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— La police. Ah non, non, non.

Pierre m’a jeté un petit coup d’œil.

— Mais qu’est-ce que vous comptez faire ?…

— Non, pas la police.

— Jean-Lino, vous avez… Il vous est arrivé ce drame… Vous êtes venu nous voir… Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous ?

Pierre se tenait debout près d’une commode, la gravité du ton et l’expression bigote des mains étant un peu atténuées par le caleçon-jupette rose. Jean-Lino, tête baissée, suivait les mouvements d’Eduardo autour du lit.

— Vous voulez qu’on appelle quelqu’un ?… Un avocat ? Je connais un avocat.

Eduardo est monté sur le pot de chambre. Un pot de chambre en faïence avec un plateau de bois rond par-dessus (plateau à fromage ?) et j’ai pensé que ce n’était pas une mauvaise idée ce pot de chambre au pied du lit, moi qui me lève trois fois par nuit pour pisser. Jean-Lino a dit, non sul vaso da notte micino, avec une petite caresse censée le faire redescendre. Eduardo s’en est foutu, occupé par l’examen, à exacte hauteur de sa vue, du corps de Lydie.

— Ti ha fatto male, eh, piccolino mio…

— Jean-Lino, il va falloir être un peu coopérant, a repris Pierre.

— Allons dans le salon peut-être ? j’ai dit.

— Povero patatino…

Pierre est allé jeter un coup d’œil par la fenêtre. Il a fermé les rideaux. Mocassins en canard et caleçon vaporeux, il a déclaré, alors moi je vais vous dire Jean-Lino, si vous n’appelez pas la police, à un moment donné c’est nous qui allons le faire.

— Ce n’est pas à nous de le faire ! j’ai protesté.

— Ce n’est pas à nous de le faire. Mais il faut que quelqu’un le fasse.

— Ne restons pas dans cette chambre, allons réfléchir calmement.

— Réfléchir à quoi Elisabeth ? Cette femme a été étranglée par son mari, un accès passionnel, on ne demande pas de détails, il faut appeler la police. Et vous Jean-Lino, revenez sur terre. Et dites quelque chose, dans une langue qu’on peut comprendre, parce que ces gnangnantises avec le putain de chat italien ça commence à me gonfler.

— Il est choqué.

— Il est choqué, oui. On est tous choqués.

— Essayons de ne pas nous énerver Pierre… Jean-Lino, qu’est-ce que vous proposez ?… Jean-Lino ?…

Pierre s’est assis dans le fauteuil en velours jaune. Jean-Lino a sorti le paquet de Chesterfield de sa poche et s’en est allumé une. La fumée s’est répandue sur Lydie. Il a aussitôt cherché à la disperser avec sa main. Et puis, regardant sa femme avec tristesse m’a-t-il semblé, il a dit, est-ce que je pourrais vous parler seul à seule deux secondes, Elisabeth ?

— Qu’est-ce que vous voulez lui dire ?

— Deux secondes, Pierre.

Je lui ai fait un petit signe dans le genre la situation est sous contrôle, et j’ai pris le bras de Jean-Lino pour le conduire hors de la chambre. Jean-Lino s’est engouffré dans la salle de bain en refermant la porte derrière moi. À voix ultra-feutrée et sans rien allumer, il a dit :

— Est-ce que vous pourriez m’aider à la mettre dans l’ascenseur ?…

— Mais… comment ?

— Dans une valise…

— Dans une valise ?…

— Elle est menue, elle ne pèse pas lourd… Il faudrait l’accompagner jusqu’en bas… Je ne peux pas prendre l’ascenseur.

— Pourquoi l’accompagner ?

— Pour gérer l’arrivée. Au cas où quelqu’un aurait appelé d’en bas.

Ça m’a paru logique.

— Vous allez en faire quoi ?…

— Je sais où la mettre…

— Vous allez l’emmener en voiture ?

— Elle est juste devant. Aidez-moi seulement à la descendre Elisabeth, je m’occupe du reste…

Il y avait une odeur de lessive que je connaissais. On était dans l’obscurité complète. Je ne le voyais pas. J’entendais l’urgence et la détresse de la voix. Je me suis dit qu’il faudrait aussi s’assurer de l’aspect désertique du parking… La porte s’est ouverte brutalement.

— Tu comptes aider ce dingue à fourrer sa femme dans l’ascenseur, Elisabeth ?!…

Pierre m’a agrippé le bras avec des doigts d’acier (il a de belles mains et fortes).

— On redescend et j’appelle les flics.

Il me tirait, je résistais en m’accrochant à des peignoirs pendus sur une patère, autant dire que ça a duré même pas trois secondes. On a dû actionner un interrupteur car un néon mural s’est allumé. Tout est devenu jaune, de ce jaune d’autrefois comme celui qu’on avait à Puteaux. Allez-y, Elisabeth, retournez chez vous ma petite Elisabeth, je suis fou, il faut me laisser, a imploré Jean-Lino bras tendus en avant.

— Mais qu’est-ce que vous allez faire, Jean-Lino ? j’ai dit.

Il a pris sa tête dans ses avant-bras et s’est assis sur le rebord de la baignoire. Dans un léger balancement et sans nous regarder, il a gémi, je vais me ressaisir, je vais me ressaisir. Il me faisait une peine folle, recroquevillé, le cheveu en désordre, sous l’étendoir à linge mural, dans la salle de bain encombrée.

Pierre recommençait à me tirer. J’ai dit, arrête de me tirer !

— Tu veux aller en taule ? Tu veux nous foutre tous en taule ?

— Qu’est-ce qui s’est passé Jean-Lino ? Vous avez eu un coup de folie ?

Jean-Lino a marmonné quelque chose. Pierre a dit, on ne comprend pas ce que vous dites ! Sans nous regarder et en s’appliquant comme un enfant grondé, Jean-Lino a dit, elle a donné un coup de pied à Eduardo.

— Lydie a donné un coup de pied à Eduardo ?! j’ai répété.

— Elle a donné un coup de pied au chat, et il l’a étranglée. Et nous, on se tire.

— Mais elle adore les animaux ! j’ai dit.

Jean-Lino a haussé les épaules.

— Elle m’a fait signer une pétition cet après-midi même !

— Quelle pétition tu as signée ?

— Une pétition contre le broyage des poussins !

— Allez, allez, ça suffit, a dit Pierre excédé en me poussant vers la porte d’entrée.

Hérissé et dents menaçantes, Eduardo s’était faufilé dans l’embrasure de la salle de bain.

— Non aver paura tesoro… Il a des calculs rénaux le pauvre.

— Vous allez appeler la police Jean-Lino ? j’ai demandé. Il faut que ce soit vous qui le fassiez.

— Il n’y a aucune autre solution, a dit Pierre.

— Oui…

— Aucune autre, Jean-Lino.

— Oui.

Pierre a ouvert la porte et m’a jetée sur le palier. Avant qu’il ne la ferme, j’ai crié, vous voulez qu’on reste avec vous ?

— Réveille tout l’immeuble ! a susurré Pierre en fermant précautionneusement la porte. Puis il m’a entraînée dans l’escalier, me tenant avec sa main d’acier. Chez nous, il m’a encore conduite jusqu’au salon comme s’il fallait éviter de se faire entendre. Il a voulu tirer les rideaux qui sont purement décoratifs et en a arraché un coin.