Bérurier sourit.
— Ils sont mal organisés, les organisateurs, plaisante-t-il. Ils mélangent déjà les numéros. V’là qu’ils annoncent la ménagerie en même temps que la lutte à main libre !
Je ne partage pas sa bonne humeur, car je viens de piger que cet être gigantesque, monstrueux, antédiluvien, c’est le partenaire de Bérurier.
L’émir se dresse et, tourné vers ses hôtes, leur baragouine quelque chose de sa voix plus sucrée qu’un kilo de rahaloukoums. Ils approuvent silencieusement.
Alors Obolan s’adresse à nous.
— Étrangers, fait-il, voici l’adversaire qui a été choisi pour le combat. Son nom est Durondubaiduradada, ce qui signifie « Tranche-Montagne ».
Je file un coup de saveur à Béru. Il est pâlichon, le biquet.
— Si que vot’ Majesté voudrait me permettre, fait-il, ce gentèleman et moi on n’est pas de la même catégorie. Moi je ne suis que dans les lourds, tandis que lui est au moins dans les impesables.
— Nous n’avons pas à entrer dans ces considérations, fait sévèrement Obolan. J’ajoute, ajoute-t-il en effet, que pour donner plus d’âpreté au combat, j’ai décidé que le vainqueur recevrait une bourse de mille klitoris et que le vaincu serait castré.
Si le tonnerre tombait sur la bouille du Mastar, il ne serait sûrement pas plus étourdi.
— Vous dites, Monseigneur Sa Majesté ?
— Que le vaincu sera castré dans l’heure qui suivra le combat. Le vainqueur est celui qui aura fait perdre connaissance à son adversaire. Allez, et, comme le dit un proverbe kelsaltique : que le meilleur ne perde pas !
Je suis atterré. On entend castagnéter le râtelier du Gros. Ses genoux s’unissent dans la frousse.
— Mais je refuse le combat, me dit-il.
Qu’est-ce que tu veux que je fasse à ce king-kong, à part lui lancer des cacahuètes ?
— Trop tard, Gros, nous sommes au pied du mur.
— Nous ? On voit bien que c’est pas tes précieuses qui sont dans la balance. Moi, je vais te bonnir une chose : j’aime mieux clamser plutôt que de rentrer à la maison sans mon matériel à distribuer des frissons. Jamais un Bérurier n’a fini sa vie avec ses prunes dans une boîte à bijoux.
Il est interrompu par une aigre sonnerie de flûtes.
— Tu dois gagner, Béru. C’est la seule solution possible. Prends-le au corps à corps. C’est un colosse, il est balourd. Empêtré dans sa viande, tu vois pas ?
Le Gros s’éloigne, pitoyable, c’est le cancre puni qui s’en va au piquet. Il est minuscule tout à coup devant Tranche-Montagne.
Une puce !
L’autre, qui a des usages, lui tend la main pour le paluchage pré ambulatoire. Béru, maussade, laisse tomber sa dextre dans celle du super-gorille et le voilà qui pousse une beuglante en tombant à genoux.
— Oh ! le bandit, qu’il éructe le Mastar, qu’est-ce qu’il vient de me filer comme électricité extatique dans les salsifis ! C’est pas de jeu. Il a un étau en guise de mains !
Le combat commence. Sa Majesté affolée commence par tourner autour du king-kong comme s’il cherchait une brèche par laquelle s’évader. L’autre pousse des grognements d’ours et le fixe sans aménité. Et tout à coup, comme le digne Béru passe à sa portée, il lui file une manchette. Étourdi, Sa Pomme chancelle et met un genou en terre. L’autre s’avance pour le finir.
— Fais gaffe, Mec ! je supplie, il va te cloquer la manchette lapinière !
Dans un suprême effort, Béru roule de côté et le bras de l’homme-montagne s’abat à vide. Mon camarade se relève et fait front à nouveau. Dans l’assistance, chacun retient son souffle.
Tout en décrivant des esquives, le Gros fulmine.
— C’est pas de jeu. Je déposerai une plainte à la fédération de catch. C’est le combat de David contre Colgate !
— Saoule-le, Gros ! exhorté-je. Tu le promènes en rond, et tu risques la feinte à Jules.
