Выбрать главу

— L’officier de police judiciaire et la PTS.

— La PTS ?

— La police scientifique.

La grappe s’est défaite. Deux policiers en tenue se sont dirigés vers nous. Les autres sont entrés dans l’immeuble. Les types en jeans et blouson en sont ressortis aussitôt, ils se sont hâtés vers la voiture banalisée, j’ai entraperçu Jean-Lino, plus petit que les autres, dans son Zara et son pantalon à plis. Les portes ont claqué et la bagnole a démarré avec la lumière et le bruit.

Les grappes se font, se défont. On peut voir la vie des hommes comme ça. Nous sommes partis aussi dans la voiture de Police Secours. Je nous voyais passer dans les vitrines avec le gyrophare et la sirène hurlante. Il y a de l’irréalité à se voir transporter à toute blinde, comme à voir son propre train défiler dans un autre. Au commissariat, on m’a descendue dans un entresol. On m’a mise sur un banc en fer où étaient scellées des menottes. Je n’ai plus eu qu’une seule main accrochée. J’ai attendu un peu puis on m’a emmenée dans un bureau, on m’a dit que j’avais le droit de me taire, de voir un médecin, un avocat, de prévenir ma famille. J’ai demandé qu’on appelle Pierre. J’ai dit que je n’avais pas d’avocat et qu’ils pouvaient prendre qui ils voulaient. Une femme m’a refouillée et m’a raclé l’intérieur de la bouche. Dans le couloir elle m’a demandé si je voulais aller aux toilettes avant d’être placée dans la geôle (la geôle !). Des chiottes à la turque rudimentaires. Quelques heures avant tu découpais un cake à l’orange avec ta robe ondoyante, j’ai pensé. Je suis entrée dans la cellule délabrée avec une banquette au fond. Il y avait un matelas sur un sol en lino avec dessus une couverture en laine orange pliée. La femme m’a dit que je pourrais me reposer un peu en attendant l’avocat qui viendrait vers sept heures. Elle a refermé la porte avec un bruit extravagant de loquets et de serrures. Le mur qui donnait sur le couloir, y compris la porte, était entièrement vitré avec des barreaux. Je me suis assise sur la banquette. Est-ce que Jean-Lino était quelque part dans le coin ? Et la pauvre Lydie dans sa valise… Le fichu de travers et les cheveux fous, la jupe chiffonnée. Tous ces ornements inutiles d’une seconde à l’autre. Les Gigi Dool rouges, balancées dans la tombe. Un collègue de Pierre est mort il y a un mois. Etienne a appelé pour prévenir Pierre mais il est tombé sur moi. Il m’a dit, tu vois qui est Max Botezariu ? — De nom. — Il vient de mourir, foudroyé dans le métro. Une belle mort, j’ai dit. — Ah bon, tu veux ça comme mort, toi ? — Oui. — Tu ne veux pas la voir venir, t’y préparer comme dans La Fontaine, sentant la mort venir il fit venir tous les siens ? — Non. J’ai peur de la dégradation. Il y a eu un silence au bout du fil et puis il a dit, quand même c’est mieux de mourir entouré. Ou peut-être pas au fond. J’ai mis la couverture orange sur mes genoux. Elle grattait. J’ai resserré les pans du manteau pour faire barrière.

Bien… Dans le cagibi où je vois l’avocat tout est gris. Le carrelage du sol, les murs, la table, les chaises. Tout. Les deux chaises sont fixées au sol et la table aussi. Pas d’ouverture. Une lumière hideuse. Avant j’avais eu droit à une brique de jus d’orange et un biscuit sec. Gilles Terneu, avocat. Il avait des cheveux longs poivre et sel brushés en arrière, plus un combiné moustache-barbichette bien taillé. Un homme soigné comme aurait dit ma mère, qui tablait sur sa mise en plis dès l’aube. J’ai eu un peu honte de mon Kitty et des chaussons, mais surtout du manteau qui m’arrivait à mi-bras. Il a ouvert son cartable, en a sorti un bloc-notes et un stylo. Il a dit, bien… Madame est-ce que vous savez pour quelle raison vous êtes ici ? J’avais beau être épuisée, je savais quand même pourquoi j’étais là. Je lui ai relaté les événements. Enfin je veux dire la version officielle minimale.

— Quels sont vos liens exacts avec cet homme, madame ?

— C’est un ami.

— Madame, vous savez que nous nous trouvons dans une affaire criminelle. Les investigations qui vont être menées seront très précises. Y compris dans votre vie. Ne pensez pas que vous pouvez à ce stade dissimuler des choses. Elles apparaîtront à un moment ou à un autre.

— C’est un ami.

— Un ami.

— C’est un voisin avec qui je suis devenue amie.

— Vous soupçonniez quelque chose ?

— Vous voulez dire ?…

— Quand vous avez guetté par l’œilleton.

— Quand mon mari lui a suggéré d’appeler la police, je l’avais senti hésitant…

— Vous n’aviez pas la certitude qu’il appellerait la police…

— Non… Je n’avais pas la certitude complète qu’il appellerait la police… Et quand j’ai vu l’ascenseur descendre… alors que je n’avais rien vu, ni entendu dehors, puisque je regardais aussi par la fenêtre…

— Vous étiez en tenue de nuit ?

— Oui.

— Et votre mari ? Il ne vous a pas entendue descendre ?

— Mon mari dormait.

— Il dort toujours ?

— Je ne sais pas. J’ai demandé qu’on le prévienne.

— Votre mari, il a des doutes sur la nature de votre relation avec cet homme ?

— Non. Non non.

— Nous avons peu de temps là madame, nous avons une demi-heure et vous allez, au sortir de cet entretien, être entendue par les policiers, sans doute même confrontée avec votre voisin, monsieur…

— Manoscrivi.

— Manoscrivi. Évidemment, il faut espérer que les deux versions ne se contredisent pas… Est-ce que vous pensez qu’il peut dire des choses différentes ?