— Oui.
— Ce n’est pas ce que vous aviez expliqué. À la cote D111, vous aviez expliqué que le manteau de madame Gumbiner était posé sur le dessus de la valise…
— Ah oui. C’est possible.
— Il était où le manteau ?
— Sur le dessus de la valise.
— Vous êtes d’accord monsieur Manoscrivi ?
— Oui.
— Vous pouvez nous montrer comment le manteau était posé sur la valise ?
Jean-Lino a couché le manteau sur la valise. J’ai confirmé que c’était ainsi. Le juge l’a fait consigner dans le procès-verbal et a ordonné la photo. Monsieur Manoscrivi, est-ce que vous pouvez nous rappeler ce que madame Jauze vous a dit quand elle vous a aperçu ?
— Elle m’a demandé ce qu’il y avait dans la valise.
— Et vous lui avez répondu quoi ?
— Je n’ai pas répondu. Je me suis dirigé vers la porte.
— Vous pouvez nous rappeler comment madame Jauze vous a intercepté ?
— Elle a saisi le sac et le manteau.
— Madame Jauze, vous pouvez nous montrer comment vous saisissez le sac et le manteau ?
J’ai saisi le manteau, et le sac qu’il tenait toujours en hauteur avec son bras replié. Nous nous sommes enfin regardés. J’ai retrouvé ce que j’aimais dans ses yeux. Par-dessus n’importe quelle tristesse, la flamme d’espièglerie. Photo numéro trente-deux : Monsieur Manoscrivi regardant Elisabeth Jauze s’emparer du manteau et du sac.
Quand le fourgon a démarré, Jean-Lino s’est collé à la fenêtre. On lui avait remis les menottes. Il s’est penché en avant comme pour me faire un signe. Je me tenais devant la porte vitrée avec mes chaussons et j’ai agité mon bras jusqu’à ce que la voiture contourne l’immeuble d’en face. Je suis restée un moment dehors quand tout le monde avait quitté les lieux. Le parking était vide. C’était une belle nuit étoilée à Deuil-l’Alouette. Avant de disparaître, le véhicule avait effectué un demi-tour entre les voitures garées pour repartir en sens inverse. Jean-Lino était encore tourné vers moi mais à cause de la nuit et de la distance je ne pouvais plus distinguer son visage. Je ne voyais que la forme noire du chapeau, l’accessoire démodé qui l’avait singularisé et semblait maintenant le rejeter dans l’anonymat des hommes. L’histoire s’écrivait par-dessus nos têtes. On ne pouvait empêcher ce qui arrivait. C’était Jean-Lino Manoscrivi qui venait de passer et en même temps n’importe quel homme embarqué. Je me suis souvenue du sentiment d’appartenance à un ensemble obscur que Jean-Lino éprouvait dans la cour Parmentier lorsque son père lisait le psaume à voix haute. J’ai regardé le ciel et ceux qui s’y trouvaient. Puis je suis remontée seule par l’escalier de service.