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— À cause que j’ai pas la souplesse boa, ni le courage Bayard, et que j’ai un brin de carat ? grince mon dévoué camarade.

Il s’éloigne de nous, s’approche du mur, y appuie son bras replié et se met à chialer dans son coude, à gros sanglots.

Nous voilà tous à sourire avec des larmes aux cils. C’est un bon gros cancre sensible, mon Béru.

Je vais à lui et lui pose la main sur la nuque.

— Tu vas pas jouer la Dame aux Camélias, Gros. Je ne t’emmène pas uniquement parce que tu crains la chaleur. T’as toujours soif, reconnais ? Dans le bled où nous allons, le mahomed cogne pas avec un plumeau, fais-lui confiance.

Il tourne vers moi sa bouille détrempée.

— Et alors ? fait-il, tu le sais p’t’être pas que les gourdes, ça existe ?

— En te considérant, je ne devrais pas l’oublier, conviens-je.

— Je m’emporterais quelques bouteilles de muscadet et le tour serait joué.

Comment résister, mes amis, alors que tout mon être aspire à ce compagnon de voyage ?

— Très bien, tu viendras à la place du Nabus.

Nabus n’a pas l’air tellement consterné par cette permutation. Il fait tout de même semblant d’être contrarié, mais c’est pour sauver la face.

— Eh bien ! voici l’affaire réglée, déclare le Vieux en souriant.

— Vous permettez ! dit Soudain Pinaud en étreignant sa moustache à combustion lente entre son pouce et son index qu’il a préalablement humectés de salive.

— Quelque chose à dire ? murmure monsieur le Diro, mécontent, en caressant son crâne pareil au dargif d’un bébé élevé à la Blédine.

— Oui, monsieur le Directeur, bêle Pinuchet. Je voudrais vous signaler que j’ai fait mon service militaire dans les Tirailleurs et que je parle couramment le marocain. Ne pensez-vous pas qu’il serait bon que je me joigne à cette expédition ? Le kelsaltipe est, dit M. Avane, un dialecte spécial. Néanmoins il reste un langage arabe. Or, i1 me semble que si l’un des membres de la mission parlait vraiment l’arabe…

Brave, cher, doux, tendre, suave, rusé, généreux Pinaud ! Il n’a pas levé la main pour ne pas essuyer de rebuffade. Avec sa sagesse coutumière, il a attendu le moment de placer sa botte secrète.

Le Dabe me virgule un regard en forme de portemanteau. Je bats des ramasse-miettes.

— Ah ! vraiment, vous parlez couramment le marocain ? dit-il.

— Oui, monsieur le directeur.

Le Vieux se tourne vers Oscar Avane.

— Eh bien ! vous allez pouvoir faire un brin de conversation tous les deux, décide-t-il.

Voilà donc le gars Oscar qui se met à bavasser dans la langue d’Hassan II. Pinaud écoute, les sourcils joints derrière la fumée crasseuse de sa cigarette.

Lorsque l’autre a fini, il murmure :

— Voulez-vous répéter plus doucement, je vous prie…

Et Avane, réprimant un sourire, répète. Lors, la Vieille Fripe baragouine à son tour. Ce qu’il dit est entremêlé de mots français.

Je file un coup de coude à Avane.

— Ça me semble pas mal, n’est-ce pas ? lui soufflais-je.

— En effet, convient généreusement le chargé de mission aux affaires arabes, je suis persuadé qu’avec un petit entraînement, M. l’inspecteur s’exprimera couramment.

La Vieillasse a la sueur aux tempes.

Il lance à Oscar Avane un long regard aveugle pour le remercier de son pieux mensonge.

Voilà donc Pinaud dans le coup à la place de Mathias.

Très vite le Boss nous refile ses instructions.

Nous devons partir le lendemain, très tôt. Un avion nous conduira à Aden, là nous revêtirons nos tenues arabes et nous prendrons un barlu pour Béotie. Dans cette ville, notre caravane nous attendra et la grande, la redoutable aventure commencera.

— Vous n’emportez aucun bagage, déclare t-il, si ce n’est du linge de corps. Par contre, vous allez vous munir chacun d’un lot important de bimbeloterie. Je tiens à ce que vous l’acquériez vous-mêmes afin de la mieux connaître.

