du palais.

Nous nous en sommes assez dit comme ça. Maintenant nous devons nous en faire.

Et nous nous en faisons.

Elle me révèle le coup du rossignol dans le rosier sableux, ensuite c’est l’arabesque fantôme, le shâh persan, le shâh persé, le raton-baveur, le croissant de lune dans le train ; le train des équipages dans la lune, si-tu-n’en-veux-pas-je-la-remets-dans-mes-fèzes et, son morceau de bravoure : la nuit des rois sur le mont Chauve.

Bref, lorsque la gentille enfant me quitte, silencieusement, comme elle est venue, je me dis qu’après tout le sommeil a du bon pour l’homme qui a su bien remplir sa journée, sa mission et ses devoirs de mâle.

— À demain, toi sans qui l’amour ne serait que ce qu’il est, lui dis-je. Dès que mon numéro de tir sera fini, on se retrouvera ici.

Elle acquiesce et me dit, tendrement :

— À demain, Paris !

C’est gentil, non ?

CHAPITRE XII

Paris !

C’est le mot qui me vient à l’esprit au réveil. Je suis éberlué par cette nuit d’ivresse. Si je m’attendais à une belle partie galante ! Oh ! non, je jure, ma vie est tellement pleine d’imprévus que je vais sûrement avoir un excédent de bagages à payer. Cette Lola, vous parlez d’une ravageuse de sommiers ! Quelle technique ! Quelle science ! Quels dons ! C’est vachard, ce qui lui est arrivé, mais ça lui a permis de réaliser les qualités secrètes qu’elle possédait. Grâce à la bande Sirk Hamar, elle a pu les développer. La mise en exploitation, c’est un truc délicat. C’est pas le tout de dénicher un gisement de pétrole dans son jardin : faut le mettre en valeur.

En apercevant Sirk, j’éclate de rire.

— Qu’est-ce qui vous amuse ? bougonne-t-il.

Je m’apprête à lui parler des fantaisies du hasard, mais je me ravise. En me farcissant Lola, j’ai commis un crime de lèse-majesté. Je suis passible du pal et de l’ablation des amygdales sud. Supposez qu’Hamar joue au comte et qu’il aille glavioter le morceau à l’émir ? Vous l’imaginez, votre San-A. bien aimé, déguisé en girouette ?