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— Tu es le Christian Dior de la Poulaille, complimenté-je. Et alors, raconte !

— Je m’étais repéré une gentille petite négresse bien sous tous les rapports. À la frissonnante, que je l’ai eue ! Mon regard ensorceleur numbère oane, quoi. Quand je m’ai pointé au sérail, ces dames ont cru que je faisais partie de la troupe et elles m’ont offert des bonbons. Moi, en loucedé, j’ai sélectionné ma petite Miss Café-au-lait dans un coin. Elle cause pas français, mais comme elle a du doigté, j’ai pas eu de mal à lui faire comprendre que l’habit ne fait pas le moine ! Elle m’a piloté dans sa carrée personnelle et alors, mes enfants, j’ai eu droit à une séance estravagante. Figurez-vous qu’elle m’a…

— Oh ! ça suffit, Gros, épargne le descriptif, tu vas nous faire censurer. On a mieux à fiche pour le moment.

Je regarde où en sont les deux blonds. L’un est mort, l’autre est décédé. Nous les arrangeons sous des coussins pour les soustraire provisoirement à la vue d’un visiteur.

La grande hécatombe de printemps continue, quoi ! Nous avons une façon de jouer au Petit Poucet en jalonnant notre parcours, qui n’est pas piqué des vers de chez Borniole. Si on s’attarde encore au Kelsaltan, la population de ce valeureux patelin sera en rapide régression.

— Ils vous ont parlé de nous ? je demande à S 04 H2 ?

— Pas un mot. Ils sont entrés dans votre chambre après avoir visité les pièces voisines. Ils fouillaient. Et c’est en fouillant qu’ils m’ont découvert.

— Ont-ils eu l’air surpris en vous trouvant là ?

— À coup sûr.

— Par conséquent, conclus-je, ils n’étaient pas encore descendus dans les prisons. Ce qui revient à dire que, le garde qui s’y trouve ligoté n’étant pas en mesure de nous démasquer, nous pouvons encore sortir du palais.

Je claque des doigts à Béru.

— Puisque tu as des talents d’habilleuse, camoufle un peu notre ami qui fait trop occidental.

— Fastoche, se réjouit le Gravos. En deux coups d’écuyer à Pau ça va être réglé.

Teinture d’iode, chiftards de couleurs et en effet, nous voyons naître une kelsaltipe sous les doigts magiques du boudiné.

Pinaud mate l’heure.

— Le zinc ne sera là que dans quatre heures, dit-il, où allons-nous nous planquer ?

— Nous verrons.

Là-dessus, la porte s’entrouvre et le doux visage de Lola apparaît.

— Ça y est ? fait-elle.

Je vais vous avouer une chose, mes Jolies Princesses, mais dans le feu de l’action je l’avais oubliée, celle-là.

— Écoute, mon lapin rose, je lui gazouille, nous allons sortir du palais parce qu’il y a urgence. Toi, tu viendras nous rejoindre dans trois heures à l’est de la ville, derrière la grande dune au sommet de laquelle se dresse le mausolée du Vieux Kroumir.

Elle blêmit.

— Mais comprends une chose : les femmes ne peuvent quitter le palais.

Sirk s’emporte en voyant ma mine dubitative.

— Dites donc, Commissaire, on va tout de même pas jouer les boy-scouts et risquer de se faire crever pour une gonzesse, non ?

— Salaud ! fait Lola en lui crachant au visage. Tu es donc le démon pour toujours briser ma vie !

Je m’interpose ; d’abord parce que c’est pas le moment d’organiser un nouveau combat de catch, ensuite parce que ce que dit la pauvrette fait un peu vieux mélo et que ça n’est pas digne d’une prose de la qualité de celle que je vous livre.

— Qu’est-ce qu’elle a à me chambrer avec sa vie brisée, cette pécore ? gronde Hamar.

— Laisse, je t’expliquerai tout plus tard, coupé-je violemment.

Je réfléchis. Il y aurait bien la solution qui consisterait à la travestir en homme, mais nous n’avons pas le temps de chercher des fringues. Chaque seconde qui s’écoule prépare la catastrophe.

Dans les pires instants, mon sixième sens intervient, pour prêter main-forte aux cinq autres. J’aperçois dans un angle de la pièce un coffre mauresque, en cuivre. Il me semble assez grand pour y loger Lola.

— Colle-toi là-dedans, petite. On va plonger.