Il sourit.

— Et tachez de la revendre là-bas avec bénéfice, la caisse des œuvres de la Police vous en sera reconnaissante.

Nous prenons congé avec force poignées de louches.

CHAPITRE II

Comme dans la vie il faut toujours procéder par ordre, nous commençons par aller écluser du blanc-cassis au troquet voisin.

Béru est tout émoustillé.

— On va avoir fière mine, loqués en arbis, déclare-t-il en vidant son glass d’une seule aspiration. À part la Vieillasse, natürlich qui fera un peu Cheik sans provision avec sa bouille de constipé.

Le Pinuchet se fâche.

— Vous serez bien aise d’avoir avec vous un vieux renard comme votre père Pinaud ! prophétise-t-il.

— Tu seras le renard des sables, se gondole le Grog.

Rien que de prononcer le mot « sable » ça lui flanque la pépie et, vite fait, il fait renouveler sa consommation, il est comme les chameaux, Béru. Il lui faut sa provision de carburant avant de se lancer dans le désert.

— Quoi-t’est-ce qu’il faut acheter en fête de pacotille ? me demande-t-il.

— Ce que tu voudras. Du pas chérot et du pas encombrant, tu vois le genre ?

— Si que j’irais au Bazar de l’Hôtel de Ville ? proposa Sa Rondeur.

— Fais au mieux.

Je les laisse pour aller chercher des bons de commande en blanc à l’économat.

Et c’est au moment où je traverse un couloir que j’avise une ancienne connaissance à moi, assis sur un banc crasseux entre deux gendarmes. Il s’agit de Sidi-l’Arnaque, un malfrat de haute volée dont le véritable blaze est Sirk Hamar. Ce gentilhomme a touché à tout avec brio : vol à la tire pour se faire la pogne, trafic de stups, proxénétisme, attaque à main armée, etc. Son casier n’est plus regardable et flanquerait la migraine à Dillinger. Depuis quelques années il se tient peinard, ayant, selon la rumeur publique, différentes taules du même nom. Quand on est. arabe, le pain de fesse c’est le vrai bâton de vieillesse.

Sirk Hamar me reconnaît parallèlement et m’adresse un petit sourire pas flambard.

— Et alors, ma pauvre guêpe, je lui dis, on s’est fait faire aux pattes ?

Il hausse ses robustes épaules d’oisif bien entretenu par le réveil musculaire.

— C’est une erreur Judiciaire, m’sieur le commissaire.

— Ben voyons ! fais-je. Depuis « Roger-la-Honte » on n’avait pas vu ça.

Et, m’adressant à l’un des pandores qui l’encadrent :

— Il a pas piqué dans le trou du tronc du culte à l’église du coin, je suppose ?

— Oh ! non, m’sieur le commissaire. Ce vilain coco est compromis dans une affaire de faux billets.

Je me cintre.

— Ça manquait à ton palmarès, Sirk, Tu prépares le décathlon, à c’t’heure ? M’est avis que tu vas passer champion dans toutes les disciplines du crime, mon grand.

Il se tasse entre ses deux épaules et ne répond rien. Le gars Moi-même, fils unique et préféré de Félicie, ma brave femme de mère, continue sa route. À l’économat (à noter qu’un économat est un endroit où l’on dépense) on a été affranchis par le Dabe et je reçois des bons en blanc me permettant de faire les emplettes prévues au programme.

Lorsque je fais demi-tour, Sirk Hamar et ses vaillants archers ne sont plus dans le couloir mais dans le burlingue de mon estimé collègue, le commissaire Péver. La porte est restée ouverte et Péver, en m’apercevant, m’adresse un grand geste plein d’estime.

J’entre pour lui serrer la louche. On se dit des trucs importants, dans le style « Comment-ça — va — pas — mal — et — toi — il — fait — beau — aujourd’hui — mais — il — pleuvra — peut-être — demain » et je vais pour continuer inexorablement ma route semée d’embûches lorsque inspecteur-secrétaire de Péver, un grêlé qui tape à la machine avec deux doigts et la langue pendante, commence à procéder à l’interrogatoire de Sidi-l’Arnaque.