Il m’obéit. Très vite, en sautillant, mon ami oblige son redoutable vis-à-vis à tourner presque sur place. C’est un lutteur, mais pas un valseur, Tranche-Montagne. Quand il a fait huit révolutions complètes sur soi-même, il dodeline un peu.
— La boîte à ragoût, Gros ! suggéré-je.
Sa Pomme a pigé. Il feinte du corps par une nouvelle rotation et plonge, tête première dans l’estomac du Terrible.
On dirait qu’il vient de percuter la porte d’une église au volant de sa chignole. Ça fait un bing caverneux. L’autre n’a pas bronché, mais Béru est étourdi. Ses jambes sont en pâte de coing. On dirait qu’il marche dans les sables mouvants, l’émouvant.
Je le vois mal parti. Il tombe assis sur son derche, avec l’air pensif du gars qui vient de recevoir un wagon de briques sur la cafetière.
— Ne compte pas les étoiles, Gradu ! Je lui lance. Pense à tes valseuses, c’est plus urgent.
Heureusement que le mammouth n’a pas une grande promptitude de réflexes, sinon il pourrait, d’un coup de tatane, décoller la noble hure béruréenne.
— Debout ! glapis-je. Debout, Gros. Y a urgence !
Il se redresse et murmure dans ma direction.
— Qu’est-ce que je peux faire : il a le bide en acier. C’est l’homme de Gros-Moignon je te dis !
— Fonce ! Fonce ! il arrive.
On murmure dans l’assistance. Ils ne trouvent pas le combat passionnant, messieurs les Seigneurs. Le sang à la une, ils se demandent si ça va être pour aujourd’hui ou pour demain. Pour un rien, ils se feraient rembourser, alors que c’est Béru qui va être déboursé dans pas longtemps.
Le Gros se rabat dans mon coin ; toujours coursé par son mastodonte.
— Pour me le faire, il me faudrait une mitraillette jumelée, assure-t-il. T’aurais pas une épingle que j’y crève les lampions ?
J’ai une épingle. De sûreté ! Je l’ouvre et la fais discrètement choir sur le sol.
— Fais encore un tour et tu te laisseras tomber ici pour la ramasser !
Il a pigé. Cette fois, devant sa fuite éperdue, l’assemblée proteste. Le Gros (qui est devenu le petit) attend un atout de l’autre qui justifiera son billet de parterre. Ça vient, mais Béru l’efface mal et il est groggy.
Un Arbi s’approche du ring et compte en kelsaltipe les fatidiques secondes.
— Lève-toi, Gros ! m’égosillé-je. Lève-toi !
Il ne bouge pas. L’arbitre improvisé poursuit sa comptabilité. Il doit en être à six.
— Lève-toi tout de suite : voilà Berthe !
Ça commotionne Alexandre-Benoît, il réagit, se lève. Miracle, l’épingle n’est plus à terre. L’a-t-il ramassée ? Je le souhaite. King-Kong veut en finir. Il s’élance. Béru se baisse, l’autre culbute dans la corde. Un pieu est arraché. Le gars tombe, face à terre. Béru en profite pour se jeter sur lui. C’est la première fois qu’il a semblant davantage. D’un coup de reins, Tranche-Montagne s’en débarrasse. Béru roule sur le flanc. Alors l’autre s’agenouille pour lui faire un étranglement. Il porte ses battoirs au cou de mon camarade. Ils sont ventre à ventre. Le mufle du lutteur kelsaltipe fait un bruit de turbine.
Béru sort déjà une langue plus longue que le tapis qu’on déroule sur l’aire d’atterrissage d’Orly lorsque le général rentre de ses prestations à domicile.
C’est la fin, je m’apprête à jeter la serviette, compromettant par ce simple geste une éventuelle descendance des Bérurier. Mais qu’arrive-t-il ? Tranche-Montagne a un soubresaut. Il lâche le gosier du cher Béru pour porter ses mains à son bas-bide.
En deux énergiques soubresauts, Béru est sorti de sous la carcasse de son antagoniste. Je le crois, maintenant quand il m’affirme avoir fait du rugby au régiment. Il botte un de ces coups de pied de pénalité dans la tronche du gorille qui ferait mourir de jalousie notre cher Albaladejo. L’autre éternue et regarde son adversaire.