CHAPITRE XIV

Le cortège s’organise comme suit : Sirk et Béru coltinent la malle, Pinaud et Gérard[15] les précèdent, moi je ferme la marche.

Nous prenons la sortie qui sert, dans le sens contraire, d’entrée des fournisseurs. C’est plus prudent, car l’entrée principale (qui sert éventuellement de sortie d’apparat) est très fréquentée. Certains émirs rentrent déjà chez eux pour des raisons diverses. L’un parce qu’il a oublié de fermer le gaz en partant, un autre parce qu’il veut suivre l’homme du Quinzième Siècle à la Télé (on est en retard au Kelsaltan) et le troisième parce qu’il a un élevage de chats persans et que ces bêtes-là, c’est comme les chiens de Pathé-Marconi ; ça ne connaît que la voix de son maître.

Donc, profitant de ce que l’animation a lieu devant, nous nous tirons par derrière.

Cette issue (qu’on appelle au palais l’issue des pieds parce qu’elle ne comporte pas de paillasson) est gardée par un poste de guerriers rébarbatifs.

Ce sont des eunuques de la garde spéciale de l’émir Obolan, qu’on appelle ici la garde « Mheurménsrhanpa » en souvenir de la bataille Merdave qui permit aux Kelsaltipes de battre les Kambronars.

Les gars dont je vous cause, bien que privés de leurs scapulaires à quetsches, n’ont pas l’air de fillettes. Imaginez des gaillards de deux mètres (chacun) avec des moustaches larges comme des pains de deux livres et des yeux si terribles que lorsqu’ils vous regardent, on se met à faire de la température.

Pinaud et Alcide passent la porte sans encombre, puisqu’ils n’en ont pas sur eux. Maintenant, c’est la Gravosse et Sirk qui s’amènent. Je vous ai déjà parlé de mon petit lutin intime, vous savez ? Le petit mec embusqué dans mon caberlot qui me tuyaute sur certaines choses dans les circonstances périlleuses. En ce moment, il gratte à ma cellule du dessus et m’annonce que ça va barder dans si peu de temps que ça barde déjà.

Effectivement, les deux militaires surveillant la porte se placent en travers du passage, mitraillette braquée, et d’autres radinent du poste de garde avec des intentions tout pareillement belliqueuses.

J’ai une suée.

Le gougnafié-chef[16] intervient. Il désigne la malle et enjoint à mes zèbres de la poser à terre.

Béru, natürlich, se met à parlementer. Mais les militaires ne comprennent pas le français. C’est Sirk qui prend le relais en s’efforçant d’avoir l’air dégagé.

— Trahou davu cavu farcih ! dit-il.

Et il ajoute cette phrase qui m’impressionne passablement :

— Nonobstan béhèncéhi cérapé.

Ça ne lui fait pas plus que si on lui lisait du Claudel, au vaillant gougnafié-chef. Il donne un coup de pied sur la malle et glapit d’une voix d’eunuque enroué :

— Délourdéssa hélèfissa !

Autant dire que nous touchons le fond de l’abîme. Ça sent déjà la vase.

Là-bas, Pinaud et Alcide attendent. Je leur fais signe de disparaître. Eux, au moins, ont maintenant une chance de s’en tirer. Pour ma part je pourrais sortir, notez bien, mais le bon San-Antonio, a-t-il jamais laissé un de ses hommes dans la barbouille ?

— Ça se corse ? je demande à Sirk.

— Ils veulent absolument qu’on ouvre.

— Si on piquait un démarrage style Jazy ? propose le Gravos.

— Les balles courent plus vite que toi !

J’ai sur moi un pistolet mitrailleur piqué aux Russes, et effectivement, je pourrais l’utiliser, mais la partie serait perdue d’avance. Ils sont au moins vingt gardes en arme, maintenant. À quoi bon en scrafer quelques-uns puisque les autres nous allongeraient tout de même.

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15

Comme je n’ai pas de secret pour vous je vais vous révéler une chose. Le vrai prénom de l’agent S 04 H2, ce n’est pas Gérard, mais Alcide. Il s’appelle Alcide Sulfuric ; Gérard n’est que le prénom d’emprunt d’un cousin de sa concierge. Mais chut ! Je suis en train de trahir des secrets d’État.

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16

Dans la garde d’Aigou, grade équivalant à celui de brigadier dans la garde républicaine.