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— Rien de particulier, réponds-je. Je suis joyce parce que c’est la fiesta. J’ai jamais pu résister à la magie des kermesses, mon petit gars.

Il hausse ses vigoureuses épaules.

— Je vous trouve plutôt optimiste dans votre genre.

— L’optimisme, Sirk, c’est la santé de l’âme.

— Dites voir, murmure-t-il, pour faire mon numéro de prestidigitation, j’aimerais être masqué, c’est pas incompatible, non ?

Je le défrime suavement.

— C’est pour corser le mystère ou pour te tenir la bouille au sec, bonhomme ?

— Y a rassemblement de trèpe au palais et je ne voudrais pas être reconnu de certaines gens qui probablement s’y trouveront.

— En ce cas, tu as raison : masque-toi.

Ces fêtes démarrent dans la liesse.

On espérait un peu de pluie pour ajouter à l’ambiance, mais on n’a pas vu de nuage dans le pays depuis le règne de l’émir Ador. Qu’importe. Le soleil, on s’y accoutume, à la longue.

Le grand boss du Kelsaltan, l’iman Komirespyr, est là avec sa garde personnelle et sa suite (plusieurs lignes groupées). C’est dire si l’émir Oton, l’émir Akulé, l’émir Ab El, l’émir Ifik, et le plus vieux d’entre eux : l’émir Liton ont également répondu présent à l’appel.

Quel faste ! Ils ont amené leurs plus beaux atours, leurs plus beaux larbins, leurs plus belles femmes.

L’un s’est radiné à dromadaire, un autre à dos d’éléphant, un troisième en jeep, un quatrième à cheval et l’iman a pris son avion personnel : un Rivoire et Carret 1925 à hélice bi-convexe et moteur Bozon-Verduraz. L’appareil offre ceci de particulier, c’est qu’il ne comporte qu’un seul siège : celui de l’iman, sa suite voyageant debout par déférence, y compris le pilote.

Autre particularité, le siège en question est une lunette de water-closet car l’iman a peur de l’avion, ce qui lui provoque des troubles intestinaux. Naturellement la lunette en question est en platine et son abattant en or massif, vous aviez rectifié de vous-même je n’en doute pas.

Le palais s’emplit d’une rumeur joyeuse. Les couloirs sont investis par une foule chamarrée, jacassante et rieuse.

Béru considère ce brouhaha, s’ébroue et fait « haha »[11].

— Quand je vais raconter tout ça à ma Berthe, s’extasie-t-il, elle va croire que je lui bonnis l’histoire de Paladin et de sa loupiote magique !

Le défilé est inoubliable.

— Quel dommage que j’aie pas pris mon Kodak ! se lamente Pinaud. J’aurais fait des photos couleur que j’eusse pu revendre à Match !

C’est la cavalcade du Barnum Circus. En plus chatoyant.

Le banquet en plein air qui suit dans les jardins du palais (lesquels se nomment les jardins de l’Avhanbrâ) relève de la superproduction américaine. On y croque des moutons entiers arrosés de piment. Des baladins grattent le trou de leur luth en psalmodiant des mélopées d’Eraste.

Des boys déguisés en eunuques agitent de longs éventails arrachés à des dargeots d’autruches pour rafraîchir l’assistance.

Ils n’ont peut-être pas inventé la poudre, mais ils ont l’art et la manière de chasser les mouches. Car elles sont intrépides, ces mouches kelsaltipes. Un arrêté émirial leur interdit l’accès du palais, mais elles n’en tiennent aucun compte, les goulues.

Tout le monde baffre et rote. Les plus rapides émettent déjà d’autres incongruités. On galimafre avec les doigts. La graisse de mouton dégouline aux commissures des lèvres !

Ce sont en général des commissures de peau lisse[12] car messieurs les émirs sont du genre grassouillet.

Plus les notables sont notoires, plus ils bouffent comme des sagouins. Le tout-Aigou à un méchoui est presque plus dégueulasse à regarder que le Tout-Paris à un lunch.

Tous les affamés, les traîne-babouches, les clodos, les sous-alimentés, les disgraciés, les mutilés (de l’El Seneur), les chômeurs, les handicapés, les affligés, se pressent contre les grilles et tendent des mains avides qu’ils retirent à vide car personne ne se soucie de leur jeter des reliefs. Les chiens sont là pour déguster ce qui est dédaigné par les convives. Lorsque les implorants implorent trop fort, des gardes à l’extérieur leur administrent de larges et généreux coups de fouet.

Depuis nos fenêtres, nous considérons cet affligeant spectacle.

— Si c’est pas honteux, s’indigne Pinaud. Pourquoi ces gens ne se révoltent-ils pas ?

— C’est pas dans leurs moyens, Pinuche, je lui réponds. Faut quinze cents calories pour faire une révolution, et eux sont bien loin de les avoir…

Pendant l’heure sacro-sainte de la sieste, je mijote mon plan de bataille. Je peux avoir besoin du Gros, pour ce qui se prépare, par conséquent, c’est lui qui ouvrira la séance. Il passera en levée de rideau et moi je me produirai tout de suite après. De cette façon, nous aurons un moment assez long pour visiter les oubliettes. J’espère que tous les gars du palais assisteront (Basses-Alpes) de près ou de loin au spectacle.

À trois plombes, je secoue mon compère.

— Mets-toi en tenue, Béru, ça va être à toi de jouer.

Il grogne, se gratte l’abdomen et se lève en gémissant.

— Ma tenue, dit-il, elle est pas dure : je reste en slip.

Il prend une bouteille d’encre et une autre de teinture d’iode. Nanti d’un tampon d’ouate, il constelle son Éminence (qui en possède pourtant une belle quantité) de taches ocres et de taches noires.

— Je le léoparde, m’explique le Gravos, ça fait plus lutteur, tu saisis l’astuce ?

— Ah ! le complimenté-je, le Système D. n’a pas de secret pour toi, Béru. Tu le hausses au niveau des sciences exactes.

Content de lui, il réclame une bouteille d’huile et s’oint de lard. Après quoi, il opère quelques exercices d’assouplissement.

— Bon, paré, dit-il. Je suis bien en jambe, bien en souffle et mes mécaniques ont jamais z’été plus rodées.

Il descend dans le jardin où va avoir lieu la représentation et se présente sur la piste préparée pour les numéros, d’une démarche noble et lourde de gladiateur.

Tout le monde est là.

— T’as pas trop le trac ? je chuchote au Mahousse.

Il me regarde avec stupeur.

— T’es louf ou quoi, San-A. ? Le trac, moi ? T’as lu ça dans Fillette-Magazine. Y a qu’une chose qui me fait peur, vois-tu, c’est qu’on me refile une mauviette comme partenaire. Du coup, je perdrais la face et ça me serait duraille. Quand je me coltine avec un zig, j’aime que le zig dont au sujet duquel il est question ait du répondant dans les mécaniques sinon y a pas de charme.

À ma demande, on a planté quatre pieux sur la piste. Ce sont des pals piqués à l’envers, en somme. Et on a tendu une corde autour pour figurer un ring.

Béru passe sous la corde et se présente à la fringante assistance, les bras en V, dans l’attitude du jevousaicompris réglementaire. Il fait un gros bide. Les Arbis de la haute sont avares de leurs bravos et ne les accordent qu’aux vainqueurs.

— Ils sont constipés des phalanges, me fait observer le Gros, bougon en revenant dans son coin où je le manage, une serviette à la main.

— Les beignes, ça va être pour saluer ton triomphe, Gars, le réconforté-je.

L’émir Obolan, qui est assis à la gauche de l’iman Komirespyr, pour la bonne raison qu’il a pris l’iman à sa droite, fait un signe.

Alors il se passe quelque chose. Un être surprenant, quasi préhistorique surgit. Il mesure deux mètres dix au moins. Il a une cage thoracique large comme une barrique. Il est noir et aussi velu qu’un gorille. C’est presque un gorille, il en a eu un, en tout état de cause, dans ses ascendants directs. C’était soit sa maman, soit son papa. Peut-être les deux, au fond ? Y aurait qu’un grand-père homme. Oui, c’est possible.

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11

Non, qu’est-ce que vous voulez : je suis doué, un point c’est tout !

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12

Ce sont ces lamentables jeux de mot dont je n’arrive pas à me défaire qui freinent ma carrière et font hésiter les mecs du Nobel.